Régulation européenne de l'IA : les entreprises tirent la sonnette d'alarme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les signataires craignent, en particulier, que la réglementation européenne en gestation soit bien plus restrictive que celle, à venir, des Etats-Unis et qu’elle freine le développement de l’intelligence artificielle en Europe.
Les signataires craignent, en particulier, que la réglementation européenne en gestation soit bien plus restrictive que celle, à venir, des Etats-Unis et qu’elle freine le développement de l’intelligence artificielle en Europe.
©Clement MAHOUDEAU / AFP

Risques d'une réglementation trop stricte

Dans une lettre ouverte à l'Union européenne, les dirigeants de 150 entreprises, dont Siemens, Airbus et Renault, soulignent les risques d'une réglementation trop stricte de l’IA.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

Voir la bio »

Atlantico : Dans une lettre ouverte à l'Union européenne, les dirigeants de 150 entreprises, dont Siemens, Airbus et Renault, soulignent les risques d'une réglementation trop stricte de l’IA. Que craignent-ils exactement ? 

Rémi Bourgeot : Les signataires craignent, en particulier, que la réglementation européenne en gestation soit bien plus restrictive que celle, à venir, des Etats-Unis et qu’elle freine le développement de l’intelligence artificielle en Europe. Il s’agit autant de la conception de modèles d’IA que de leur utilisation par les divers secteurs économiques, industriels en particulier, représentés pami les signataires.

L’AI Act européen a, en premier lieu, été pensé avant la prise de conscience de la portée des modèles de langage, avec l’IA générative façon ChatGPT en particulier. Il a donc fallu prendre en compte ces nouvelles techniques et la tendance à l’unification des spécialités au sein de l’IA.

Les législateurs européens ont alors créé une catégorie particulière pour les modèles de fondation (dont relève l’IA générative). Le texte comprend notamment des exigences de certification qui touchent les développeurs de façon très large, malgré certaines exemptions pour la R&D par exemple. 

Cela implique un effort et des coûts de certification importants, en plus de la menace d’amendes considérables (jusqu’à 40 millions d’euros ou 7% du chiffre d’affaires mondial), qui pèse notamment sur le processus de financement.

Quelle est la part de lobbying derrière cette prise de position ? Et quelle est la part de crainte réelle et légitime ?

La régulation de l’IA est indispensable face aux risques que portent les développements actuels.  L’IA est appelé un bouleverser les opérations de la grande majorité des entreprises et la vie des travailleurs.

Cela rend primordiale la question de la fiabilité et la transparence des modèles. Pour autant, son développement et son utilisation deviennent des critères cruciaux du positionnement compétitif et de la stratégie économique. La prise en compte des révolutions que connait le secteur est indispensable autant pour encourager la fiabilisation des modèles que le positionnement économique européen.

Au vu des bouleversement quasi-mensuels que connait l’IA, il est nécessaire d’élaborer un cadre flexible et évolutif. Les législateurs européens ont déjà été amenés à amender leur texte à de nombreuses reprises, dans une entreprise titanesque de négociation et de mise à jour. Ils ont également créé des exemptions et précisé que les amendes envisagées seraient proportionnées aux enjeux et aux acteurs concernés, de façon à éviter d’étouffer les startups.

L’enjeu aujourd’hui consiste à trouver une façon de pérenniser la dynamique d’adaptation de la réglementation aux évolutions techniques, sans renier le travail considérable déjà effectué.

Il faut, d’un côté, rendre le cadre réglementaire plus flexible face aux évolutions technologiques mais aussi garantir l’indépendance de la réflexion sur la réglementation, qui ne doit pas être monopolisé par des intérêts particuliers. Cela est aussi nécessaire à l’émergence de nouveaux acteurs technologiques européens.

A trop vouloir réguler, l'Union européenne pourrait-elle risquer d'étouffer tout développement de l'IA sur le sol européen ?

La révolution que représentent les modèles de langage relève autant de géants du secteur technologique que d’entrants sur la scène, qui ont naturellement tendance à être rachetés ou financés par ces premiers. Cela a été le cas d’OpenAI, soutenu par Microsoft (avec une part minoritaire). Le développement de l’IA est désormais marqué par une explosion de développement open source, reposant sur la reprise et le partage de modèles. Google sonnait récemment l’alarme, en interne, face à cette dynamique. Un autre géant comme Meta se la réapproprie plutôt, en rendant son principal modèle de langage (LLaMa) open source. Yann Le Cun, célèbre pionnier des réseaux de neurones et « chief AI scientist » de Meta, figure d’ailleurs parmi les signataires de la pétition.

L’open source offre à l’Europe une opportunité de rattraper son retard, car le continent dispose des compétences scientifiques nécessaires. La startup française Mistral a été capable de lever 105 millions d’euros, sur la base essentiellement d’idées et de compétences de pointe, avant d’avoir développé un produit et alors que ses premiers employés prennent à peine leur fonction.

Pour autant, les compagnies qui s'expriment dans cette lettre ouverte ont-elles quoi que ce soit de concret et réaliste à proposer ?

Elles soulignent la complexité du texte et sa rigidité, reposant sur des catégories d’ores et déjà en plein bouleversement, au regard de l’évolution des modèles de langage. Ils appellent, à juste titre, à la mise en place d’un cadre plus évolutif, suivant de grands principes, que l’on pourrait appliquer en fonction des développements technologiques. La question reste évidemment celle de l’indépendance du processus législatif et d’encadrement pour éviter le risque de capture réglementaire par les géants du secteur, favorables à une régulation certes, mais qui les avantageraient face aux entrants. Il est nécessaire de rendre le cadre réglementaire plus flexible et évolutif, tout en garantissant son indépendance et l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène technologique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !