Que risque vraiment la France avec les marchés financiers (et Bruxelles…) si la réforme des retraites était avortée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les engagements que la France a pris vis-à-vis de Bruxelles sont principalement pris au titre du pacte de stabilité et de croissance : retour à des finances publiques assainies, etc.
Les engagements que la France a pris vis-à-vis de Bruxelles sont principalement pris au titre du pacte de stabilité et de croissance : retour à des finances publiques assainies, etc.
©Michel Euler / POOL / AFP

Crédibilité

Et si c’était beaucoup moins qu’on le redoute…

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Qu’est-ce que l’Europe attend concrètement de la France ? Quels sont les engagements formellement pris par la France sur le sujet des retraites ? 

Bruno Alomar : Les engagements que la France a pris vis-à-vis de Bruxelles sont principalement pris au titre du pacte de stabilité et de croissance : retour à des finances publiques assainies, etc. Mais dans les faits, il n’y a aucun engagement réel. Cela fait bien longtemps qu’on a compris que le pacte de stabilité et de croissance et plus largement les règles européennes étaient incapables de forcer la France à remettre ses finances publiques dans un état compatible avec les règles européennes. En fait tout s’est joué à l’automne 2003, quand la France, sous le gouvernement Raffarin, s’est entendue avec l’Allemagne pour ne pas respecter les règles. Depuis, la succession des crises et l’incapacité des dirigeants (Sarkozy, Hollande, Macron) ont fait le reste. Pour ce qui concerne l’UE, interrogé par des « petits pays » sur la mansuétude de la Commission à l’égard de la France, le Président de la Commission Juncker avait fini par admettre « France is different ». Traduisez : "la France est trop grande pour être contrainte".

Don Diego De La Vega : Pas grand-chose. Tout dépend de ce qu’on appelle engagement. Il y a la pensée magique « je souhaiterais », à la Macron. Il y a les engagements couchés sur papier qu’on fait valider à nos partenaires. Et ensuite il y a les engagements gravés dans le marbre sous forme de traités ou autre. Bruxelles souhaite un processus de réformes « structurelles » qui ont été demandées et rebrandées depuis dix ans. Ce sont des réformes de l'offre productive, puisqu’il y avait des rigidités nominales et réelles en zone euro. Il y en a toujours d’ailleurs. Ainsi, Bruxelles recommande des réformes sur le marché du travail, la fiscalité, les retraites, etc. « en vue de corriger des déséquilibres macroéconomiques ».  La France s’engage régulièrement sur le sujet, et dit qu’elle fait des progrès sur ces sujets via des réformes sectorielles ou transversales. Nous n’avons pas pris d’engagement ferme à faire une retraite et nous avons encore moins spécifié les modalités de cette dernière. Edouard Philippe proposait en 2019 une réforme bien différente. Nous ne nous sommes pas engagés sur un timing ou sur un montant de dépenses à économiser. Notre engagement reste à portée générale. Il vise un alignement à terme avec les autres pays européens sur différentes normes, notamment les retraites.  

Dans le texte du plan de relance présenté à la Commission européenne, il est pourtant bien indiqué que les investissements « seront accompagnés de réformes destinées à en accroître l’impact et à soutenir également le potentiel de croissance. Ainsi, entre autres, les réformes engagées amélioreront l’efficacité de la politique du logement, du marché du travail et de l’assurance-chômage, et, lorsque les conditions le permettront, du régime des retraites »,  Cet engagement n’a donc que peu de valeur ?

Don Diego De La Vega :C’est exact, mais ce n’est pas compris dans les « points focaux » du plan de relance. Ces points focaux sont ceux qui pourraient entraîner une suspension des fonds européens s’ils étaient rompus. Donc puisqu’il n’y a pas de chantage budgétaire potentiel derrière, ce n’est pas un vrai engagement.

Qu’est-ce qu’on risque si on ne réforme pas les retraites dans ces conditions ? 

Bruno Alomar : Il n’y a pas de risque à court terme. En revanche, si la réforme des retraites doit être retirée, ce sera un clou en plus dans le cercueil de la crédibilité française en Europe. Elle est déjà réduite en matière économique. Aujourd’hui, les dirigeants européens et l’UE – ils ont raison - considèrent les performances économiques de la France pour ce qu’elles sont : médiocres. Un renoncement sur le dossier des retraites fragilisera les positions françaises sur d’autres domaines : énergie, commerce, défense, etc. 

Plus largement, si l’on pense que la France a un rôle majeur à jouer pour faire évoluer l’UE, personne n’a à se réjouir de son affaiblissement. C’est d’ailleurs le problème essentiel de l’UE : elle a impérativement besoin de la France pour évoluer…mais d’une France réformée. C’est la raison pour laquelle être européen, pour les dirigeants français, ce n’est pas faire de grands discours qui agacent ses partenaires : c’est, en priorité, réformer l’économie française. C’est ce qu’Emmanuel Macron n’a jamais compris. 

Don Diego De La Vega : Rien. On ne risque rien à Bruxelles, surtout si on sait se faire respecter - ce qui n’est pas le cas.  Il n’y aura pas de bras de fer en cas de non-réforme des retraites, il y a énormément de sujets bien plus importants. Peut-que certains nous regarderont de travers et concluront que la France est vraiment impossible à réformer.

Que risque-t-on du côté des marchés ? 

Bruno Alomar : Ce risque est difficile à évaluer. Les marchés sont imprévisibles et brutaux et d’aucuns pourraient considérer les réformes des retraites comme un test.  

Don Diego De La Vega : On ne risque rien non plus des marchés, car ils ne sont pas à la manœuvre, ils n’ont pas décidé de cette réforme dont ils n’ont rien à faire. Ça ne fait pas bouger un OAT 10 ans, surtout dans une période dans laquelle la BCE enchaîne les hausses de taux. La BCE est en train de tuer l’économie française alors une potentiellement non-réforme des retraites n’intéresse personne. Les marchés attendent, de toutes manières, de moins en moins de la France.

Au regard du rapport de force actuel cela a-t-il un sens de vouloir respecter nos engagements et les desiderata de Bruxelles et Berlin ? Faut-il accepter de s'y plier ? Devrait-on refuser ? 

Bruno Alomar : Une fois encore, les engagements vis-à-vis de l’UE ont été trop systématiquement non suivis d’effets pour leur conférer une grande importance.  

Sur l’Allemagne, je ne sais pas ce que vous appelez les desiderata de Berlin. En matière énergétique, ce que veut l’Allemagne est clair et contraire aux intérêts de la France sur beaucoup de points : moins de nucléaire, importer de l’hydrogène carboné etc. En matière de défense également : continuer à acheter du matériel américain, affaiblir une BITD française qui est par nature, en ce qu’elle délivre des meilleures performances que les acteurs industriels allemands, une sorte de scandale  continué Outre-Rhin. Sur tous ces sujets, je l’ai dit, France et Allemagne sont opposés. Mais pas sur d’autres, moins controversés et donc moins publics. Globalement, le fait que la France s’enfonce dans la non-réforme avantage clairement l’Allemagne.  

Pour le reste, la position de la France est assez simple depuis 20 ans : ne rien faire qui puisse faire craindre une rupture franco-allemande qui aurait pour conséquence de mettre fin à la capacité des dirigeants français à maintenir un niveau de dépenses élevés sans réforme de l’économie, grâce à la forte capacité d’endettement que permet l’euro. Pour le dire autrement : ne pas réformer l’économie française - donc prioritairement sa sphère publique et ses dépenses sociales - mais acheter la paix sociale en France à coup de dépenses publiques financées par les impôts les plus élevés au monde (au Danemark près) et par une dette qui ne nous coûte pas trop chère…tant que l’euro existe. C’est le piège infernal de l’euro. C’est la raison d’une servitude volontaire française à l’égard de l’Allemagne (ou de ce que certains prêtent à l’Allemagne), que la France est désormais contrainte de remettre en cause quand elle débouche sur des catastrophes désormais trop visibles comme les difficultés de notre filière nucléaire, que l'Allemagne attise depuis vingt ans au travers d'une Commission européenne qui bien qu'elle s'en défende a un biais anti-nucléaire marqué.

Don Diego De La Vega : Cette réforme n’a pas de sens, elle est injuste, et l’énergie politique dépensée pour la faire passer sera indisponible pour faire les réformes qui auraient été bien plus nécessaires. Ne serait-ce que commencer par une révolution foncière pour construire des logements. Aujourd’hui, la réforme est trop souvent synonyme de sacrifice. Et de sacrifice vain. C’est une réforme budgétariste à courte vue et un marqueur politique. Nous ne sommes plus gouvernés, nous sommes pilotés.

Est-ce que même s’il y a une dégradation de la note de la France, cela aurait des conséquences sur le coût de notre dette ? 

Don Diego De La Vega : Les agences de notation sont considérées par la plupart des économistes de marché comme des gags, dont le seul vrai pouvoir de nuire repose dans les autorisations à émettre. Ils deviennent problématiques à ce moment-là. Si la note était autant dégradée, cela aurait peut-être un impact parce que ça empêcherait un certain nombre de fonds de pension d’acheter de la dette française. Mais nous en sommes loin.  Et jusqu’à présent, même quand la note française a été un peu dégradée, cela s’est plutôt traduit par une baisse des taux d’intérêts. 

Par ailleurs, la France est déjà à terre, conjoncturellement, structurellement, financièrement, etc. Les élites françaises ont mis le pays à terre. Donc la non-réforme des retraites ne va pas nous menacer plus que ça.

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