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Rachat du Groenland : mais que diable allait faire Donald Trump dans cette galère ?
©JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Gel des négociations

Le coup médiatique de Donald Trump s'explique par la stratégie américaine dans l'Arctique, une zone de plus en plus disputée.

Mikaa Mered

Mikaa Mered

Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI) à Paris. Son ouvrage Les Mondes polaires (PUF, 2019) sortira en librairie le 16 octobre.

 

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Atlantico : il y a eu un effet de surprise générale cette semaine à propos de l’initiative de Donald Trump qui a déclaré vouloir acheter le Groenland au Danemark. Est-ce qu’il est possible pour un Etat d’acheter un territoire étranger ? A quelles conditions ? Dans ce cas précis, était-il possible de le faire ?

Mikå Mered : Dans l’absolu, il est possible d’acheter un territoire, que ce soit une parcelle, par exemple pour faire une base militaire ou un port, ou un pays entier, à la condition sine qua non qu’il y ait un consentement des populations à ce rachat. Dans le cas du Groenland, le consentement à l’annexion par rachat aurait donc dû prendre la forme d’un référendum. Il n’y a certes pas beaucoup de précédents, mais c’est tout à fait possible dans le droit international. Rien n’empêche de passer un traité d’achat, de transfert de territoire avec un autre Etat moyennant finance ou protection militaire.

Mais c’est là où le cas intéressant : les Groenlandais n’ont aucun intérêt à vendre leur pays aux Américains. Ni les Groenlandais ne le veulent, ni les Danois en réalité. A partir de là, il était certain, dès le départ, qu’aussi bien le Danemark et le Groenland opposeraient une fin de non-recevoir à Donald Trump. Et Donald Trump le savait bien.

Comment expliquer le refus du Danemark et du Groenland ?  

Il y a deux raisons. Le Groenland de son côté, cherchant à devenir indépendant, veut éviter le scénario dans lequel ils remplaceraient une tutelle par une autre tutelle, qu’elle soit politique ou économique. Très attachés à cette indépendance, les Groenlandais n’ont aucun intérêt à se vendre, ni maintenant, ni dans un futur proche.

En ce qui concerne les Danois, il faut comprendre qu'aujourd’hui le Groenland dispose d’un statut de semi-autonomie au sein de la couronne danoise. Le Groenland peut théoriquement déclarer son indépendance à n’importe quel moment. Les Danois sont donc dans une situation où leur intérêt principal, c’est d’accompagner ce territoire pour que, l’indépendance réalisée, elle ne se fasse pas contre le Danemark : il faut que cette indépendance se réalise d’un commun accord. Ils veulent en somme quelque chose qui ressemble au Commonwealth britannique. Il s’agit pour eux de conserver une porte d’entrée privilégiée au Groenland.

Quels sont les intérêts du Danemark au Groenland ? Qu’est-ce qui pouvait donc intéresser Donald Trump dans le pays ?

Il y a un intérêt diplomatique d’abord. Le Danemark participe aujourd’hui au jeu arctique, par la grâce de ce territoire. Aucun autre territoire danois n’est situé au-dessus du cercle polaire. Le jour où le Groenland devient indépendant, le Danemark perd donc sa qualité de pays arctique. Or l’Arctique va devenir un territoire stratégique à l’échelle mondiale.

Deuxième raison : le Groenland est un immense trésor à ressources. Il regorge de pétrole, de gaz, de minerais en tout genre. Pour l’économie danoise – et en particulier les grands groupes de construction, de logistique, ingénierie, ou des groupes miniers – cela vaut le coup de conserver un accès privilégié au Groenland pour pouvoir exploiter in fine ces ressources.

Comme vous l'avez dit, Donald Trump ne pouvait ignorer la décision du Groenland et du Danemark, et la difficulté qu’il aurait, au Congrès et à la Chambre des Représentants, à faire entériner cette décision. Pourquoi donc cette initiative médiatique qui semble hasardeuse ?

C’est tout sauf hasardeux.

En matière de politique intérieure, sa méthode consiste à saturer l’espace médiatique afin de réduire l’exposition de ses opposants. En l’occurrence, les démocrates lancent leurs primaires. Donald Trump veut donc les réduire au silence médiatique. C’est la première raison qui explique cette initiative.

Le deuxième sujet, c’est qu’au niveau international, les Etats-Unis se sont réengagés stratégiquement dans l’Arctique. Tout est bon, à toutes les échelles de l’administration, pour porter des messages forts à l’International sur cette idée de réengagement américain en Arctique. Donald Trump n’ignore évidemment pas l’incapacité d’acheter le Groenland. Ce qu’il essaie de faire, c’est envoyer un message fort à la Russie dans un premier temps,  à la Chine dans un deuxième temps, et à l’ensemble des puissances arctiques enfin. 

Pour aller plus loin, lisez le livre de Mikå Mered, Les mondes polaires, à paraître au PUF le 16/10/2019.

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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