Quand le Somaliland réalise le rêve de tous les services de renseignement du monde... grâce à une dépendance totale de son économie au téléphone portable<!-- --> | Atlantico.fr
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Il se pourrait bien que nos chers smartphones finissent par devenir très prochainement nos pires ennemis...
Il se pourrait bien que nos chers smartphones finissent par devenir très prochainement nos pires ennemis...
©Reuters

Tous surveillés !

En révélant les informations liées au programme de surveillance Prism de la NSA, Edward Snowden a voulu œuvré en faveur de la démocratie, amplifiant dans le même temps la crainte d'une société totalement espionnée. Pendant ce temps, au Somaliland, un simple appareil courant semble pouvoir pleinement satisfaire les États et les entreprises dans cette quête de contrôle absolu sur nos vies...

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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Les gouvernements et les entreprises, y compris cet authentique développeur d’application pour smartphones localisé en Russie, ont tous un point commun : ils veulent tout savoir. Les données constituent désormais le pouvoir. Avec l’argent. Comme l’a révélé l’affaire Snowden, tout le monde leur court après. Afin de collecter, stocker, extraire et exploiter l’information, les technologies mises en œuvre sont devenues, de façon phénoménale, efficaces et bon marché.

Tout ceci est cependant loin d’être parfait. On ne trouve pas encore de caméras de surveillance à reconnaissance faciale au bout de chaque coin de rue. Tout le monde n’utilise pas encore un téléphone portable. Tout le monde ne publie pas les détails de sa vie sur Facebook. Certains récalcitrants continuent d’utiliser de l’argent liquide pour payer. A la plus grande consternation des gouvernements et des entreprises, certaines choses résistent encore au numérique.

Mais il y a un endroit sur Terre où leurs rêves les plus fous sont en train de devenir réalité, un endroit sur le point d’atteindre un idéal où tous les achats sont traçables grâce…à un seul appareil. Ce lieu n’est pas une solide dictature ou un État super-paternaliste où tout le monde doit détenir une carte nationale d’identité. En fait, il s’agit à peine d’un État, dysfonctionnel dans certains domaines, voir totalement incompétent pour d’autres, et dont la population est depuis des années caractérisées par la pauvreté et l’illettrisme : le Somaliland.

Le téléphone classique – cet appareil dont les câbles dépassent de façon incongrue – y existe à peine. Tout comme les services bancaires. Les câbles à fibre optique ? Difficiles à trouver. Les câbles en cuir? Ils ont été vole et vendu pour quelques bouts de ferraille. Les cartes de crédit? Pas besoin. Le Somaliland a déclaré son indépendance vis-à-vis de la Somalie en 1991 mais n’a toujours pas été reconnu. Et pourtant, le paiement par mobile y est devenu la norme.

Ce phénomène – d’une utilisation généralisée des téléphones portables pour tout un vaste ensemble de services incluant les paiements – est nouveau, rapide, en pleine expansion, et révolutionnaire pour l’Afrique. Ceci a permis aux individus de dépasser des décennies de développement technologique minutieux. L’accueil réservé est à la fois teinté d’admiration et d’approbation ; le dernier en date, paru dans The Globe and Mail, relate à quel point il est facile et normal d’utiliser son téléphone portable pour tous ses achats, que ce soit dans les magasins, auprès des vendeurs de rue, pour payer son ticket de bus, se faire cirer les chaussures, ou bien encore acheter du khat afin de profiter de ses effets psychotropes toute un après-midi.

“Jamais nous ne nous promenons avec ne serait-ce qu’un dollar en liquide dans notre poche” explique Moustapha Osman Guelleh, directeur général de l’usine locale d’embouteillage Coca-Cola. Près de 80% de ses ventes aux distributeurs sont gérées par Zaad, le service de paiement en ligne du plus grand opérateur téléphonique, Telesom. Les autres transactions sont réalisées par voie bancaire. “ Nous n’avons aucunement besoin de mettre à l’abri des espèces“  affirme-t-il. L’entreprise paie même ses employés grâce à Zaad. Une entreprise dépourvue de liquidités, dans une société délaissant de plus en plus l’usage de l’argent liquide.

“Le plus amusant est que même les personnes illettrées savent s’en servir”, avoue Khader Aden Hussein, manager de l’hôtel Ambassador à Hargeisa, la capitale du Somaliland. L’hôtel rémunère ses 300 salariés et près de la moitié de ses fournisseurs par le biais de Zaad.

Cette pratique a bien évidemment ses avantages. Des sms préviennent chacune des parties de la confirmation de la transaction. Chaque mouvement géré par Zaad est réalisé en dollar américain, évitant ainsi d’avoir à compter et manipuler des billets tous trempés et froissés. Par ailleurs, le procédé est sécurisé – ou tout du moins, les transactions sont codées. Le crime lié à l’argent a ainsi perdu toute sa rentabilité. Les mesures de sécurité progressent. Les abonnés sont soumis au pré-paiement, ce qui rend presque nul le risque lié au crédit. Pour les abonnés, ce dernier constitue un autre problème. Pendant ce temps-là, les serveurs de Telesom captent et retiennent chaque bit de données. Pour toujours.

La pratique du paiement par téléphone portable est devenue une pratique commune dans d’autres pays africains: 17 millions de Kenyans y ont recours sur 25 millions d’individus en âge de travailler (à partir de 15 ans). Ce qui se produit actuellement en Afrique – être délivré de la monnaie- est le rêve de n’importe quel gouvernement : finies les transactions anonymes. Ceci marquerait la fin de l’économie souterraine, du marché noir, ou de la contrebande. Les évadés fiscaux de médiocre envergure risquent de voir disparaître un outil précieux. Supprimer l’argent liquide pourrait être utile dans le cadre de la guerre contre la drogue et le terrorisme, ou de toute autre guerre matérielle ou stratégique. Même les monnaies virtuelles, en apparence “anonymes”, nécessitent le recours aux fournisseurs d’accès à Internet, laissant donc une trace numérique, contrairement à l’argent liquide. Si seulement celui-ci pouvait disparaître!

Mais ce qui causera la mort de la technologie n’est pas la disparition de l’argent liquide. Celle-ci résultera de la combinaison entre les données relatives aux paiements et le flux d’informations généré par les téléphones portables, en particulier les smartphones. Aujourd’hui, tout est minutieusement tracé grâce à un simple appareil qui permet une transmission d’informations en continu à de nombreuses entreprises, y compris à cet authentique développeur d’application pour smartphones basé en Russie – au lieu qu’elles soient répandues auprès de différentes banques, compagnies de cartes de crédit…qui ne s’empressent pas toujours de renoncer aux données. Finalement, cela pourrait également sonner le glas de ceux qui s’adonnent au commerce des données. Nous sommes donc arrivés jusqu’au point où un seul appareil est capable de pratiquement tout savoir. D’ici à ce qu’il soit possible de communiquer tout un tas d’informations à n’importe quelle base de données gouvernementale, il n’y a qu’un pas.

Les opinions sont partagées quant à savoir de qui nous devons le plus nous méfier: les gouvernements ou les entreprises. Néanmoins, nous savons une chose: les paiements grâce au téléphone portable et la disparition de l’argent liquide, qui constituent un bond en avant pour les habitants du Somaliland dans leur quête de modernité, aideront également de façon considérable les gouvernements et les entreprises dans leur quête de la société parfaitement surveillée.

Dans cette quête, chacun coopère. A titre d’exemple, Google a acquis en 2004 Keyhole Inc., une société de capital-risque finançant des startups. Cette opération a permis de donner naissance à Google Earth. La technologie mise au point a ensuite servi à Google Maps et à Google Mobile. Parmi les investisseurs? La CIA. Et les révélations de Snowden qui mettent en lumière tous ces arrangements…

Article précédemment paru sur le site Testosterone Pit

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