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Quand Jean d’Ormesson avait la brillante intuition de la crise existentielle que connaît aujourd’hui le capitalisme financier
©AFP

Grand monsieur

En apprenant le décès de Jean d’Ormesson, hier, je me suis souvenu d’un échange avec lui, voici 25 ans, si bref que je l’ai retenu et qu’il me semble synthétiser ce que fut la vie de l’écrivain: une lutte constante mais joyeuse contre le risque d’être happé par le tragique de l’existence et de l’histoire.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

C’était en juin 1992; la France entrait dans le débat sur le Traité de Maastricht. J’avais griffoné quelques lignes dans lesquelles j’exprimais mon désarroi devant l’aveuglement politique de la droite française qui renonçait à exister politiquement en appuyant la marche vers l’euro de François Mitterrand. Ces lignes, je les avais envoyées à une série de personnalités, dont l’écrivain. Je reçus quatre mots de Jean d’Ormesson: « Merci de tout coeur!».  Comme si, en expliquant que la tournure que prenait le débat sur Maastricht, allait tuer la politique donc tourner au détriment des Français, j’avais touché une fibre sensible chez l’écrivain éditorialiste. Mais il n’irait pas plus loin, il resterait au seuil et se contentait de me communiquer un peu de cette joie de vivre qu’il tressait comme une cote de mailles. 

J’ai relu hier hier un article d’août 2011, dans lequel Jean d’Ormesson s’interrogeait sur la crise du système occidental suite à la chute du Mur de Berlin. Crise née non pas de sa faiblesse  mais de sa force, de la démesure qu’elle a engendrée. D’Ormesson a observé avec lucidité, une fois de plus, le tragique de la condition humaine. Et il convoque Hubris et Nemesis, les déesses grecques de la Démesure et de la Rétribution: « Il est à peine besoin de souligner que l’économie de marché victorieuse a été saisie de la même folie qui animait le marxisme, une espèce d’ivresse très proche de la fameuse ubris des Grecs qui frappait les hommes emportés par l’orgueil. Au lendemain de la chute de l’empire stalinien, le professeur Fukuyama célébrait la fin de l’histoire. L’histoire, qui n’a jamais cessé de changer, ne s’en est pas moins poursuivie »

Tout est dit dans ces quelques lignes. Les guerres américaines du Proche-Orient et le choc en retour du 11 septembre; la tentative de s’affranchir des règles de l’émission monétaire et la crise de 2007 qui s’en est suivi. La Tour de Babel qui s’appelle « Union Européenne » et la dissension des peuples avant que cet édifice, qui ambitionne de monter « jusqu’au ciel » soit achevé. Oui, Fukuyama a cru, comme Hegel en son temps, que l’histoire s’était achevée. Et d’Ormesson nous rappelle que c’est une illusion. Angela Merkel a entretenu l’Allemagne et l’Europe dans cette illusion mais le génie de l’histoire est sorti de la bouteille et la pousse inéluctablement en dehors de la Chancellerie. 

Il restera de Jean d’Ormesson des aperçus fulgurants. « Au lendemain de la chute de l’empire stalinien, le Professeur Fukuyama célébrait la fin de l’histoire. L’histoire ne s’en est pas moins poursuivie ». L’écrivain, à la différence de l’universitaire, n’essaie pas d’enfermer le réel dans une formule; il cherche les mots qui épousent la vie, l’existence, l’histoire. Dans le cas de Jean d’Ormesson, les mots avaient aussi pour mission de tenir aussi loin que possible le malheur, le tragique, les dissensions. Certains s’agaçaient que l’homme ne s’engageât jamais à fond dans une cause. Mais laissons lui cet immense mérite de n’avoir jamais eu aucune complaisance pour les monstruosités totalitaires devant lequelles se sont prosternées bien des intellectuels de la même génération. Et d’avoir cultivé, tel ces écrivains romains de l’Empire prenant bien soin de ne pas être happés par la Cour des Césars, le goût des formules que l’on transmet à la postérité. 

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