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Régis de Castelnau : "Le Parquet national financier, créé par François Hollande, s’est transformé en machine de guerre contre la droite, et en outil de protection des amis d’Emmanuel Macron"
©Damien MEYER / AFP

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Dans "Une Justice politique" (éditions de L’Artilleur), Régis de Castelnau retrace et dévoile les différents visages de la politisation de la justice.

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Atlantico : Vous publiez « Une Justice politique: Des années Chirac au système Macron, histoire d'un dévoiement » aux éditions de L’Artilleur. De Michel Noir à Emmanuel Macron, en passant par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou l’affaire Fillon, vous retracez et dévoilez les différents visages de la politisation de la justice. Comment expliquer ce phénomène ? Comment en sommes-nous arrivés là ?  

Regis de Castelnau : Il est difficile de résumer un processus trentenaire en quelques phrases. Simplement il faut essayer d’identifier les ressorts qui ont enclenché une évolution aboutissant à une situation très problématique pour un pays comme la France. Où l’appareil judiciaire est en mesure de peser lourdement sur les processus politiques et démocratiques comme on l’a vu justement avec la disqualification judiciaire du favori de la présidentielles 2017 pour permettre l’arrivée au pouvoir d’un parfait inconnu choisi par les grands intérêts économiques et la haute fonction publique d’État.

Pendant deux siècles, c’est-à-dire depuis le Premier Empire la justice française se caractérisait par une soumission au pouvoir politique qui permettait de considérer qu’elle était une courroie de transmission de celui-ci. Dans plusieurs pays d’Europe, à la fin des années 80 la situation politique a changé, et le système classique de démocratie représentative dans lequel les partis politiques de masse jouaient un rôle important est entré en crise. La disparition des grandes idéologies a entraîné la disparition des militants de ces partis qui ont eu alors recours pour leur financement à des expédients. C’est-à-dire à une corruption généralisée de la gestion publique, toutes les décisions favorables au entreprises privées devenant le support de contreparties en à base de commissions occultes. Cela ne fut pas supporté par l’opinion publique qui approuva et soutint l’offensive lancée par le pouvoir judiciaire allié à la presse contre la classe politique. La magistrature saisit alors l’opportunité qui lui était offerte de son émancipation et de l’accession à son indépendance. Le problème est que cette indépendance conquise par l’abaissement et la mise en accusation systématique du pouvoir politique se réalisa au profit non d’un renforcement de l’impartialité de la justice dont la fameuse indépendance est le levier, mais au contraire de l’instauration d’une partialité politique. Faute de véritables clivages idéologiques et politiques entre les grands partis, l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques est devenue une (mauvaise) habitude qui atteint certain paroxysme avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république. C’est dans ces conditions qu’au printemps 2017 l’appareil judiciaire rallié à la candidature d’Emmanuel Macron est intervenu dans le processus électoral pour disqualifier judiciairement le favori de l’élection présidentielle.

Suite à des révélations de Mediapart et selon des informations du Monde, le Parquet national financier a confirmé l’ouverture d’une enquête préliminaire visant Nicolas Sarkozy au sujet d’un contrat de 3 millions d’euros passé avec le groupe Reso-Garantia. Assiste-t-on à une nouvelle médiatisation et judiciarisation, voire un certain acharnement judiciaire, contre Nicolas Sarkozy alors que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a confirmé cette semaine l’illégalité de la publication d’enregistrements de Mme Bettencourt par Mediapart et que Ziad Takieddine a été entendu par des magistrats français le 14 janvier au Liban dans le cadre de l’affaire dite du financement libyen ?

L’acharnement judiciaire contre Nicolas Sarkozy est une évidence et cette annonce d’une nouvelle enquête préliminaire n’en est qu’une nouvelle illustration. On notera que la nouvelle offensive part du Parquet National Financier, outil sur-mesure créé par François Hollande pendant sa présidence. Création destinée à compléter le pôle d’instruction financier composé de magistrats du siège pour beaucoup militants de gauche, et qui s’est transformé en machine de guerre contre la droite, et en outil de protection des amis d’Emmanuel Macron qui jusqu’à présent ont bénéficié de larges mansuétudes judiciaires. L’exemple de la publication des conversations entre Madame Bettencourt et son avocat, relevant du secret professionnel, et cependant publiées par Mediapart et particulièrement révélateur. En effet, cette énormité juridique a pourtant été validée par la Cour de cassation qui s’est ainsi trouvée une fois de plus en contradiction avec laCEDH sur une question de liberté fondamentale. L’on a pu malheureusement constater depuis quelques années que dès lors qu’il s’agissait de raids judiciaires contre les hommes politiques de droite la haute juridiction mettait beaucoup de souplesse à valider des initiatives dont on aurait pu penser qu’elles étaient grossièrement illégales. J’en ai cité quelques-unes dans mon livre, il y en a malheureusement d’autres. Quant à l’audition de Ziad Takieddine réalisé en urgence au Liban dans une affaire portant sur des faits intervenus en 2007 et pour lesquels aucune charge sérieuse n’a pu être établie, elle caractérise cet acharnement fébrile à l’encontre de celui dont on semble craindre chez certains, un éventuel retour politique.

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti est visé par une procédure de la Cour de la justice de la République pour « prise illégale d’intérêt ». Les magistrats sont-ils en train de faire une nouvelle victime ? Est-il possible de construire un contrepoids au pouvoir de plus en plus important des magistrats ?

Emmanuel Macron aurait-il commis une erreur tactique avec la nomination d’Eric Dupond Moretti place Vendôme alors qu’à l’évidence celui-ci est haï par les magistrats ? En effet depuis l’arrivée de cet avocat tonitruant, le corps des magistrats dans son ensemble, fait tout pour obtenir son départ. Je dis le corps des magistrats dans son ensemble car différentes manifestations l’ont établi et surtout a première présidente de la Cour de cassation et le procureur général s’en sont faits les porte-paroles. La décision de la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (CJR) composée uniquement de magistrats professionnels de considérer comme recevables (!) les plaintes des syndicats de magistrats contre Dupond Moretti, en est une nouvelle preuve. Puisque cette décision va permettre la mise en examen du Garde des Sceaux créant ainsi une situation assez invraisemblable ou le pouvoir judiciaire qui devrait être séparé considère que comme pour le président de la république en 2017 c’est à lui qu’il appartient de dire qui peut être ministre de la justice !

Emmanuel Macron est dans une situation délicate, car soit il cède et se débarrasse d’Éric Dupond Moretti et il perdra la face et se retrouvera dans une situation politique affaiblie. Soit il accepte l’épreuve de force et le conserve. Les magistrats disposent de tous les moyens pour le mettre en difficulté sur le plan judiciaire. Non pas directement puisqu’il est protégé par son immunité constitutionnelle, mais, de Richard Ferrand à François Bayrou en passant par Alexis Kolher, Gérard Darmanin et autres Benalla, il y a suffisamment de gens à inquiéter dans son entourage.

La Cour de cassation a rejeté ce mardi les trois pourvois formés par l’ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, Françoise Martres, après sa condamnation pour injure publique dans l’affaire du « Mur des cons », selon des informations du Monde. Quel regard portez-vous sur cette décision ? Faut-il y voir un signal ?  

Il ne faut pas se laisser prendre à cette diversion. La décision de la Cour de cassation permet de prétendre que la magistrature est capable de faire la police dans ses propres rangs. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé avec cette procédure. En effet l’existence de ce « Mur des cons » dans un local ouvert à tous les vents, constituait une revendication de partialité politique pour les magistrats. Revendication confirmée dans un article de justification de l’existence de ce panneau signé par d’anciens dirigeants des deux principales organisations syndicales ! La réponse à ce manquement gravissime n’était pas le lancement d’une procédure issue de la loi sur la presse, mais bien une procédure disciplinaire pour sanctionner cette atteinte majeure au devoir de réserve. Pour ma part je considère que ce « signal » est plutôt quelque chose de négatif.

Que faut-il penser de la tentative de judiciarisation de la crise sanitaire et des menaces de poursuites judiciaires qui pèsent sur la classe politique et les médecins face à la pandémie de Covid-19 et face à la pression des citoyens ou de certaines associations et collectifs ? Le Premier ministre Edouard Philippe avait évoqué cette crainte lors de son audition devant la Commission de l’Assemblée nationale. Cette menace ne porte-t-elle pas atteinte à l’action politique et du gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie ?

Il est clair que l’incompétence arrogante a caractérisé la gestion gouvernementale de la première vague du Covid 19. Et que des fautes très graves ont été commises dont certaines relevent de l’appréciation du juge en application du code pénal. Le problème est que beaucoup se sont dès ce moment-là précipité sur le judiciaire pour tenter de faire rendre gorge à un pouvoir qui se caractérise par la désinvolture et le mépris. Ne retenons que l’exemple du directeur général de la santé Jérôme Salomon dont les responsabilités écrasantes ont été pointées par les commissions parlementaires d’enquête. Personne dans la sphère gouvernementale n’a simplement envisagé qu’il puisse démissionner. L’irresponsabilité est ainsi institutionnalisée. Il n’y a donc pas à être surpris que face à la gabegie qui perdure dans la gestion de la deuxième vague, comme le démontre la stratégie vaccinale, beaucoup se précipitent vers le prétoire pour s’y exprimer. Parce que malheureusement ce qui porte atteinte « à l’action politique du gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie » c’est plutôt l’incompétence de celui-ci, qui est à l’origine de nos déboires, et non pas le risque pénal. Surtout que l’on sait très bien que si affairespénales il y a à la suite de la pandémie, les procédures seront longues et complexes et que les décisions n’interviendront que dans plusieurs années.

Quelle solution préconisez-vous pour une justice apaisée et pour réduire l’influence de cette politisation de la justice ? Au regard des sommes et du temps investis dans toutes ces procédures qui aboutissent souvent à des non-lieux, l’administration judiciaire ne pourrait-elle pas se réinventer ? La campagne de 2022, marquée par la crise sanitaire, ne risque-t-elle pas d’être polluée par des affaires judiciaires comme lors du séisme médiatico-judiciaire de l’affaire Fillon ? 

Nous courons effectivement un réel danger de voir la justice récidiver et intervenir, dans le processus électoral qui s’ouvre. Jusqu’à présent deux candidats se sont officiellement déclarés : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ils sont tous les deux concernés par des procédures judiciaires en cours, qu’il serait très simple de réactiver au bon moment. Je ne formule pas là une accusation, je pointe une hypothèse que le raid judiciaire contre François Fillon au printemps 2017 rend tout à fait plausible.

Malheureusement, cette politisation dont je considère qu’elle est une réalité, est trop souvent considérée par le monde politique comme un atout. Beaucoup de ceux qui ont protesté contre le sort fait à François Fillon, , ne verraient peut-être pas d’inconvénient à ce que cela arrive de nouveau à un de leurs concurrents. On touche là une question essentielle qui est celle de la nécessité que ceux qui portés aux responsabilités par l’élection, réaffirment clairement et nettement qu’il n’est pas acceptable que la justice soit devenue un pouvoir politique. Et mettent en œuvre ou préconisent les mesures permettant de mettre fin à ce dévoiement. Il en existe un certain nombre, dont la restauration d’une discipline républicaine minimum devrait être la première.

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Régis de Castelnau publie « Une Justice politique : Des années Chirac au système Macron, histoire d'un dévoiement » aux éditions L’Artilleur

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