Quelle Europe souhaiterait cette majorité de Français qui reste pro-européenne mais pas telle que l’UE fonctionne aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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73% des français sont favorables au projet européen. Pourtant seulement 19% sont satisfaits de l'état de l'Europe actuelle.
73% des français sont favorables au projet européen. Pourtant seulement 19% sont satisfaits de l'état de l'Europe actuelle.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Divisés

En réalité, les Français sont aussi divisés sur les affaires européennes qu’ils le sont sur les affaires proprement françaises.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, experte de l'opinion et de la gestion de crise. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

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Atlantico : 73% des français sont favorables au projet européen. Pourtant seulement 19% sont satisfaits de l'état de l'Europe actuelle. Quel Europe souhaitent en réalité les Français ?

Christophe Bouillaud : En réalité, les Français sont aussi divisés sur les affaires européennes qu’ils le sont sur les affaires proprement françaises. Chaque segment de l’opinion publique souhaiterait une Europe plus conforme à ses préoccupations, et approuve dans l’action de l’Union européenne ce qu’il approuve ou pas au niveau français. Selon le récent sondage du CEVIPOF sur les élections européennes (Enquête Ipsos pour le CEVIPOF, Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne, vague 3, mars 2024), sur toutes les politiques européennes testées, les partisans de la majorité présidentielle leur donnent le plus souvent une meilleure note que les partisans des oppositions de droite ou de gauche. Par exemple, l’influence de l’UE sur le tourisme en France obtient la bonne note moyenne de 5,6/10, mais, chez les partisans du RN, ce n’est que 4,9 et chez les partisans de Reconquête, 5,1/10. On notera en passant que le tourisme n’est pas vraiment une compétence propre de l’Union européenne, et que l’état de ce dernier dépend en réalité à 100% des politiques publiques et des choix privés adoptés par les acteurs nationaux. Faire un bon ou un mauvais accueil aux touristes ne dépend que du pays qui accueille.

Les vrais points d’insatisfaction s’observent, sans surprise, à l’extrême droite. En matière d’immigration, la note moyenne donnée par les partisans du RN est de 1,9/10 et de 1/10 chez ceux de Reconquête. Il en va de même sur l’agriculture, 2,3/10 (RN)  et 1,8/10 (R !) ou les industries en France, 3,3/10 (RN) et 2,4/10 (R§). Sur toutes les politiques publiques testées, c’est toujours l’extrême-droite qui dispose des partisans les plus insatisfaits des politiques européennes. Même sur le pouvoir d’achat en France, les partisans du RN donnent une note moyenne de 2,5/10 comme ceux de Reconquête, alors que ceux de FI donnent en moyenne 3,7/10. Sans surprise, les partisans de la majorité donnent eux 5,1/10.

Au vu de ce sondage, on pourrait dire que, pour l’ensemble de l’opinion, les trois points durs de critique de l’action de l’Union européenne sont le pouvoir d’achat en France (3,7/10), l’immigration (3,5/10) et l’agriculture en France (3,5/10). Les moyennes pour l’ensemble de l’opinion sont bien sûr influencées par le poids grandissant de l’électorat d’extrême-droite dans ce même sondage. Cependant, notons que même les partisans de la majorité présidentielle ne donnent pas la moyenne à l’Europe sur l’immigration (4,5/10) et l’agriculture (4,9/10). 

Si l’on veut identifier un noyau dur des critiques de l’opinion, c’est donc sur les flux migratoires et sur la gestion de l’agriculture qu’il faut se concentrer. En somme, les Français veulent à peu près la même Europe qu’actuellement, mais où l’immigration est contrôlée sévèrement et où la «Ferme France » continue à exister. La vision très critique de l’opinion publique sur ce dernier point correspond bien sûr aux mobilisations du monde agricole que nous venons de vivre. Rappelons que, toujours selon les sondages, les Français se sentaient solidaires dans leur immense majorité des agriculteurs.

Véronique Reille Soult : Sur les 2, 8 Millions de messages qui ont été postées sur les 30 derniers jours sur les réseaux sociaux en France sur l’Europe, on constate clairement qu’elle n’est plus rejetée mais plus incomprise. En effet dans de très nombreux messages les Français présentent l’Union Européennes comme une instance qui peut et doit protéger leurs intérêts. L’exemple le plus souvent cité est issu de la crise des agriculteurs où les mesures miroirs ont été mises en avant comme illustration de la logique protectrice des intérêts. L’insatisfaction actuelle ressentie face à l’Europe n’est donc pas un rejet du principe et de l’Union mais le sentiment que les règles ne sont ni réellement protectrices ni porteuses de projets.

La volonté des Français traduit-elle une ambiguïté vis à vis de l'Europe ? Dans quelques cas les chiffres montrent que leur volonté est contradictoire ? 

Christophe Bouillaud : Effectivement, même s’ils ont tendance à mal noter les politiques européennes testées par ce sondage, les sondés ne sont que 23% à répondre qu’ils ressentiraient un vif soulagement si l’Europe était abandonné, contre 47% de grands regrets et 30% de l’indifférence. Ils sont 73% à être pour le projet européen (dont 53% de personnes tout de même critiques), et seulement 27% opposés. 

En somme, les sondés sont pour l’Europe en tant qu’elle représente toujours un projet de paix entre les nations européennes, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’aient pas des critiques à son égard sur l’ensemble des politiques publiques qu’ils perçoivent comme liées à l’Europe, à tort ou à raison d’ailleurs. En effet, comme entend le montrer mon propos précédent sur le tourisme, il faut bien souligner qu’en réalité, pour la plupart des politiques publiques, celles testée dans ce sondage du CEVIPOF, l’efficacité ou l’inefficacité de ces dernières tient avant tout aux choix faits au niveau national. Comme le montre la grande diversité au sein des pays de l’Union européenne en matière de réussite économique et sociale, celle-ci dépend toujours prioritairement de caractéristiques nationales. Comme pour nos voisins italiens, qui ne vont guère mieux que nous, nos difficultés tiennent aux manquements de nos propres dirigeants depuis des décennies en matière de stratégie économique et sociale.  

Véronique Reille Soult : Ils ne sont pas contradictoires, ils sont en attente de projets et de clarté. L’analyse des messages postées et de l’engagement, corrélé à celle de l’enquête Ipsos pour le Cevipof sur les élections européennes, le démontre. Pour un grand nombre de français les élections européennes doivent leur permettre de comprendre la vision de chaque parti de façon claire. Une vision globale, pas uniquement sur un seul point comme c’est le cas actuellement sur l’Ukraine. Une demande de vision globale pour laquelle les électeurs attendent de connaitre la « feuille de route » proposée avec des actions concrètes. C’est à cette condition qu’ils choisiront et iront voter.

Existe-t-il une crainte démocratique des Français vis à vis de l'Europe ? Souhaitent-ils une meilleure représentation ? Dans quel cas veulent-ils que l'Europe laisse plus de place à la souveraineté nationale ? 

Christophe Bouillaud : On ne sera pas surpris d’apprendre, toujours selon ce sondage du CEVIPOF, que ce sont prioritairement les partisans du RN et de Reconquête qui sont particulièrement hostiles à tout transfert supplémentaire de compétences à l’Union européenne. Ils pensent que l’intégration est déjà allée trop loin (3,6 sur 10 pour les partisans du RN et 2,7 sur 10 pour ceux de Reconquête). Ce sont les seuls segments de l’électorat qui voudraient majoritairement revenir en arrière (tous les autres sont au-dessus de 5/10, signifiant une volonté d’avancer encore vers l’intégration). Même du côté de la gauche de la gauche (FI ou PCI) leurs partisans voudraient avancer (respectivement 5,4 sur 10 et 5,3 sur 10), Cette situation correspond à une tendance observée depuis quelques années à l’échelle de toute l’Union européenne : les partis d’extrême-droite ont tendance à mobiliser sur des électorats très hostiles à une intégration européenne plus poussée, alors que la gauche dans toutes ses composantes (socialistes, communistes reformés, insoumis, etc.) devient en pratique plus fédéraliste. Le jeu politique semble donc se réarticuler autour de la vieille dichotomie nationalisme/internationalisme.

Véronique Reille Soult : La réalité de la perception des français face à l’Union européenne est la méconnaissance voire l’incompréhension du fonctionnement de l’instance « à quoi sert le parlement européen par rapport à la commission ? »  est l’expression qui résume le mieux la perception par l’opinion de l’UE et qui explique souvent le manque de motivation pour aller voter. En effet on ne comprend pas à comment cela fonctionne, comment les décisions sont prises et comment les intérêts nationaux sont défendus. Pour ce qui est du sentiment de nécessité de défense de la souveraineté national contre les autres pays au sein de l’UE, on constate qu’il est plutôt poussé par ceux qui considèrent l’Europe comme un « mal inévitable » face auquel il faut être vigilent et toujours voter pour protéger la France. Mais il faut noter que pour un nombre beaucoup plus important de Français l’europe n’est pas incompatible avec la souveraineté nationale. L’exemple des agriculteurs et des clauses miroirs est à nouveau la démonstration de la protection de notre propre souveraineté.

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