Qu'est-ce qu'une drogue ou un produit stupéfiant ? Avec le CBD, les plus hautes juridictions françaises tentent d’avancer en terrain miné<!-- --> | Atlantico.fr
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La caissière Julie T'ioen pose avec un pot de fleur de chanvre à l'intérieur du magasin CBD (cannabidiol) "Le Chanvrier Français" à Paris le 2 février 2021.
La caissière Julie T'ioen pose avec un pot de fleur de chanvre à l'intérieur du magasin CBD (cannabidiol) "Le Chanvrier Français" à Paris le 2 février 2021.
©BERTRAND GUAY / AFP

Analyse juridique

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État travaillent actuellement pour déterminer si le CBD n’est qu’un "produit de consommation courante" ou un produit stupéfiant.

Yann  Bisiou

Yann Bisiou

Yann Bisiou est Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, spécialiste du droit de la drogue - laboratoire CORHIS

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Atlantico : Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État saisi travaillent actuellement sur des considérations liées au cannabis et au CBD. La question centrale semble être de déterminer si le CBD nest quun produit de consommation courante  ou un produit stupéfiant. Quels sont les enjeux ?   

Yann Bisiou : Entre la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Cour de Justice de l’Union européenne, il y a eu 12 arrêts sur cette affaire. L’enjeu est de savoir si le cannabis est un stupéfiant. Le CBD n’est pas classé comme stupéfiant en droit international, mais il est extrait du cannabis. Le droit interdit a priori tout ce qui est extrait du cannabis et indirectement la question était de savoir si indirectement le CBD devait être un stupéfiant, non pas en tant que tel, mais parce qu’il était issu du cannabis. La réponse commune est : non. 

Le problème du CBD, c’est qu’il n’a pas d’effet psychotrope donc les risques pour la santé justifient-ils de le considérer comme stupéfiant, sachant qu’il n’est pas un produit dopant ? Il avait donc une incohérence car on pouvait sanctionner quelqu’un qui consommait du CBD mais pas un sportif dans une compétition s’il en utilisait. 

La difficulté technique et juridique que l’on a est qu’il n’y a pas de définition de stupéfiant dans le droit français. Un stupéfiant est un produit classé comme stupéfiant. Et déterminer ce qu’est un produit stupéfiant pose un problème très concret : l’alcool. Or on ne veut pas prohiber l’alcool et on sait que de toute façon ce serait un échec. C’est pour cette raison qu’en 1961 on a préféré ne pas donner de critère et établir une liste. Tous ceux qui sont sur la liste sont des stupéfiants et ceux qui y ressemblent y seront ajoutés. Au début c’était une dizaine de produits, aujourd’hui c’est près de 400. Pour moi, c’est le concours Lépine des pharmacologues et cela nuit à la lisibilité.

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Dans quelle mesure les motifs purement sanitaires sont-ils problématiques pour définir les termes est -il problématique ? Pourquoi le terrain juridique est-il miné ?   

Comme je vous l’expliquais, il n’y a pas de critères, donc nous avons essayé de déterminer ce qui pouvait permettre d’établir un classement. On voit que les données essaient d’identifier les risques pour la santé mais sans lien de causalité établi et avec parfois des niveaux de risques très faibles sur certains produits. Pour certains, c’est 4 ou 5 décès en 10 ans dans l’UE. Or si l’on regarde les risques de la « vie courante », 8 personnes meurent ébouillantées en France chaque année. C’est beaucoup moins pour des substances comme l'éphédrine, qui est classée comme stupéfiant, dont on a juste entendu quelques déclarations de personnes qui se sentaient mal après en avoir consommé. Et pour les quelques décès dans lesquels ce produit est impliqué, les personnes avaient consommé tellement de choses différentes qu’il était difficile d’imputer quoi que ce soit à une substance en particulier. Quand on place des substances très peu usitées, ce n’est pas un problème, mais le CBD est utilisé par beaucoup de gens et fait l’objet d’un vrai commerce ces dernières années. Il y a des enjeux économiques mais aussi en matière de libertés individuelles. Si des milliers de personnes deviennent du jour au lendemain des usagers de stupéfiants, ils peuvent se retrouver soudainement sanctionnés d’une amende forfaitaire délictuelle de 135€. Il y a eu des saisies, des confiscations. L’arrêté est entré en vigueur le 1er janvier 2022, immédiatement suivi d’un recours. Le Conseil d’Etat a auditionné l’affaire le 14 et a rendu sa décision il y a quelques jours. Entre temps, les gendarmes ont poursuivi certaines personnes. Le référé rend de nouveau la vente de CBD légale donc les décisions de justice vont tomber, mais ce n’est pas automatique. 

Quelles sont les pistes pour sortir de l’ornière ? 

La décision du Conseil d’Etat rend les choses claires, le CBD est légal en France à condition que le produit n’ait pas plus de 0,3% de THC (la molécule qui provoque les effets psychotropes du cannabis). La décision est encore provisoire, puisque c’est un référé – même s’il est bien développé et a mis du temps à être rendu -, donc le Conseil d’Etat va devoir juger sur le fond. Vu les éléments du référé, on voit mal comment au fond, le Conseil d’Etat dirait autre chose. La situation est donc assez sécurisée. 

Il faut se rappeler qu’avant 2018, le CBD ne posait pas de problème. En 2017, interrogé par Science et Vie, le Ministère de la santé estimé que le produit avait l’air légal. Réinterrogée en janvier 2018, Agnès Buzyn a confirmé cela, tout en expliquant que cela ne plaisait pas au gouvernement. L’Etat a alors commencé à dire que le CBD était un stupéfiant car issu du cannabis. 

Pour faire le distinguo sur le plan juridique entre produit de consommation courante et stupéfiant, comment avancer ? 

Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 7 janvier, a donné une piste. Il explique que pour qu’un produit soit stupéfiant, il faut qu’il soit psychotrope, qu’il crée un risque de dépendance et un risque de danger pour la santé. Il y a donc des critères mais le Conseil Constitutionnel en fait une condition nécessaire mais non suffisante. En clair, le gouvernement n’est pas obligé de classer comme stupéfiant tous les produits correspondants à ces critères. C’est une décision assez maligne mais elle ne précise pas complètement les critères ou la procédure permettant d’établir si un produit est à risque ou non. Ce mardi, va avoir une autre audience devant le Conseil Constitutionnel sur deux autres QPC qui avaient été déposées et où l’Union des professionnels du CBD va reposer cette question. On peut espérer que le Conseil d’Etat statue sur le fond et donne des critères, après tout c’est lui qui a remonté des QPC en ce sens au Conseil Constitutionnel. La Cour de cassation qui jusqu’à présent estimait qu’il n’y avait pas de problème avec la définition des stupéfiants a elle aussi inversé sa jurisprudence.

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