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Qui sont encore les grands chefs djihadistes en Afrique ?
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La mort de plus en plus probable du leader islamiste Abou Zeid rebat les cartes au sein de la hiérarchie des différents groupes djihadistes combattant au Nord-Mali. Décryptage des potentiels successeurs.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Atlantico : Quelles sont aujourd’hui les têtes pensantes du jihadisme en Afrique du Nord  et au Sahel?

Mathieu Guidère : On trouve dans la région différents groupes armés que l’on peut répartir en trois grandes catégories :

  • Les formations dépendantes ou affiliées à AQMI
  • Les formations rattachées aux Touaregs islamistes
  • Enfin les formations étrangères qui fonctionnent de manière relativement indépendante

La première catégorie possédait jusque-là trois grands chefs désignés en interne par le mot "émirs" (commandant). Le plus connu était le fameux Abdelhamid Abou Zeid qui était l’émir de la brigade Tarek Ibn Ziyad (du nom du chef berbère qui a conquis l’Espagne au VIIIe siècle, NDLR). Le deuxième émir rattaché à AQMI, moins connu en Occident, se nomme Yahia Abou Al-Hammamet il est très actif dans le sud algérien et une partie de la Mauritanie.L’autre « vieux » chef, désormais indépendant, est Mokhtar Belmokhtar qui s’est récemment illustré dans la prise d’otages d’In Amenas et qui dirigeait la brigade (katiba) des « enturbannés » (Al-Moulathamine). Ce dernier a fait sécession d’AQMI fin 2012 et a créé sa propre formation dite des « Signataires par le sang » (Al-Mouwakioune bi al-Dimâ').On trouve aussi d’autres chefs désormais dissidents d’AQMI tels que le mauritanien Hamada Ould Mohammad Kheirou etAbou al-Walid al-Sahraoui qui sont respectivement le fondateur et le porte-parole du Mujao (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest), formation désormais bien connue des médias.

Dans la mouvance des islamistes touaregs (à ne pas confondre avec les touaregs laïques du MNLA), on trouve principalement le mouvement Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag Ghali. Son neveu, Abdelkrim al-Targui (ou Talbi), a formé sa propre brigade baptisée "Al-Ansar" (les Soutiens). On trouve aussi dans cette mouvance, Abou Abdelhakim Al-Qayrawani, Touareg originaire de Kidal, qui a lui aussi fait sécession en avril 2012 pour fonder sa propre brigade, Youssef Ibn Tachfine (du nom du premier calife berbère d'Afrique du Nord). On trouve enfin, l'un des chefs des Bérabiches, Omar Ould Hamaha, surnommé « le barbu rouge », qui a de son côté créé le groupe "Ansar al-Charia".

Enfin, les katibas étrangères  qui fonctionnent à part. On y trouve pèle mêle les combattants originaires de Somalie (Shebabs), entraînés par Mokhtar Abou al-Zubayr, des combattants de Boko Haram, très présents au Nigéria, sous la direction d'Aboubaker Yusuf, ces derniers ayant formulé plusieurs menaces à l’égard de la France et enlevé récemment une famille d'expatriés. Viennent ensuite les versions libyennes, égyptiennes et tunisiennes d’Ansar al-Charia, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la mouvance d’Omar Ould Hamaha mais qui ont répondu à l’appel d’AQMI et des Touaregs islamistes pour venir les soutenir au nord du Mali.

AQMI avait jusque-là réussi à imposer sa prédominance sur les autres formations. La mort, de plus en plus probable, du leader qu’était Abou Zeid laisse aujourd’hui une vacance du pouvoir.  Un nouveau chef fédérateur peut-il réussir à s’imposer ?

C'est peu probable, car les dissensions entre les différents chefs de brigades se faisaient déjà ressentir avant le début de l’intervention française au Mali. Peu après la conquête de Tombouctou par les jihadistes (avril 2012, NDLR), les principaux chefs islamistes se sont réunis à l’invitation d’Iyad Ag Ghali pour discuter de la formation d’une plateforme commune, ce qui révélait alors une relative unité des différents mouvements. Abou Zeid a néanmoins brisé cette entente en tentant d’imposer une ligne dure (maintien du djihad global et application stricte de la Charia) propre à Al-Qaïda. Cette posture, peu consensuelle, a même été désavouée par son chef direct, Abdelmalek Droukdal, alias Abou Moussab Abdelwadoud, qui représente AQMI sur toute la zone nord-africaine.

Malgré ce mécontentement, il se trouve qu’Abou Zeid a pu continuer à imposer plus ou moins son leadership, ce dernier disposant des combattants les plus aguerris et les plus fanatisés. C’est cependant à partir de ce moment que l’on a vu plusieurs chefs et sous-commandants, cités plus haut, former leurs propres katibas pour échapper au commandement direct d’AQMI. La mort, probable d’Abou Zeid  n’arrange rien à la situation; elle ne fait qu’accélérer la tendance à la fragmentation des différentes mouvances.

Qui est aujourd’hui le mieux placé  ?

S'il n'était pas également donné pour mort par les Tchadiens, Moktar Belmoktar aurait été le mieux placé pour diriger ces mouvances jihadistes au Sahel. Mais sa mort n'a pas été confirmé par AQMI; bien au contraire. Un membre de sa brigade des « signataires par le sang » a annoncé le contraire à Sahara Médias. S’il est bien vivant, on peut dire qu’il a des ambitions. L’attaque organisée en janvier sur le site gazier d’In Amenas était déjà une démonstration de force et une tentative de reprendre le leadership à Abou Zeid, en s'attaquant à sa province natale (Illizi où il est né, NDLR), alors que lui-même (Abou Zeid) n'y était jamais parvenu auparavant. Cette manœuvre a en tout cas permis à Belmoktar de retrouver l’estime de plusieurs jihadistes qui jusque-là hésitaient entre les deux chefs les plus « charismatiques » d'AQMI. 

Ces bouleversements peuvent-ils déboucher sur une lutte interne ?

A ce stade cela me paraît exclu. L’ennemi commun, représenté par la France et les armées de la CEDEAO, maintient la pression sur l'ensemble des groupes armés et il semble difficile d’imaginer, dans ce contexte, des affrontements internes ou des règlements de compte fratricides. Les différentes katibas sont actuellement pourchassées dans diverses régions (Gao,  Kidal ou encore les Ifoghas…) mais il est clair cependant que dès que la pression militaire sera moins forte, on assistera à une lutte interne. Car leur stratégie de conquête du Mali s’est soldée par un échec et l’accumulation des frustrations ne fera qu’augmenter la tension entre les chefs survivants des groupes armés. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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