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Réforme des institutions : oui le Parlement a besoin d’une agence d’évaluation de son fonctionnement. Mais pas forcément telle que l’envisage François de Rugy
©GERARD JULIEN / AFP

Contre-expertise

François de Rugy, dans une interview aux Echos, annonce sa volonté de créer une agence parlementaire d'évaluation. "Soit, et c'est ma préférence, nous obtenons la tutelle d'un organisme existant, en l'occurrence France stratégie, aujourd'hui sous la houlette du Premier ministre. Si ce n'est pas le cas, nous n'abandonnerons pas : nous créerons notre propre agence".

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le Parlement contrôle le gouvernement, mais lui-même n'est pas réellement contrôlé sur différents aspects de son fonctionnement. Que pensez-vous de la création d'une agence parlementaire d'évaluation ?

Jacques Bichot : Dans le principe, ce serait une excellente chose, car le Parlement ne devrait pas être amené à voter des projets de loi (donc des textes rédigés au niveau gouvernemental) sur la seule base d’une analyse de ses effets probables fournie par le Gouvernement. Certes, les commissions de l’Assemblée et du Sénat auditionnent des experts pour se forger une opinion, mais ce n’est pas suffisant. Quant aux études d’impact qui accompagnent les avant-projets de loi, celles que j’ai lues (relatives à des projets de loi dans des domaines sur lesquels je travaille en tant qu’économiste) m’ont souvent semblé ressembler étrangement aux « exposés des motifs » dont on se contentait jadis. Un exposé des motifs, comme son nom l’indique, dit quels effets le Gouvernement espère de ces nouvelles dispositions qu’il veut faire voter par le Parlement ; il ne constitue pas une analyse de l’adéquation de ce texte aux buts poursuivis par les pouvoirs publics.

Prenons un exemple simple : un ensemble de dispositions contenues dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), destiné à ce que les Français soient mieux soignés pour un coût inférieur. L’intention est excellente mais, comme on dit, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Il faut des experts réellement compétents pour étudier l’effet qu’auront probablement les mesures envisagées. Telle disposition relative à l’organisation des urgences dans les hôpitaux (secteur de l’activité hospitalière qui n’est pas sans poser quelques problèmes !) peut être l’expression des meilleures intentions du monde et pourtant avoir pour effet probable d’accentuer les dysfonctionnements qui affectent ces malheureux services d’urgence. Le Parlement, amené à voter ou non telle disposition, par exemple une réforme des services d’urgence, doit disposer d’une expertise indépendante de celle du Gouvernement. C’est le principe de la contre-expertise : quand la réponse à une question est délicate, mieux vaut deux avis éclairés qu’un seul. Or, parfois, il n’y a tout simplement aucun avis fondé sur une analyse solide des effets probables des mesures envisagées !

Le principe d’une Agence parlementaire d’évaluation est donc excellent. De plus, la réduction du nombre des Parlementaires, si elle a lieu, devrait générer des économies qu’il serait judicieux d’investir dans la création et le fonctionnement de ce service d’expertise indépendante. La question se pose toutefois de savoir si l’Assemblée et le Sénat doivent avoir chacun leur propre Agence, ou s’il serait raisonnable de mettre leurs moyens en commun.

Confier cette mission à France Stratégie vous semble-t-il pertinent ? Les organismes de contrôle existants pourraient-ils être sollicités et rationalisés dans cet objectif ?

Le Président de l’Assemblée nationale, dans l’interview citée, se prononce pour le rattachement au Parlement d’un organisme existant, France Stratégie, qui a pris le relais du Commissariat général du Plan. Il parle d’en obtenir « la tutelle ». Ce que je connais des travaux de France stratégie ne m’incite pas à partager son avis. Certes, France Stratégie n’est pas seulement un « lieu de débat et de concertation », selon la formule utilisée sur son site, un organisme attaché à « dialoguer avec les partenaires sociaux et la société civile », c’est aussi « un organisme d’études et de prospective, d’évaluation des politiques publiques et de propositions ». Mais son expertise ne me paraît pas être à la hauteur de l’enjeu. C’est un organisme qui surfe volontiers sur la vague des idées à la mode, par exemple les miracles du numérique ou les conférences de consensus. Sans doute pourrait-on y recruter un certain nombre de bons éléments, mais en les intégrant à une nouvelle équipe, à un organisme créé pour remplir la mission spécifique consistant à essayer de déterminer quelles seraient les conséquences de telles mesures législatives.

Bien d’autres organismes pourraient, soit servir de viviers où recruter les experts, soit se voir confier des investigations réalisées pour le compte de l’organisme parlementaire. Au passage, si l’on en profitait pour réduire le nombre des organismes administratifs destinés à produire des analyses, de façon à disposer de moins d’équipes, mais plus étoffées et davantage pluridisciplinaires, ce serait faire œuvre utile. Prenons un exemple, le secrétariat du Conseil d’orientation des retraites, équipe absolument minuscule (une douzaine de personnes) en comparaison de l’importance économique et sociale du champ qu’il doit labourer (les retraites, en France représentent environ 14 % du PIB). Ce conseil, en lui-même, est un de ces ectoplasmes dont on pourrait se passer, mais l’équipe formant son secrétariat pourrait être intégrée dans un organisme d’études plus charpenté tel que la DREES, qui a vocation à donner naissance à un organisme moins étroitement dépendant des ministères sociaux … et à fournir des experts pour l’organisme parlementaire dont rêve François de Rugy.

Quelles sont les conditions pour qu'une telle agence soit vraiment efficace et quelles compétences jugez-vous indispensables ?

Cette Agence atteindra une réelle efficacité si elle s’attache les services de personnes vraiment compétentes, soit comme salariés permanents à temps plein, soit comme « personnes ressources » mobilisables lorsqu’un projet ou une proposition de loi commencerait à prendre corps. Il lui faudra aussi savoir sous-traiter des analyses ou des études requises pour procéder à une analyse des effets probables d’une innovation législative.

Une seconde condition est son absolue indépendance : elle devra produire un travail scientifique, et non une aimable dissertation sur les bienfaits ou effets indésirables d’un projet de loi. Ses membres permanents devraient donc avoir un statut ressemblant à celui des magistrats de la Cour des comptes, qui peuvent librement mener leurs investigations même si elles ne plaisent pas aux pouvoirs publics.

Comment éviter de créer un organisme sans moyens et sans pouvoir d'investigation comme on a pu le voir sur d'autres sujets ?

Il existe en France pléthore d’organismes, dont certains n’ont pas la taille critique, dont d’autres ont une sphère de compétence trop étroite. Recomposer ce paysage de la recherche appliquée aux politiques publiques, en ayant moins d’organismes, plus puissants et mieux dirigés, serait une opération très salutaire. Peut-être faudra-t-il in fine allouer des moyens financiers supplémentaires, mais je n’en suis pas sûr, j’aurais plutôt tendance à penser que des économies seront possibles si l’on organise mieux la matière grise dont, fort heureusement, les organismes de recherche français sont assez bien pourvus.

La République a besoin de savants, elle le sait en théorie, mais elle n’arrive pas à déterminer comment les employer au maximum de leurs capacités, et elle gaspille beaucoup de talents. La recomposition du réseau d’organismes existant associée à la mise en place d’un organisme parlementaire d’étude des effets probables des dispositions législatives envisagées pourrait être une véritable chance pour la France. Les moyens existent, mais ils sont mal structurés et mal organisés : il faut absolument que l’intéressante idée de François de Rugy débouche sur une réorganisation de ce secteur de la recherche et booste la productivité du système qui permettrait de mieux savoir où va la France quand ses parlementaires votent une nouvelle loi.

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