Puisque l’homme est supérieurement intelligent, voilà comment il pourrait le devenir encore plus en s’inspirant de l’intelligence animale<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Puisque l’homme est supérieurement intelligent, voilà comment il pourrait le devenir encore plus en s’inspirant de l’intelligence animale
©Capture d'écran

Planète des singes

Le livre de l'éthologue néerlandais Frans De Waal, "Are We Smart Enough to Know How Smart Animals Are", nous livre une belle leçon sur la conception des animaux et leur mode de pensée. Les animaux ne finissent pas d'étonner les chercheurs, aussi bien sur les plans de l'intelligence, de leur mode de transmission de la connaissance ou des émotions.

Véronique  Servais

Véronique Servais

Après un mémoire intitulé "Etude exploratoire des effets thérapeutiques de l'animal familier auprès de jeunes filles anorexiques", les recherches de Véronique Servais visent essentiellement à comprendre les relations que l'être humain peut entretenir avec le règne animal.

Elle est actuellement chargée de cours en Anthropologie de la Communication à l'Institut des Sciences Humaines et Sociales à l'Université de Liège. Elle a notamment publiée La Science Humaine des Chiens.

 

Voir la bio »

Atlantico : L'auteur néerlandais Frans De Waal, dans son livre Are We SmartEnough To Know How Smart Animals Are,évoque le cas de singes trempant des patates douces dans l'eau de mer pour les rendre plus salées et qui se sont transmis ce savoir au fil du temps. Y-a-t-il des capacités que les animaux se sont transmis au fil de leur évolution et dont nous avons nous-mêmes tiré un enseignement ?

Véronique Servais : Le cas du lavage des patates douces est un cas très particulier car il s’agit d’une invention devenue tradition culturelle qui s’est faite sous les yeux des chercheurs. Ils ont pu observer en temps réel comment ce nouveau savoir-faire se transmettait dans la communauté, qui l’adoptait ou ne l’adoptait pas, jusqu’à ce que cette habitude devienne un trait culturel partagé par l’ensemble de la communauté (certains anciens ne l’ont jamais adoptée, mais il sont morts aujourd’hui, et tous les jeunes apprennent ce comportement de leur mère). C’est évidemment rarement le cas. 

Parmi les traditions qu’on trouve aujourd’hui chez les primates (pêche aux termites, gestes -tels que le hand clasping-, usage de feuilles en guise d’éponges, etc.), certaines sont probablement très anciennes. C’est le cas de l’usage d’un percuteur (une pierre ou une branche) pour casser des noix très dures observé chez les chimpanzés de la forêt de Thai en Côte d’Ivoire par les époux Boesch. Ces communautés de chimpanzés ont cohabité dans la forêt avec les communautés humaines durant des dizaines de milliers d’années. Il est possible que les uns aient appris des autres, mais il est difficile de savoir dans quel sens le transfert de technologie a opéré : des humains vers les singes, des chimpanzés vers les humains ? Il peut aussi bien sûr s’agir d’inventions séparées. 

Il est par ailleurs certain que les êtres humains ont tiré un certain nombre d’enseignements, ici et ailleurs, aujourd’hui comme hier, de l’observation des animaux. Observer comment ils construisent, quels aliments ils utilisent ou évitent, comment ils se déplacent, utilisent les ressources de la forêt ou du désert, échappent aux prédateurs, se camouflent… Ces comportements sont en partie "traditionnels" et en partie innés. Par exemple les chemins tracés par des passages répétés ne sont pas à proprement parler innés, ils sont un dépôt "culturel" inscrit dans le paysage, qui organise le comportement des animaux, ce qui peut se poursuivre durant plusieurs générations. Les habitudes d’exploitation de tel arbre fruitier rentrent aussi dans cette catégorie. En fait la notion de "culture" va probablement devoir être revue en profondeur, au fur et à mesure que les chercheurs acceptent de s’intéresser aux animaux en dehors du cadre strict du dualisme homme/animal (homme du côté de la culture, animaux du côté de la biologie) qui ne tient plus.

Dans de nombreuses mythologies du monde entier les animaux sont présentés comme enseignant aux êtres humains (la frontière avec les animaux n’est d’ailleurs pas définie de la même manière que dans notre société puisque les animaux, ou du moins certains d’entre eux, sont des partenaires, des parents, etc.) et il est certain qu’ils les ont inspirés sur de nombreux points. La cohabitation étroite avec les animaux a duré des centaines de milliers d’années, tout au long de l’évolution humaine, et ce n’est que très récemment, à cette échelle, que les animaux ont été déclarés dépourvus de raison, d’intelligence, de pensée, de conscience et de subjectivité et globalement de "stupides". Ce qui n’empêche pas de continuer à s’inspirer des performances animales, mais plutôt dans un domaine technique : actuellement, on connaît l’essor des technologies inspirées du monde vivant : créer des fils hyper résistants et souples en s’inspirant des fils des toiles d’araignée par exemple. C’est tout le domaine de la bio-ingénieurie. Mais entre temps on a débarrassé le monde animal de toute "sagesse", il s’est globalement mécanisé. 

Y a-t-il des formes d'intelligence innée ou abstraite, ou même d'émotion que l'être humain n'aurait pas pu imaginer sans les avoir étudiées chez les animaux ?

Oui bien sûr. Les études sur les animaux font retour sur les études sur l’humain. Par exemple l’étude de la territorialité animale a permis la naissance de la protéique de E.T. Hall, les études sur le jeu chez les animaux ont permis l’hypothèse de la double contrainte de G. Bateson, les études sur les phéromones animales ont permis de suspecter puis de mettre en évidence les phéromones humaines, etc. En revanche, ceci s’est moins passé au niveau émotionnel vu que jusqu’à récemment on considérait que les animaux n’avaient pas d’émotions (comme nous) mais seulement des "motivations" instinctives. 

Le domaine de la psychiatrie évolutionniste, et notamment les travaux de quelques psychiatres qui étaient eux-mêmes éthologues ou ornithologues (par exemple le Dr. Demaret ou les hypothèses de Sloman, voir à ce sujet un récent ouvrage intitulé Adaptations et édité par Jérôme Englebert) se sont considérablement inspirés de leurs observations du monde animal pour comprendre les troubles mentaux, jusqu’à y voir parfois de véritables homologies et à faire des hypothèses neuves sur l’évolution des troubles mentaux, notamment l’anorexie mentale, la manie et la dépression.

Malheureusement, étant donné les a priori culturels et scientifiques qui considèrent que les animaux relèvent entièrement de la biologie, quand l’éthologie animale fait retour sur l’humain cela a été généralement très mal accueilli par les sciences humaines et sociales, qui y ont vu une tentative de mainmise de la biologie sur les sciences sociales. L’intérêt et la richesse du détour par l’éthologie pour observer l’humain dépend beaucoup de l’observateur, de sa capacité précisément à se laisser affecter par les animaux, à enrichir son regard, à le décentrer. 

L'évolution et l'étude des espèces animales, dans leur milieu naturel ou en dehors, peuvent-elles nous en apprendre plus sur notre propre évolution et notre propre pensée ?

Oui bien sûr. C’est d’ailleurs toujours dans cette perspective, malheureusement, que nous avons étudié les animaux : pour en apprendre plus sur nous-mêmes. Par exemple les travaux sur le langage des animaux, qui enseignaient un langage artificiel à des chimpanzés, gorilles, orang-outangs, dauphins et otaries, avaient finalement moins pour but de connaître ces animaux que d’identifier la ligne de la frontière entre eux et nous, c’est-à-dire d’identifier le "noyau" de la nature humaine. 

Heureusement, les résultats ont amené plus de questions que de réponses, et il s’est avéré que la frontière n’était pas, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, aussi claire et nette que prévu. Et donc nous en avons appris plus que prévu, finalement, sur nous-mêmes et notre propre évolution. 

Par exemple, les hypothèses récentes sur l’évolution de la communication humaine, issues notamment des travaux de Michael Tomasello et Brian Hare, ont permis de comprendre d’une toute autre manière la cognition humaine grâce aux recherches sur les chiens (mais aussi les loups et des renards domestiqués) et les primates. Comme dans le cas des travaux sur la théorie de l’esprit évoqués dans l’article sur le livre de De Waal, on découvre que ce qu’on avait pris pour une avancée cognitive (le pointage par exemple, ou l’attention conjointe) repose d’abord sur des changements au niveau de la tolérance à autrui et de la réactivité émotionnelle. 

Les chimpanzés sont ainsi capables de comprendre le pointage dans des situations compétitive pas coopératives (apparemment). Ce n’est donc pas une incapacité cognitive à faire le lien entre la désignation et la chose, comme on l’a longtemps cru, mais une "incapacité" à concevoir qu’on veuille les informer. C’est une question de structure sociale et de réactivité émotionnelle à autrui et non de "développement cognitif". 

Les chiens, eux, comprennent le pointage. Etonnamment c’est aussi le cas des renards domestiqués, lorsque la sélection se fait sur base de deux critères : peur et agressivité réduites. On voit que ce seraient plutôt des critères émotionnels et relationnels, et de tolérance à autrui, qui auraient permis une avancée majeure dans nos systèmes de communication (par rapport à ceux des chimpanzés). On voit comment les recherches sur les animaux permettent de mieux comprendre l’évolution humaine - et, ici, l’évolution de la communication et l’évolution du langage. 

Propos recueillis par Thomas Gorriz

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !