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Quand les autorités américaines avertissent Bruxelles du danger d'une trop grande ouverture commerciale à la Chine… dans l'indifférence des capitales européennes
©Reuters

Alerte rouge

La Commission européenne doit se prononcer d'ici février 2016 sur l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine. Alors qu'Allemagne et Italie se déchirent sur ce dossier, les Etats-Unis alertent leurs partenaires européens sur les conséquences d'une telle décision sur l'emploi manufacturier et la croissance.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Dans le cadre des rapprochements commerciaux entre la Chine et l'UE depuis 2012, la Commission européenne doit se prononcer d'ici février 2016 sur le statut d'économie de marché à accorder à la Chine. Les Etats-Unis ont alerté les autorités européennes quant aux risques d'accorder à la Chine ce statut d'économie de marché. De quelle nature sont ces risques ? L'UE en a-t-elle réellement conscience ? 

Frédéric Farah : Les risques sont nombreux du fait d’une potentielle concurrence déloyale, l’Economic Policy Institute estime que les risques de perte d’emplois pour la France serait de l’ordre de 350 000 entre 2017-2020. De manière générale selon cette étude entre 1,7 millions et 3,5 millions d’emplois seraient menacés en Europe. Autrement dit selon cette source, la  croissance perdrait 1 à 2 points de pourcentage par an. Ce sont des industries intelligentes qui seraient menacées. En somme,  entre 2,4 % à 4,8 % de l’emploi manufacturier pourrait disparaître. L’impact est d’autant plus fort lorsque l’on sait que le poids des importations chinoises qui sont passées en valeur de 74 milliards d’euros en 2000 à 359 milliards d’euros en 2015 dans l’UE. 

L’UE a plus tendance à retenir les avantages supposés pour ne pas dire fictifs du libre-échange que les dangers.  Ils risquent d’être économiques et politiques. Economiques avec la perte de richesse de déficits mais politiques car ce sont les moins qualifiés, le monde ouvrier des franges des employés et des classes moyennes inférieurs qui vont subir le coût d’ajustement.  Certains d’entre eux seront tentés par des aventures politiques aux extrêmes de l’échiquier.

Les craintes américaines, concernant principalement le dumping, sont-elles fondées ? Quel intérêt y-a-t-il pour les Etats-Unis à mettre en garde leurs partenaires européens sur le statut d'économie de marché de la Chine ? 

Les craintes américaines sont fondées, on pourrait le dire si on sait qu’au 1er septembre 2015 les Etats Unis maintenaient actives 129 mesures anti-dumping à l’égard de la Chine. Mais c’est aussi peu l’arroseur arrosé car les Etats-Unis comme n’importe quel Etat conscient de ses intérêts manipule les prix : buy american act, manipulation du dollar…

L’intérêt des Etats Unis c’est d’inviter les européens à procéder un recentrage vers les Etats-Unis peut être vers le TTIP et préfère de loin que l’que reste un terrain profitable pour ses firmes transnationales. En Europe on plus de 50 000 filiales de firmes transnationales européennes. Les Etats unis n’ont rien à gagner d’une Europe trop affaiblie, l’Euro est moins un concurrent du dollar que son bouclier.

A l'heure actuelle, la Chine satisfait-elle aux exigences de ce statut ? Dans quelle mesure y tend-elle si ce n'est pas le cas ?

D'emblée, il convient de préciser ce dont il s’agit car l’expression présente une ambiguïté. Nous ne sommes pas ici dans un débat de théorie économique ou de querelles idéologiques afin de savoir si la Chine est économie de marché telle que les manuels d’économies tentent de la définir.

Ce statut renvoie à une question qui concerne uniquement les enquêtes en matière de défense commerciale. C’est à partir des coûts et des prix communiqués, les autorités européennes chargées de l’enquête vont essayer d’établir s’il y a des pratiques anti-dumping ou le recours à des subventions. Dans les pays en transition comme la Chine qui avait le statut d’économie non marchande en 2001 au moment de son accession à l’OMC en 2001, les prix et les coûts sont réputés soumis à l’influence des Etats.

L’union européenne observe une série de critères pour autoriser ou non ce statut : intervention de L’Etat c'est-à-dire s’il existe un traitement égal à l’ensemble des sociétés, le gouvernement d’entreprise pour s’assurer le niveau de conformité avec le droit comptable en vigueur, le droit de la  propriété et de la faillite avec garantie de traitement égal a toutes les sociétés faisant l’objet d’une procédure de faillite, et assujettir le secteur bancaire aux règles du marché.

On pourrait dire si l’on voulait polémiquer que bon nombre de pays développés ne rempliraient qu’imparfaitement ces critères.

Pour l’heure la Commission de Bruxelles recense 32 mesures anti-dumping en vigueur contre la Chine et 22 enquêtes en cours. 

La Chine a fait des efforts mais le secteur financier reste opaque, le financement des entreprises exportatrices fait débat et elle n’a pas signé l’accord international sur les achats publics et on pourrait ajouter même si ce n’est pas dans la préoccupation de l’UE que les droits sociaux sont peu respectés.

Comment sont régies actuellement les relations commerciales entre la Chine et l'UE ? Quels seraient les avantages pour la Chine d'accéder dès 2016 à ce statut, notamment dans le cadre de ses relations commerciales avec l'UE ? 

La Chine est devenue en peu de temps le 2e partenaire commercial de l’Union européenne. En 2006 le pays représentait 10,1% du total des exportations-importations des biens de l’UE, 13,8 en 2014. L’Europe est une des 1ère source d’IDE entrant en Chine. Le montant des IDE chinois à destination de l’Europe représente 9 milliards en 2013  et 50 des investissements cumulés entre 2000 et 2014 ont été réalisés au Royaume Uni , Allemagne et France.

Mais attention tous les pays européens n’ont pas le même degré d’intensité des relations commerciales avec la Chine, le pays leader en la matière c’est l’Allemagne.

Les exportations chinoises seraient libérées des derniers freins à leur pleine expansion.

Au sein de l'UE, on constate de profondes divisions sur la question : la chancelière allemande Angela Merkel et le chancelier de l'échiquier sont favorables au statut d'économie de marché pour la Chine, alors que des pays comme l'Italie y sont opposés. Quelles sont les ressorts de ces divisions ? Où se situe la France dans ces divisions ? Cela ne traduit-il pas un manque de cohérence dans la politique commerciale de l'UE, tout aussi préjudiciable finalement pour l'UE que d'accorder ou non le statut d'économie de marché à la Chine ? 

L’UE est aujourd'hui divisée sur tout ou presque. Elle étale ses divisions à qui veut bien les voir. Ici les alliances TTIP se déchirent. En effet, l’Italie de M Renzi et le gouvernement allemand, je dis bien le gouvernement allemand car la société civile est critique, sont des fervents supporter du TAFTA mais là ils se déchirent.

L’Allemagne compte pour plus de 30% des échanges commerciaux sino-européens. La part des exportations de l’Allemagne vers la Chine  représente 2,5 % du PIB allemand.  L’Allemagne veut garder  des liens privilégiés avec la Chine. L’Italie craint pour son secteur industriel une concurrence déloyale sur fond de crise de l’acier européen.

La France pour l’heure ne semble pas avoir pris position clairement même si les inquiétudes sont nombreuses

La politique commerciale de l’UE et même si le traité de Lisbonne a donné à la Commission de nouvelles compétences dans ce domaine. Dans le cas présent, il appartiendra juridiquement à la Commission d’accepter ou de refuser ce statut, c’est une responsabilité écrasante ; Mais la légitimité de la Commission est énormément discutée. Cette organisation est pro libre échange de manière assez dogmatique. L’Union a peu de stratégie, elle réagit plus qu’elle n’agit.

Par rapport aux avertissements américains, ne pourrait-on pas craindre des conséquences sur la poursuite des négociations liées au Traité transatlantique si jamais l'UE concédait à accorder le statut d'économie de marché à la Chine ?

A dire vrai le TTIP a déjà du plomb dans l’aile. Mathias Fekl, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, disait récemment que les négociations sont au point mort. Parvenir à un accord d’ici la fin de la présidence Obama semble illusoire. Les questions d’achoppement restent nombreuses, les tribunaux internationaux, la question agricole, l’accès aux marches publics, la liste est longue. Oui il y a sur cette  question, un risque de casus belli car n’oublions pas que les traites trans-pacifiques et trans-atlantiques relèvent de la logique de l’endiguement américain de la puissance chinoise. L’UE apparaîtra encore une fois comme un allié peu fiable.

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