Record de lauréats au bac : une très très fausse bonne nouvelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Les résultats du baccalauréat 2014 rendus public jeudi 10 juillet affichent un taux de réussite de 87,9%.
Les résultats du baccalauréat 2014 rendus public jeudi 10 juillet affichent un taux de réussite de 87,9%.
©wwikipédia

Tous égaux !

Hourra ! La France a enregistré en 2014 un taux de réussite au bac encore jamais atteint : 87,9%. Grâce aux directives du ministère de l’Éducation, les 100% ne devraient plus tarder à être atteints.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Atlantico : Les résultats du baccalauréat 2014 rendus public jeudi 10 juillet affichent un taux de réussite de 87,9%. Un record historique alors même que le ministre de L'Education nationale avait annoncé des résultats moins bons que les précédentes années. Comment expliquer ces résultats alors même que le niveau des élèves ne cesse de baisser ? Que penser du cru 2014 ?

Jean-Paul Brighelli : Petit raisonnement simple : Benoît Hamon annonce des résultats en baisse à la fin du premier tour des épreuves, la semaine dernière — et les résultats aujourd’hui sont en hausse sur l’année dernière — chaque ministre tenant à faire mieux que son prédécesseur. On imagine bien que les candidats malchanceux du premier tour n’ont pas reçu l’illumination en quelques jours : les consignes de correction des oraux de rattrapage, tout comme les consignes de correction des écrits, font du laxisme le premier principe pédagogique. On a aujourd’hui près de 13% de mentions TB, contre 0,1% en 1970, et plus de 120 néo-bacheliers ont eu une moyenne supérieure à 20 : sans doute parce que le niveau monte sans cesse. Les bonnes notes sont si dévaluées que la mention TB n’implique plus depuis belle lurette l’entrée automatique dans un IEP. Le cru 2014 sera donc foncièrement le même que les précédents : de la piquette. On appelle cela, en viticulture, faire pisser la vigne. Ma foi, l’image me convient assez. Ce n’est plus un examen, c’est un exercice diurétique visant à transvaser des lycéens dans l’université — où ils iront se fracasser, c’est inévitable. 

Lire également : Les résultats du bac vus de l’intérieur : les secrets des notes gonflées

Dans quel état d'esprit les professeurs sont-ils aujourd'hui ? Comment vivent-ils cette lente mais certaine dégradation du bac ?

Ils hésitent entre le fatalisme, l’indignation, et l’esprit de révolte — vite réprimé, puisque les présidents de jurys, le corps inspectoral, l’ensemble de la hiérarchie qui signale aux correcteurs que leur centre fait moins bien que le centre voisin, ce qui contrarie les statisticiens, ces grands manitous de la réussite scolaire. On n’a pas le Bac parce qu’on a un certain niveau, mais pour faire plaisir aux ordinateurs du ministère. Tout le monde le sait, les consignes qui il y a dix ans étaient encore verbales sont aujourd’hui écrites, et publiées. 

De quels moyens disposent-ils pour faire entendre leur désaccord ?

Aucun. S’ils sévissent, ils se mettent élèves et parents à dos — sans compter leur propre hiérarchie. De toute façon, le Bac ne vaut plus rien : c’est le rite de passage le plus cher au monde, et le plus inutile, comme je l’expliquais dans un billet récent sur mon blog.

Si 80% d'une classe d'âge obtient aujourd'hui le baccalauréat, n'est-ce pas au détriment de l'examen et surtout des élèves ? Quelles sont les conséquences pour les élèves qui s'apprêtent à poursuivre des études supérieures ?

Statistiques, suite : 50% des néo-bacheliers s’effondrent en université dans les deux premières années — un pourcentage qui monte jusqu’à 98% chez les titulaires d’un Bac professionnel qui s’aventurent en fac. Quant aux élèves les meilleurs (classes prépas, IUT, BTS…), ils ont été sélectionnés en mai, bien avant d’avoir le sacro-saint papier. Le problème n’est pas le Bac : c’est ce que l’on fait avant — ce très peu et très mal dont le Bac est la sanction illusoire.

Donner le bac à tout le monde, n'est-ce pas finalement contribuer à élargir le fossé entre ceux qui ont des capacités et les autres, pour résumer : n'aider personne ?

En fait, tout se passe comme si on tenait absolument à donner raison à Bourdieu (les Héritiers, la Reproduction, etc.). Le Bac n’a plus de raison d’être, et les "initiés" le savent si bien qu’ils se sont débrouillés pour entrer dans des formations réellement qualifiantes — les classes prépas, par exemple. Quant aux autres, ceux qui ont coûté si cher en projets ZEP, en remédiations, en colloques et en parlotes, ils vont se fracasser dans l’Enseignement Supérieur, parce qu’il y a toujours un moment où l’on affiche la vérité des prix. À chercher à faire le bonheur tout de suite des postulants, on prépare leur malheur différé. On ferait mieux de donner à tous les lycéens un certificat de fin d’études, et de laisser tout l’enseignement supérieur les inscrire en fonction de leurs résultats sur les deux dernières années. À condition, bien sûr, de remettre le travail au goût du jour. Mais on en est loin, très loin.

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