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Raspoutine, fossoyeur de la Russie tsariste ?
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Bonnes feuilles

Cette biographie de Raspoutine propose de faire la lumière sur les dernières zones d'ombre qui entourent la vie du personnage le plus énigmatique de la Sainte Russie. Extrait de "Raspoutine, prophète ou imposteur ?",de Luc Mary, éditions l'Archipel (1/2).

Luc Mary

Luc Mary

Luc Mary est un écrivain et historien. Il a notamment écrit Mary Stuart, la reine aux trois couronnes (l'Archipel, 2009) et Jeanne d'Arc (Larousse, 2012). Il a aussi coécrit avec Philippe Valode Et si... Napoléon avait triomphé à Waterloo ? L'histoire de France revue et corrigée en 40 uchronies (Editions de l'Opportun, juin 2011)Il est l'auteur de 20 livres et de plus d'une centaine d'articles. Il rédige régulièrement des textes pour la revue Actualité de l’histoire, une rubrique mensuelle consacrée aux uchronies.

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« Sans Raspoutine, il n’y aurait pas eu Lénine. » Kerenski

Été 1914, la Russie entre en guerre dans la liesse générale. Malgré l’influence qu’on lui octroie, Raspoutine n’a pas pu empêcher l’inévitable. Cependant, l’illusion de puissance de l’armée russe est de courte durée. À compter de l’année 1915, l’horizon s’assombrit. Devant le rouleau compresseur allemand, l’armée tsariste cède la Galicie, la Pologne et une partie des territoires baltes. En l’espace de quelques semaines, l’allégresse cède le pas à la suspicion ; on se met bientôt en quête de boucs émissaires. Après avoir emprisonné le ministre de la Guerre, on soupçonne Raspoutine de faire le jeu de Berlin, voire celui des révolutionnaires bolcheviques. Mais toutes ces attaques demeurent vaines. Et ce, malgré la vie débridée de Raspoutine, les scandales qui la ternissent et qui rejaillissent sur le couple impérial. Contre vents et marées, la tsarine soutient l’indésirable Raspoutine ! Mieux encore, après un court moment de disgrâce, l’exilé de Sibérie revient en position de force à Petrograd. Il devient même le véritable maître de la Russie. Gouverné par un moujik illettré, l’Empire paraît moribond. Le tsarisme se lézarde avant même le renversement du tsar. D’une certaine façon, Raspoutine fraie le chemin à Lénine…

Jusqu’au bout, le tsar a espéré éviter le conflit avec l’Allemagne de son « cousin » Guillaume II. Mais ç’eût été trahir ses engagements vis-à-vis de la France. Désormais, Nicolas II ne peut plus reculer, quitte à voir son trône basculer. Et pourtant, en entrant dans la guerre, le dernier des Romanov signe son arrêt de mort.

« Vive la France ! »

Le 20 juillet 1914 1, au palais d’Hiver, l’empereur de toutes les Russies se ressaisit. Devant la Cour au grand complet, rassemblée dans la galerie Saint-Georges, Nicolas reprend à son compte un discours prononcé un siècle plus tôt par son prédécesseur Alexandre Ier, au moment de l’invasion napoléonienne : « Je déclare ici solennellement que je ne signerai pas la paix avant que le dernier soldat ennemi ait quitté notre sol… » L’émotion est à son comble. Enthousiasmés par les paroles de Nicolas II, les dignitaires de la Cour entonnent un Te Deum, puis acclament le couple impérial. « Vive la France ! », n’hésitent pas à crier certains militaires. « Nous ne signerons la paix qu’à Berlin », répètent-ils. Des officiers aux évêques, en passant par tous les hauts fonctionnaires de l’État, c’est à qui s’approchera au plus près du tsar et de l’impératrice pour les toucher, les congratuler ou les embrasser.

Parvenu difficilement au balcon du palais d’Hiver, le couple impérial n’est pas moins impressionné par les clameurs venant de la rue. La ferveur de la populace n’a en effet rien à envier à celle des dignitaires. Plusieurs milliers de Russes acclament leur souverain, brandissant son portrait. À la vue du souverain et de sa femme, une énorme émotion s’empare de la foule massée au pied du palais. Les étendards s’abaissent et tous, riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes s’agenouillent devant les Romanov, entonnant à leur tour l’hymne national, « Dieu protège le tsar ». Puis tous se relèvent et s’ensuit une ovation interminable. Neuf ans après le « dimanche rouge », le peuple aurait-il pardonné à son souverain ? Le tsar en est intimement convaincu. Une impression déjà ressentie à la faveur des fêtes du Tricentenaire. Ragaillardi par ces ovations inattendues, Nicolas II est maintenant persuadé d’avoir reçu une mission divine. Son rêve le plus ambitieux est de conquérir Constantinople et de dresser la croix orthodoxe sur le toit de la basilique Sainte-Sophie. De son côté, Alexandra est loin de partager l’enthousiasme de son mari. Cette ferveur populaire la gêne. N’est-ce pas le sang de ses compatriotes que la Russie appelle à répandre sur son sol ? À défaut d’arrêter la guerre, Alix et ses filles préféreront travailler en tant qu’infirmières à l’hôpital du palais de Tsarskoïé Sélo. Pour la première fois dans sa vie d’impératrice mal-aimée, Alix se sentira utile…

Quand Raspoutine feint de se ranger à l’engouement patriotique

« La guerre a mis fin à toutes nos dissensions intestines… Le peuple russe n’a pas éprouvé une pareille secousse de patriotisme depuis 1812. » Ainsi s’exprime le président de la Douma, Mikhaïl Rodzianko, au soir de la journée historique du 20 juillet. Raspoutine lui-même semble emporté par cet incontrôlable élan patriotique. Mais ce n’est qu’une manoeuvre pour échapper au lynchage ! Finies les prophéties apocalyptiques, abandonnée la rhétorique du peuple qui souffre, l’heure est à l’unité, pour ne pas dire à l’union sacrée 1. Mieux encore, le starets feint de partager l’idée commune selon laquelle la guerre allait être courte. Et la Russie en serait la grande bénéficiaire ! Triste illusion. En son for intérieur, Raspoutine considère toujours la guerre comme une aberration. Mais il est fataliste : « Les gens cesseront de faire la guerre quand les gamins cesseront de se bagarrer », se lamente-t‑il…

De retour dans la capitale, rebaptisée en raison des circonstances de la guerre Petrograd 1, Grigori abandonne son combat contre l’entrée de la Russie dans le conflit. Un revirement de façade. D’apparence spontanée et bon enfant, il n’en est pas moins rusé et calculateur. Même s’il continue à critiquer le bien-fondé de la guerre, il admet qu’elle a enfin permis l’union sacrée entre le tsar et son peuple. Le conflit contre l’Allemagne a aussi un autre avantage : celui de renforcer la lutte contre le « serpent vert » (la vodka), un thème cher au protégé de la tsarine… Mais, paradoxalement, le chantre de la fermeture des cabarets sombre dans l’alcool, la fête à outrance et la débauche. Comme si la guerre autorisait tous les excès ! À défaut de boire de la vodka, il ingurgite des tonnes de vin, en particulier du madère. Durablement choqué par l’attentat de Khionia Gousseva, Raspoutine montre en effet une insatiable soif de plaisirs. Et ne pouvant concevoir de vivre sans être ivre, l’homme de Dieu confond allègrement camaraderie, beuverie et orgie./em>

Informée des débordements de son moujik, Alix ne cesse pas de le défendre. Quand on lui apporte la preuve des soûleries de Grigori, elle manifeste la plus parfaite mauvaise foi en prétendant que la police a simplement confondu le saint homme avec un monstrueux imposteur. De ce soutien inconditionnel, Raspoutine est parfaitement conscient. Et le starets de s’en vanter au cours de soirées bien arrosées. Les scandales ? Il s’en moque ou, plutôt, il les provoque. Car chacun d’eux renforce sa célébrité et sa place tant convoitée auprès du couple impérial. À compter de l’automne 1914, Grigori le Débauché a définitivement pris le pas sur Grigori le Pacifiste. Tandis que, sur le front, les soldats russes, mal armés, mal équipés et mal commandés, essuient leurs premiers revers…

Extrait de "Raspoutine, prophète ou imposteur ?", de Luc Mary, éditions l'Archipel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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