Projet de loi pour une République numérique : quelques bonnes mesures, tout autant d’oublis, beaucoup de flou… les occasions manquées du texte d’Axelle Lemaire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique, explique : "Il faut que le numérique soit dans tous les territoires et accessible à tous",
Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique, explique : "Il faut que le numérique soit dans tous les territoires et accessible à tous",
©Reuters

La révolution attendra

Depuis mercredi, les parlementaires examinent le projet de loi pour une République numérique, défendu par Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique. L'opposition dénonce le manque de lisibilité du projet. Elle regrette également que le gouvernement n'ait pas attendu la consultation prochaine sur ce sujet au niveau européen. Néanmoins, ce projet de loi apporte des innovations, comme la portabilité des données et l'ouverture des données publiques aux entreprises et particuliers.

Laure  de La Raudière

Laure de La Raudière

Laure de La Raudière est député de la 3eme circonscription d'Eure-et-Loir. Elle est également membre du bureau politique des Républicains (mai 2015), Secrétaire de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et membre titulaire de la Commission du dividende numérique.

Laure de La Raudière fait partie du collectif Numérique 2017-Tout numérique, une plateforme de débats sur les enjeux de transformation de l'économie et de la société à l'ère du numérique, pour que ces sujets soient au cœur de l’élection présidentielle de 2017. Elle contribue aujourd'hui à la réflexion numérique du programme de Bruno Le Maire.

 

Voir la bio »
Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
Voir la bio »

Atlantico : L'opposition dénonce le manque d'ambition du projet de loi pour la République numérique, pourtant dense. N'y a-t-il pas toutefois des avancées importantes à relever ?

Laure de La Raudière : Il y a quelques bonnes dispositions mais, derrière le texte pour une République numérique, on espérait avoir une présentation de l'ambition du gouvernement sur le numérique. Or, il n'y a rien sur l'éducation, rien sur l'information, rien sur la santé, rien sur l'emploi, pas grand-chose sur l'aménagement numérique du territoire. On est un peu déçu par ce titre pompeux, ronflant, pour un texte qui regroupe, certes, de bonnes dispositions sur l'open data, mais qui auraient pu être rattachées sur le texte de la loi Valter, promulguée en décembre, ou à la loi NOTRe, promulguée en août. Cela aurait donné plus de lisibilité et de clarté. Je retiendrai encore, parmi les mesures intéressantes, celles sur le paiement par internet, ou le droit du maintien à la connexion internet... mais celles-ci auraient pu être introduites dans le texte de "Noé" qui arrive.

Christophe Benavent : C'est le rôle de l'opposition que de critiquer. Disons qu'entre les mouture initiale et le texte final, il y a eu une certaine réduction et un recentrage sur les droits des citoyens. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, au moins la finalité de cette loi est claire. Après est-ce le rôle de la loi que de définir l'éducation numérique? la formation? la place du numérique dans la gestion des systèmes de santé ? laissons à la société le soin de faire... et quand il sera nécessaire de réglementer, quand le débat public sera mur, que les enjeux seront clair, alors il sera temps de le faire. Il aurait été ennuyeux d'avoir un texte qui touche à tout au risque de l'illisibilité. Naturellement le processus même d'élaboration de cette loi a pu faire naître des attentes quantitativement nombreuses. 

Le projet risque-t-il de créer des incohérences avec les autres textes portant sur le numérique au niveau national et européen ?

Laure de la Raudière : Oui. Si je prends les articles 22 et 23, sur la définition et la loyauté des plateformes, on est avance sur le calendrier européen, parce qu'une consultation vient d'être lancée dans la Commission européenne sur ces sujets-là. La France va mettre dans sa loi une définition d'un statut concernant les plateformes, alors qu'on ne sait même pas si ce statut existera au niveau européen. On ne sait pas si ça fera l'objet d'une directive, ou si ça sera l'objet d'un règlement. Dans ce dernier cas, ça sera d'application immédiate. On aurait une instabilité règlementaire en France à cause de cette loi.

Je me souviens de l'audition en commission des affaires économiques de pépites du numérique français comme BlablaCar, Leetchi, Deezer… On leur a demandé ce qu'il fallait améliorer comme règlementation en France pour faciliter leur développement. Ils nous ont dit : "Surtout, ne faites rien. Portez vos ambitions au niveau européen". Nous avons besoin d'un marché européen du numérique, sans frontières,  pour pouvoir conquérir des marchés internationaux, notamment aux Etats-Unis. Nous avons déjà le handicap d'avoir des langues différentes d'un pays à l'autre. Nous avons, en plus, 27 législations différentes. Il faut arrêter de créer des législations franco-françaises sur le numérique. 

L'axe politique franco-français d'Axelle Lemaire, de repli sur soi, est différent du discours libéral de son ministre de tutelle, Emmanuel Macron, et de ce que ce dernier souhaite à travers la loi "Noé". De plus, les définitions dans le texte de loi sont extrêmement floues. On n'a pas de précisions sur les acteurs qui seront concernés par les mesures, et il n'y a rien dans l'étude d'impact.

Cristophe Benavent : Au niveau européen une directive est en cours d'élaboration, il est possible que des incompatibilités apparaissent. Mais est-ce une raison pour ne pas légiférer? Sans compter que certaines dispositions, peuvent justement servir d'exemple : pensons à la portabilité des données qui est une véritable innovation et assure à la fois une droit de contrôle avancé mais aussi réduit les risques de monopoles en facilitant le passage à des services concurrents. Quand au contradictions interne, vous pensez très certainement à la loi sur le renseignement.... 

D'un côté, le projet de loi ouvre les vannes de la réutilisation de certaines données personnelles afin qu'elles soient exploitées par des start-up. De l'autre, il essaie de conserver un régime protecteur en interdisant aux sites Web d'affirmer un quelconque droit de propriété des données personnelles. Cela rend-il les débats plus complexes ?

Laure de la Raudière : Ce qui est proposé, c'est de permettre la transportabilité des données d'une plateforme vers une personne, pour qu'elle puisse donner ses données à une startup. On parle de toutes les données fournies par l'utilisateur, attachées au compte utilisateur. Parmi ces données, il y a des données qui correspondent à un savoir-faire d'entreprise, pour analyser le profil d'un utilisateur.  Malgré cinq amendements pour préciser le sujet, et le travail de nombreuses personnes pour rédiger ce texte, on n'a toujours pas abouti à une rédaction satisfaisante. Le texte est hyper-flou, et ne qualifie pas bien les données concernées.

Christophe Benavent : Le débat est idéologique et complexe, il est indépendant de la loi et assez fondamental. Il y a d'une part ceux qui défendent l'idée d'un droit de propriété des données, au motif qu'il est un moyen de responsabiliser les individus, mais aussi rendre rendre plus liquide l'économie des données. C'est ce point de vue hyper liberal qui encourage de mettre des droits de propriété sur tout, y compris le vivant, mais dont le caractère idéologique peut conduire à des absurdités : imaginez que les paroles que nous prononçons publiquement soient dotées d'un droit de propriété. Il deviendrait impossible pour le journaliste de les relater sans autorisation ou pire sans le paiment d'une licence! De l'autre côté il y a ceux qui défendent l'idée de maintenir le statut de res nullius des données (les données n'on pas de propriétaire, elles n'appartiennent à personne, au bénéfice d'un droit de contrôle et de rectification. Il y a dans ce mouvement l'idée de ce qu'elles participe à un bien commun, un patrimoine universel que la collectivité doit entretenir. C'est un débat très général qui ne concerne pas que les données, mais aussi le corps. Est-on propriétaire de son corps? Peut-on le vendre en pièces détachée sur le marché? C'est une question philosophique et concrète : est-il moral de vendre un rein? 

Le principe d'ouverture systématique des données publiques est-il une bonne idée ?  Qu'est-ce que cela va apporter ?

Laure de la Raudière : C'est une bonne idée, parce qu'à partir de données publiques, vous pouvez imaginer de nouveaux services aux citoyens. Particulièrement dans le domaine des transports : il est plus facile de créer des services multimodaux à partir de données de la SNCF, d'une régie de transports en agglomération , un point de location de Velib'… Il y a plein d'autres domaines où les acteurs privés vont imaginer des solutions pour les citoyens à partir de leurs expériences personnelles; pour améliorer tel ou tel fonctionnement de services.

Christophe Benavent : Ce qui faut bien comprendre dans ce débat, c'est qu'en attribuant aux données une formes de propriété ( par exemple sur le modèle des droits de propriété intellectuelle) c'est aussi faciliter leur cession à des tiers, et donc accroître le risque d'en être déposséder. Peu de citoyens ont aujourd'hui les compétences pour gérer eux-même ces données, ils seraient tenté donc de les confier à des tiers qui très certainement, comme le font déjà les plateformes sociales, rédigeraient des contrats à leurs avantages! Pour prendre un exemple simple c'est celui de Facebook, dont l'usage suppose l'acceptation de CGU qui laissent à l'entreprise le droit d'exploiter les contenu qu'on y produit, et de les revendre à des tiers. Mais l'utilisateur continue à être maître de ses données, et peut les exploiter comme il l'entend. Si un droit de propriété y était attaché, il perdrait à coup sur la libre disposition des contenus qu'il a produit.   De ce point de vue la loi s'inscrit simplement dans la continuité de la loi de 78, elle préserve, renforce est modernise le droit de contrôle et de rectification des données personnelles. 

Par ailleurs cela n'est pas problématique pour l'entrepreneuriat. Cela peut empêcher certains types d'entreprises : notamment celles qui achèteraient les données aux individus pour les compiler et les revendre y compris aux individus qui ont aurait céder leur droit!  Imaginez que vous rachetiez votre propre adresse pour avoir de droit de l'utiliser, parce que vous l'auriez vendue auparavant! En l'état ce sont d'autres types d'innovation qui sont encouragées : celles qui transforment nos données en services.  Une blanchisserie n'a pas besoin d'être propriétaire des draps qu'on lui confie pour les laver! A moins de nous les louer. Attribuer une formes de propriétés aux données ce serait encourager les loueurs de draps qui propriétaire des draps offrirait un service global de draps propres. Cela dit pas besoin d'être propriétaire pour les entreprises pour pouvoir traiter ces données et produire via les algorithmes et leur agrégation une valeur ajoutée. Et finalement c'est du point de vue de l'innovation bien plus stimulant. Plutôt que d'encourager ce vieux metier de data broker ( mal connu mais qui s'est fortement développé avec la montée du marketing direct) qui est peu innovant, les droits sur les données que définissent la loi, font que les nouvelles entreprises des données, auront à prendre soin et à respecter ce qu'on leur confie, et à utiliser toute leur ingéniosité pour leur donner de la valeur ajoutée au travers de services véritablement innovants. Dans le premier cas il n'y a pas de valeur produite, juste des plus-values, dans le second oui. Et n'oubliez pas, il y a en fait peu de valeur intrinsèques dans les données, c'est leur mise en relation, leur transformation qui crée de la valeur.

Atlantico : Que pensez-vous de la proposition d'amendement de Nathalie Kosciusko Morizet, cosignée par 17 députés et qui vient d'être retirée, de créer une obligation d'accès par les autorités aux informations contenues dans des matériels informatiques ?

Laure de la Raudière : Je comprends l'intention de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui répond à certaines remarques des forces de sécurité pour pouvoir décrypter très rapidement des données sur des ordinateurs ou autres équipements, pour les besoins d'une l'enquête. Nathalie Kosciusko Morizet a néanmoins toujours précisé que sa proposition était un amendement d'appel. Maintenant, à chaque fois que vous mettez une backdoor dans un équipement informatique, vous créez un point d'entrée. Même s'il est destiné aux  forces de sécurité, indirectement, vous créez une faiblesse dans l'équipement qui fait qu'il est plus facilement piratable. Ca crée une faille de sécurité dans le système. J'y suis donc défavorable. Deuxièmement, les forces de sécurité sont relativement bien équipées aujourd'hui pour déchiffrer des données cryptées. Ca prend juste un peu plus de temps. 

Christophe Benavent : il vient d'être retiré mais consistait à imposer des backdoors, même si Nathalie Kosciusko Morizet s'en est défendue. c'est curieux de sa part, on aurait pu la croire plus libérale et moins sécuritaire! L'exemple à contre-courant du tout sécuritaire qui a engendré la NSA et ses excès se trouve aux Pays-Bas qui encouragent le cryptage et refusent les backdoor, au motif que s'ils permettent aux autorités d'accéder aux données, ils sont aussi une porte ouverte pour des organisations beaucoup plus malveillantes et souvent plus compétente en la matières que les juges et les policiers. N'oublions pas non plus que société comme Apple a introduit le cryptage dans ses appareils contre la volonté de l'Etat américain, s'il font cela c'est pour une bonne raison : les consommateurs refuserons des appareils qui peuvent les trahir. L'économie numérique a besoin de confiance, c'est une tarte à la crème, mais de manière concrète on ne peut pas accorder de confiance à un smartphone, une voiture, un ampoule connecté, un aspirateur robot, si l'on pense que des tiers s'y introduisent et nous espionnent!  Pour aller plus loin, même si l'on sait que le degré d'inquiétude à l'égard de ce que l'on fait de nos données personnelles et peu corrélé à ce qu'on dévoile dans les appareils et leurs logiciels, on appelle cela le privacy paradox, on s'aperçoit tout de même que l'intrusion répétée conduit les gens à adopter de nouveaux comportements. L'un d'eux, c'est le plus spectaculaire, est l'installation d'adblokers, plus de 200 millions dans le monde désormais, qui met en péril l'industrie publicitaire....  Vouloir imposer au prétexte de la sécurité des porte de derrière, c'est prendre le risque d'affaiblir l'économie numérique, ou au moins d'en limiter la croissance.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !