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Printemps 2019 : du Soudan à l’Algérie, révolution(s) en vert treillis ?
©RYAD KRAMDI / AFP

Soulèvements

Huit années après les processus révolutionnaires qui balayèrent - par la mobilisation populaire - les régimes despotiques et kleptocrates en Egypte et en Tunisie, une nouvelle saison printanière « révolutionnaire » se joue, en écho, dans les rues d’Alger et de Khartoum.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Cette fois-ci, ce sont les forces armées qui en sont les garantes ou tout au moins les facilitateurs.

S’il y a bien une certitude au Maghreb, acquise depuis les indépendances de la fin des années 50 et le début des années 60, c’est bien celle de forces armées, garantes de la souveraineté nationale, tout autant héritières de la souveraineté populaire des nations ayant acquis leur indépendances par la pression ou l’utilisation des armes, mais également perçues, désormais, comme étant le meilleur rempart contre les groupes armés terroristes.

L’émergence d’un Islam politique offensif et prosélyte et l’influence résurgente des Frères musulmans, au sein ou face aux forces armées, dans le paysage politique des pays de la rive septentrionale et orientale de la Méditerranée vient confirmer, du reste, que les révolutions du Printemps 2011 étaient sans doute moins spontanées qu’elles ne furent perçues initialement.

Les Forces armées étaient déjà fortement sollicitées en 2011. Néanmoins, leur relative discrétion, laissa la part belle aux diverses récupérations et ingérences extérieures.

On comprend désormais mieux, la stratégie d’appui financier en amont et en aval du Qatar, des Emirats Arabes Unis, ou encore de l’Arabie Saoudite, vis-à-vis des révolutionnaires, comme ce fut le cas dans la « Révolution du jasmin » en Tunisie ou celle dite du « papyrus » en Egypte. Il en est allé de même avec la politique de soutien actif par la Turquie - via le Parti de la Justice et du Développement (AKP) -  aux partis islamistes maghrébins (Mouvement de la Société pour la Paix - MSP - en Algérie ; Parti pour la Justice et le Développement - PJD - au Maroc, Ennahda en Tunisie ; parti Tawasoul en Mauritanie ; ou encore le parti Al-Watan en Libye…) qui ont ré-émergé dans les processus électoraux post-révolutionnaires.

Il y eut ainsi des exceptions « démocratiques », à l’instar du Maroc, qui appréhenda avec subtilité et intelligence, cette situation socio-économique « sous tension » inédite, en renforçant son pacte social, via sa nouvelle constitution de juillet 2011, tout en tenant compte de la « cohabitation » fructueuse entre le palais royal et la Primature, dirigée par les islamistes pragmatiques du PJD.

Restait le cas algérien et plus singulièrement celui du Soudan et de la Mauritanie.

Pour ce dernier pays, attendons le prochain scrutin présidentiel de juin prochain pour voir si le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ghazouani, actuel ministre de la défense, réussira son pari de « changement dans la continuité » du pouvoir, entre les mains du président Abdel Azziz, à la manière dont Abdel Fattah al-Sissi, ravit le pouvoir en Egypte, de manière plébiscitaire, en mai 2014, en cherchant à maquiller le poids des forces armées sur la scène politique égyptienne - en « politisant » son rôle comme garantie efficace contre la menace terroriste.

Comparaison n’est certes pas raison, néanmoins, l’on ne peut s’empêcher de dresser un parallèle.

Au Soudan, il aura fallu que le régime d’Oumar al-Bashir décide de tripler, en décembre dernier, le prix du pain, en même temps qu’était limogé le vice-président, Bakri Hassan Saleh, réputé le proche - au sein du cercle présidentiel - des militaires, pour que les catégories sociales les plus impactées par la crise économique (notamment les étudiants) liée aux sanctions imposées à partir de 2006, malgré leur allégement en octobre 2017, se soulèvent et, que dans la foulée, l’armée deviennent le recours contre le régime d’Omar al-Bashir.

La mobilisation de la rue engagée depuis décembre 2019, dopée par la « fraternisation » des forces armées soudanaises aura finalement eu raison de son président putschiste, Omar AL Bashir.  C’est d’ailleurs son ministre de la Défense, compagnon d’armes lors du putsch de 1989, promu vice-président en février dernier, le général Awad Mohamed Ibn Auf et son chef d’état-major, le général Kamal Abdelmaarouf, nommé il y a peu, qui ont porté l’estocade.  

Désormais, la marge de manœuvre des militaires à Khartoum est, comme à Alger, soumise à l’agenda imposée par les manifestations. Alors que le général Ibn Auf avait pris les rênes du pays, à travers la mise en place et présidence du Conseil militaire de transition, la démission de ce dernier au profit du général Abdel Fattah Abdelrahman Birhan conforte l’idée d’une transition bicéphale, où les agendas des militaires seront, de jour en jour, de plus en plus contraints par ceux de la rue, eu égard, à une mobilisation populaire qui n’a pas faiblit depuis le départ du président al-Beshir.

Certains n’hésiteront pas, en effet, à faire un parallèle avec le cas algérien, où c’est en présence du général Gaïd Salah, portant la double casquette de Chef d’Etat-major et vice-ministre de la défense qui destitua le président Abdelaziz Bouteflika, sous le motif de l’incapacité physique du président, fortement handicapé par son AVC remontant à 2013, selon l’article 102 de la Constitution algérienne.

Il semble, que l’attitude des Forces armées en appui ou en répression des doléances, d’hier, dans les rues de Tunis, d’aujourd’hui dans celles d’Alger comme celles de Khartoum, soient devenue un des facteurs les plus déterminants pour la trajectoire démocratique de ces soulèvements populaires, gage de non récupération par les mouvements islamistes.

Néanmoins, reste que la haute hiérarchie militaire se trouve, en Algérie comme au Soudan, face aux mêmes dilemmes.

Le hiatus existant entre exigence de « dégagisme » scandée par les manifestants dans les rues et volonté des forces armées d’en profiter pour faire le ménage et se débarrasser de leurs concurrents au sein d’un système honni par la foule mais dont ils font intégralement partie, ira, inexorablement, crescendo !

Les nouveaux tenants du pouvoir à Khartoum comme à Alger devront faire face aux mêmes zones d’ombre et devront répondre aux mêmes interrogations.

En somme, réussiront-ils le tour de force visant à déguiser un coup d’état militaire en le dissimulant derrière une mobilisation populaire attention médiatique pourtant inégalée ?

Doivent-ils soutenir voire provoquer les changements auxquels aspirent les manifestants ?

Existe-t-il réellement un hiatus entre haute hiérarchie militaire et les soldats, en Algérie comme au Soudan ? à fortiori, quand ceux-ci viennent des mêmes couches sociales de ceux qui n’hésitent plus à descendre dans la rue ?

Maintenant que les militaires sont garants de la transition courte en Algérie (90 jours) ou longue au Soudan (deux ans), que feront-t-ils de cette nouvelle légitimité ?

Ultime défi, celui de l’opposition entre Forces armées, services de renseignement et forces paramilitaires. Qui en sortira gagnant ?

La récente reprise en main du Département de la Surveillance et de la Sécurité (DSS) par le Chef d’Etat-major algérien, le général Gaïd Salah ressemble, à bien des égards à la rivalité existante entre les militaires soudanais, les forces paramilitaires des Forces de soutien rapide et les services de renseignements (National Intelligence and Security Service - NISS).

Comme pour l’Algérie et dans une moindre mesure pour le Soudan, la description de Voltaire au sujet de la Prusse du 18ème siècle qui évoquait le rôle prépondérant des militaires sur les institutions en rappelant qu’il existait « des pays qui ont une armée » et ceux (à l’instar de la Prusse de Frédéric II) où c’est « l’armée qui a un pays » résonne avec un écho particulier, à l’aune des récentes manifestations dans les rues d’Alger et plus récemment aux abords du Quartier général des Forces armées, à Khartoum.

Alors qu’au printemps 2011 et dans les mois qui suivirent, le chef d’état-major des forces armées tunisiennes, le général Rachid Ammar, s’était illustré comme un des garants des acquis de la Révolution du Jasmin, espérons que son alter-égo algérien, le général Gaïd Salah ou soudanais, le général Kamal Abdelmaarouf, se souviennent, eux-aussi, de leur enseignement académique militaire, acquis pour le premier en ex-URSS à l’Académie militaire d’artillerie de Vystel et pour le second en Grande-Bretagne, à l’Académie militaire de Sandhurst.

Gageons qu’ils se souviennent du principe cicéronien du « Cedant arma togae » (que les armes cèdent à la toge) qui conditionne l’exercice de la démocratie qui veut les forces armées soient subordonnées au pouvoir politique, surtout quand il est légitimé par les urnes.

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