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Règle des 3% de déficit : l’inavouable cuisine interne de la Commission européenne pour masquer les effets réels de sa stratégie économique
©Pixabay

Masque de fer

Une nouvelle fois, pour certains Etats de la zone euro comme l’Espagne, le Portugal, ou la France (pour 2017), les annonces relatives aux déficits publics faites par la Commission Européenne sont en deçà des prévisions initiales, ce qui a pu donner lieu à quelques tensions politiques entre la Commission et les Etats Membres.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Que révèlent ces tensions au sein de la zone euro, qui font suite aux annonces relatives aux déficits publics faites par la Commission Européenne ?

Mathieu Plane : Il y a différents problèmes. Il peut y avoir un écart majeur entre les prévisions de la Commission et celles du gouvernement du pays, comme c’est par exemple le cas en Espagne. En effet, le gouvernement espagnol prévoit une croissance de 3,3 % en 2015 et 2016 alors que la Commission table sur une croissance de 3,1% en 2015 et 2,7 % du PIB en 2016. En raison de cet écart de croissance, mais aussi du fait que la Commission considère que certaines mesures d’économie ne sont pas justifiées, le déficit public espagnol attendu par la Commission en 2016 est de 3,6 % du PIB et non pas de 2,8 % comme l’anticipait le gouvernement espagnol. Or l’Espagne devait ramener son déficit public en-dessous de 3% du PIB en 2016, objectif qui ne sera pas atteint selon la Commission. Donc ou l’Espagne négocie un délai supplémentaire, comme la France l’a fait l’année dernière, ou elle devra mettre en place de nouvelles mesures d’ajustement budgétaire, de l’ordre de 8 milliards d’euros. Dans tous les cas, cela va compliquer la donne du gouvernement en place qui, en pleine période préélectorale, pensait retrouver des marges de manoeuvre budgétaire grâce à la reprise de son économie. En dehors des aspects politiques, il est tout de même intéressant de se pencher sur la mécanique du raisonnement. Imaginons que le gouvernement Rajoy soit de bonne foi et que les prévisions de son ministère des finances soient bien de 3,3 % en 2015 et 2016. Si la Commission ne partage pas ce diagnostic, alors le gouvernement sera contraint de prendre de nouvelles mesures d’austérité qui risquent de casser l’élan de la reprise. La prévision de la Commission n’est donc pas qu’un simple exercice de cadrage et d’information public mais peut interférer directement dans le processus de décision politique des gouvernements. En dehors du fait que cela peut poser un problème démocratique, cela place les prévisions de la Commission dans une position ultra-dominante tout à fait contestable.  

Dans le cas de la France, le problème pour 2017 est un peu différent. En effet, la Commission ne fait pas réellement une prévision pour 2017 mais plutôt une projection en tenant compte uniquement des mesures votées. Or, les mesures d’économie pour 2017 qui font partie du package des 50 milliards d’économies ne sont pas intégrées dans cette prévision ce qui tend à surestimer largement le déficit public. En revanche, au regard des chiffres fournis, il apparait que si le chômage baisse en 2017, c’est qu’il y a un redressement de la croissance, notamment du fait qu’il n’y ait pas d’impulsion budgétaire négative inscrite dans le compte. Mais avec les ajustements budgétaires attendus pour 2017, la croissance devrait être revue à la baisse et le chômage ne baisserait pas. Il y a donc bien un arbitrage à court terme austérité / chômage, même dans les modèles de la Commission.

Nicolas Goetzmann : Les élections générales espagnoles se tiendront le 20 décembre prochain, le Portugal tente encore de former un gouvernement suite au dernier scrutin, ce qui provoque inévitablement des tensions politiques entre des gouvernements qui estiment avoir fait leur travail et une commission qui vient « sanctionner » les résultats des uns et des autres. Mais ce qui est finalement en cause, c’est la vision économique dominante en Europe, c’est-à-dire celle de la consolidation fiscale, du respect des règles du traité, dont l’Allemagne est devenue la garante. Cette ligne politique est ainsi portée par le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, mais également par le très influent Martin Selmayr, actuel chef de cabinet de Jean Claude Juncker, qui préside la Commission. Puisqu’Angela Merkel a décidé elle-même de faire de l’Espagne un modèle à suivre en termes de réformes, il a pu être jugé nécessaire de ne pas trop en faire concernant la réalité, c’est-à-dire un déficit fiscal bien plus important que prévu pour l’Espagne, et ce, malgré la mise en place de réformes majeures dans le pays.

C’est ce qui a donné lieu à un échange « curieux » entre Pierre Moscovici, commissaire européen en charge du respect des règles fiscales et le gouvernement espagnol. Ce dernier ayant accusé l’ancien ministre français d’avoir une approche partisane sur le dossier, et de vouloir influencer les élections, tout cela parce qu’il mettait en doute les estimations de déficits pour l’année 2015. Or, ce déficit est aujourd’hui attendu à 4.7%, ce qui n’arrange pas beaucoup le Premier Ministre Mariano Rajoy à la veille des élections. Et cela n’arrange pas beaucoup plus les faucons de la commission européenne. Ce qui est sans doute le plus absurde, c’est de voir certains membres de la commission se désoler de voir le déficit espagnol être à -4.7%, ce qui est considéré comme un vrai drame, alors qu’au même moment, le taux de chômage est de 22%.

Est-il possible de considérer que la commission européenne opère un tri sélectif des règles à respecter ? Il apparaît notamment que la balance commerciale allemande sera largement excédentaire en cette année 2015, soit 8.7% de son PIB, au-delà d’un maximum fixé à 6%. Comment le justifier ?

Mathieu Plane :  Oui, alors qu’en théorie les procédures de déséquilibre macroéconomique devraient être sur le même plan que le Pacte de Stabilité. Or, dans les faits, il est clair que la Commission est intransigeante sur les règles budgétaires alors qu’elle est beaucoup plus souple avec les indicateurs de déséquilibre macroéconomique. On imagine mal la Commission menacer l’Allemagne de sanctions en raison de ses excédents commerciaux trop élevés. Cela pose un problème car  le but des procédures de déséquilibres macroéconomiques était d’avoir un éventail d’indicateurs macroéconomiques reflétant mieux la situation économique d’un pays, avec les risques éventuels que celui-ci présente pour la zone, en ne se focalisant pas uniquement sur les finances publiques. Et ces procédures de déséquilibres macroéconomiques contiennent des aspects symétriques comme le fait que trop d’excèdent courant dans un pays d’une zone monétaire est un problème au même titre que trop de déficits courants en sont un également. Or dans le cas du Pacte de Stabilité, seuls les déficits publics peuvent être sanctionnés et jamais les excédents qui peuvent pourtant refléter un sous-investissement public qui présente également un problème.

Nicolas Goetzmann : Pour de nombreux dirigeants européens, cette règle relative à la balance de compte courant n’a aucun sens. Pourquoi sanctionner un pays qui parvient à exporter bien plus qu’il n’importe ? Mais en se basant sur le bon sens, on en arrive à oublier qu’il s’agit d’un déséquilibre majeur au sein de la zone euro. Si l’Allemagne en arrive là, c’est qu’elle produit plus qu’elle ne consomme, et donc qu’elle est en état de sous consommation. Cela signifie également que l’Allemagne finance les déficits d’autres pays avec son excédent, ce qui est aussi une cause de la crise que l’Europe a connue. Un tel excès doit donc être corrigé, ce qui peut être fait par de meilleurs salaires pour les travailleurs allemands, ou par des dépenses d’investissement supplémentaires dans le budget du pays. Mais de telles solutions ne correspondent pas à la vision économique allemande, ou plus largement européenne. Ce qui explique qu’aucune sanction n’est appliquée. Concernant les déficits, la zone euro prise dans son ensemble affiche un budget négatif de 2%, la règle des 3% est donc bien respectée, et seuls quelques pays, la Grèce, l’Espagne, la France, le Portugal et la Finlande sont à -3% ou au-delà. A titre de comparaison, le budget des Etats Unis est à -4%, et celui du Royaume Uni est à -4.4% pour 2015, il n’y a donc pas de raison de s’affoler sur ce point.

Un récent document de recherche économique, réalisé notamment par l’ancien secrétaire au Trésor américain, Laurence Summers (et Antonio Fatas) met en cause les politiques d’austérité fiscale sur la croissance à long terme. La commission européenne est-elle finalement plus en prise avec des gouvernements qui ne respectent pas les règles fixées, ou par des effets imprévus des politiques menées ?

Mathieu Plane : Plusieurs études de haut niveau, et certaines dès début 2011, ont démontré que dans un certain contexte (bas de cycle, taux d’intérêt à 0 %, ajustements budgétaires simultanés dans des pays intégrés commercialement) les multiplicateurs budgétaires sont très élevés et que dans ce cadre les politiques d’austérité sur-calibrées étaient contreproductives et pouvaient conduire à des situations économiques déflationnistes catastrophiques sans régler les problèmes budgétaires. Pour autant, les règles budgétaires ont très peu évolué ignorant ces études démontrant le risque que faisait courir les politiques économiques dictées uniquement par des règles comptables. Et il n’est bien sûr pas surprenant que ces politiques d’austérité aient un impact sur la croissance de long terme étant donné le retard d’investissement qu’à pris la zone euro  depuis le début de la crise des subprimes. Or, au regard de la crise que l’on vit maintenant depuis huit ans et des enjeux du 21ème siècle, cela parait être une folie de continuer à batailler sur des dixièmes de points de déficit public en relayant au second plan des sujets majeurs que sont le climat ou le plein-emploi.

Nicolas Goetzmann : Selon Fatas et Summers, les politiques de consolidation fiscale en Europe ont eu pour effet de briser la croissance à court terme, d’alimenter la progression des déficits et de la dette, mais également de provoquer une baisse significative de la croissance potentielle à long terme des pays concernés. Ce qui fait quand même beaucoup. Lorsque l’on pense que l’objectif initial était de permettre un retour de la « confiance » en réduisant le montant des dépenses budgétaires, on ne peut que se rendre compte que c’est le résultat opposé qui a été atteint. D’une part, la croissance n’est pas revenue, le chômage est toujours à 10.8%, et la dette totale de la zone euro atteint 94% du PIB. En réalité, les européens ont traité un symptôme, c’est-à-dire les déficits et la dette, au lieu de traiter la cause, qui était le manque de croissance. Ce qui a eu pour conséquence d’aggraver le mal. Aujourd’hui, l’objectif est de glisser ces résultats sous le tapis et d’adopter la politique du déni. Mais la réalité est qu’avec une politique opposée, les Etats Unis et le Royaume Uni sont parvenus à faire baisser leur taux de chômage à un niveau proche de 5%.

Concernant la Grèce et l’Espagne, il est aujourd’hui avéré que toute baisse des dépenses budgétaires, dans une période de récession à un effet multiplicateur récessif élevé, soit supérieure à 2. Ce qui signifie qu’une baisse de dépense de 1 entraîne une baisse du PIB de 2, ce qui rend impossible l’amélioration du rapport déficit sur PIB, et tend même à la dégrader. C’est ce qui s’appelle se tirer une balle dans le pied ; mener des politiques impopulaires qui ont provoqué un chaos économique, c’est-à-dire des taux de chômage supérieurs à 20% dans ces deux pays.

Finalement, eu égard aux avancées de la recherche économique depuis le début de la crise, les règles fixées par le traité de Maastricht sont-elles encore pertinentes afin d’assurer le bon fonctionnement de la zone euro ?

Mathieu Plane : Non, ces règles fixées initialement par le Traité de Maastricht n’ont pas permis d’éviter la crise dans laquelle on est enlisée depuis 2008, qui trouve pourtant son origine dans les subprimes américains. Rappelons juste que les Etats-Unis sont désormais 10 points de PIB au-dessus de leur niveau d’avant crise alors que la zone euro vient tout juste de retrouver ce niveau. Et le taux de chômage est à 5,1 % aux Etats-Unis, soit un niveau inférieur à celui qui prévalait au moment de la faillite de Lehman Brothers, alors que bien qu’en diminution dans la zone euro, celui est encore de 10,8 %, soit plus de 3 points au-dessus de son niveau de mi-2008. Il est d’ailleurs intéressant de constater  que le Président de la Commission européenne, qui a fait le constat d’un sous-investissement en Europe, propose que tout pays qui abonde dans le fonds « Juncker » ait la possibilité de décompter le montant investi dans ce fonds du calcul de son déficit public. Ainsi, le Président de la Commission propose de contourner les règles budgétaires trop rigides du Pacte de Stabilité, dont il est le garant, pour relancer l’investissement plutôt que de les réformer.

Il est donc urgent de remettre à plat ces règles budgétaires de façon à ce qu’elle permette aux pays de la zone euro de retrouver le chemin de l’investissement et de l’emploi.

Nicolas Goetzmann : Les règles du traité de Maastricht pourraient encore avoir du sens si elles étaient appliquées dans leur ensemble, mais surtout dans l’esprit dans lequel elles ont été conçues. La base est un déficit public maximal de 3% en un endettement maximum de 60%. Si ces chiffres ont été fixés de manière arbitraire, ils ont un sens, puisqu’ils suivent une logique. On imaginait alors que la croissance « nominale », c’est-à-dire la croissance qui tient compte de l’inflation allait être de 5% en termes annuels. Ainsi, si l’on prend l’exemple d’un pays qui a un PIB de 100 et une dette de 60%, comme cela est demandé, et que l’on applique la formule, on obtient un PIB qui progresse de 5, soit 105, et un déficit qui augmente de 3, ce qui donne une dette de 63. Ce qui maintien le ratio de dette sur PIB à 60%. Tout est parfait.

Le problème de la zone euro n’a donc pas été de laisser filer les déficits et la dette, le problème de la zone euro est que la croissance nominale de 5% a été complètement oubliée. Ce qui a rendu tout ajustement impossible. Alors si les gouvernements veulent continuer à s’amuser à respecter les règles, ils doivent aussi se poser la question de l’efficacité de la Banque centrale européenne, seule à même de contrôler la croissance nominale. Or, il apparaît que la BCE, en raison d’un mandat mal adapté, et de pas mal d’incompétence durant la période 2008-2011, n’a pas été en mesure de fournir une telle croissance nominale. La cause du problème est ici. Les déficits et la dette n’en sont que les conséquences. 

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