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Des manifestants contre la réforme des retraites, le 21 janvier 2023 à Paris.
Des manifestants contre la réforme des retraites, le 21 janvier 2023 à Paris.
©THOMAS SAMSON AFP

Travailler plus pour ne pas gagner moins

S’il est possible d’affirmer que cette réforme est pour partie injuste et/ou qu’elle manque d’ambition et ne réglera pas le problème de l’équilibre financier du système de répartition, il est impossible d’ignorer les défis financiers que pose le vieillissement de la population au maintien de notre modèle social.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : S’il est possible d’affirmer que cette réforme des retraites est pour partie injuste et/ou qu’elle manque d’ambition et ne réglera pas le problème de l’équilibre financier du système de répartition, n’a-t-elle pas malgré tout le mérite d’adresser, au moins en partie, la problématique du vieillissement de la population et du maintien de notre modèle social ?

Philippe Crevel : La réforme pose évidemment la question du modèle social et du modèle économique de la France, avec la répartition des charges entre actifs et inactifs, et le financement des dépenses sociales au sens large, bien au-delà des dépenses de retraites et par là, la capacité à générer de la croissance, sachant que nous sommes confrontés à une pénurie de main d’œuvre réelle qui ne peut que s'accroître en raison du vieillissement de la population. Aujourd’hui, une entreprise sur deux rencontre des difficultés pour recruter, en particulier dans le secteur de la santé, la restauration, le bâtiment, mais aussi des ingénieurs, des chaudronniers pour la filière nucléaire, etc.  Cela va s'accroître dans les années à venir. Il va y avoir chaque année plus de 800 000 départs en retraite, ce qui va accroître fortement les pénuries. France Stratégie estime qu’il y aura 760 000 postes à pourvoir chaque année du simple fait de départs à la retraite. Le défi de la réforme est donc d’augmenter le nombre d’actifs afin de pouvoir continuer à avoir des services de qualité et donc d’avoir de la croissance. Ceux qui indiquent qu’il serait possible de partir à 62 ou 60 ans oublient souvent qu’ils seront ensuite les premiers demandeurs en matière de services sociaux : loisirs, service à la personne, santé. C’est donc notre modèle social qui est en question.

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Arrivons-nous à chiffrer les défis financiers que va poser le vieillissement de la population, en matière de maintien de notre modèle social ?

Si la France à l’heure actuelle avait le même taux d’emploi que l’Allemagne, on aurait un équilibre budgétaire (soit 5 points de PIB en plus de recettes publiques). Dans les prochaines années, avec les départs à la retraite, les déséquilibres financiers que l’on connaît actuellement ne peuvent que s'accroître et la capacité à financer les dépenses sociales sera remise en cause, surtout si la France demeure réticente à accueillir une population d’origine étrangère.

Face à ces défis, si on ne veut pas agir sur les retraites, quels leviers nous restent-ils pour agir ?

La réponse pourrait être plus d’immigration pour occuper les emplois vacants. Cela pourrait aussi être une hausse des prélèvements obligatoires, mais celle-ci détruirait les emplois et ne ferait que réduire le potentiel économique du pays et encourager les délocalisations. L’autre moyen consisterait à diminuer les pensions, mais nul ne souhaite agir de la sorte aujourd’hui. D’autant que le pouvoir d’achat des retraités est mis à mal. Le taux de remplacement baissera ces prochaines années du fait des réformes engagées depuis 1993. Le niveau de vie des retraités qui est actuellement légèrement supérieur à celui du reste de la population passera en dessous d’ici la fin de la décennie.

L’autre solution ne serait-elle pas de demander collectivement de travailler plus, d’une manière ou d’une autre ?

La proposition de François Bayrou d’augmenter le temps de travail à 35,5 heures est une réponse rationnelle sur le plan économique. La France a un volume d’heure par salarié faible, avec une productivité qui se dégrade. Inverser la tendance allégerait le financement des dépenses sociales et des dépenses de retraites. Proposer du 37h/semaine aurait cet effet d’accroissement des richesses. Mais la dernière fois que le gouvernement s’est engagé sur cette voie, c’est avec Jean-Pierre Raffarin et la suppression du lundi de Pentecôte. Le chômage est actuellement assez bas, à la surprise de certains. Elle est l’expression, notamment, d’un nombre important de départs à la retraite. C’est bien l’impact démographique qui explique l’évolution du chômage. C’est aussi la baisse de la productivité qui fait que certaines entreprises sont forcées de doubler les postes pour avoir le même niveau de production.

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Le nombre d’heures travaillées effectivement rapportées au nombre d’habitant, la France pointe en bas de classement, comment l’expliquer ?

En nombre d’heures par salarié, la France fait mieux que l’Allemagne, mais il y a moins d’actifs en France qu’en Allemagne, avec un taux d’emploi plus faible, ce qui résulte que lorsque l’on croise les données, la France est dernière. Cela pénalise évidemment la croissance et la production de richesse. D’autre part, la France est sur des productions de services à faible valeur ajoutée, contrairement à l’Allemagne.

Pour autant, on a encore aujourd’hui une productivité importante et malgré tout on gagne moins bien sa vie que dans de nombreux pays ?

Les salaires en France sont plutôt faibles pour deux raisons. D’une part, le poids des prélèvements sociaux est élevé. Un arbitrage entre salaires directs et gains indirects à un impact négatif sur le pouvoir d’achat des ménages. D’autre part, nous avons moins d’emplois industriels que les autres pays. Et les emplois industriels sont mieux rémunérés que les services. La France a un niveau de dépenses publiques élevé ( 56%) du PIB, et les dépenses sociales représentent plus d’un tiers du PIB. Les prélèvements obligatoires représentent 45% du PIB et ne suffisent pas à équilibrer les comptes publics.

Travailler plus pour faire face au défi financier, est-ce possible ?

Entre le pays silencieux et le pays de la raison, dont certains sondages indiquent qu’ils sont conscients des difficultés financières du pays et de l’utilité d’un supplément de travail. Mais de l’autre côté, il y a le pays d’expression, de colère, de défiance, qui indique l’inverse. La question de l’âge de départ à la retraite a mis en relief le rejet de la valeur travail d’une partie de la population. mais je ne suis pas certain qu’elle soit si profonde que cela.  Pour le moment, le gouvernement en place peine à trouver comment remettre la France au travail. Si on ne travaille pas plus, il y aura moins de services, moins de production de richesses et plus de difficultés. Ceux qui ne comprennent pas cela attendent juste que d’autres travaillent à leur place.

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