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Primaire sauvage à gauche : les vraies fausses candidatures Macron Montebourg finiront-elles par enrayer la belle mécanique qui devait faire de Hollande la seule chance de la gauche en 2017
©Reuters

Ça se complique...

Depuis plusieurs semaines, les médias contribuent largement au développement des phénomènes Macron et Montebourg, les faisant apparaître comme des candidats déclarés. Un risque redoutable pour la stratégie de François Hollande, qui n'apparaît plus comme le candidat de l'unité.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Gérard Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. 

Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame.

Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011). 

 

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Atlantico : Dans quelle mesure les hypothétiques candidatures évoquées par les médias comme celles d'Emmanuel Macron ou d'Arnaud Montebourg sont-elles crédibles ? Au-delà de leur visibilité médiatique, ces personnalités ont-elles réellement des chances d'obtenir les 500 signatures d'élus et les financements nécessaires à une candidature effective à la présidentielle de 2017 ?

Dominique ReyniéIl y a effectivement des contraintes institutionnelles et règlementaires qui peuvent compliquer l'accès à la candidature à la présidentielle. Ceci dit, quand on voit qu'en 2012 un Jacques Cheminade ou un Philippe Poutou ont pu y parvenir, on peut quand même se dire que c'est à portée de main pour un Montebourg ou un Macron.

Le contexte politique déterminera la faisabilité de l'opération. Dans la mesure où désormais les signatures d'élus seront rendues publiques, exposant ainsi les élus, ceux-ci devront se justifier devant les appareils partisans dominants : des comptes leur seront demandés dans le cas où ils apporteraient leur soutien à un candidat qui n'est pas en odeur de sainteté auprès du principal candidat du parti dominant. Ceci risque de compliquer un peu la tâche.

Si la candidature de François Hollande est soutenue, bon gré mal gré, par l'appareil socialiste, on peut imaginer que ce sera plus difficile pour Macron ou Montebourg, sauf s’ils sont inclus dans une stratégie. En revanche, si la candidature d'Hollande est poussive et contestée, ce qui est envisageable, les candidatures de Montebourg et Macron seront facilitées et apparaîtront comme calibrées pour une relève, qui serait pour le coup exigée. 

Gérard Leclerc : Ce que l'on peut dire dans un premier temps, c'est que cette situation complique largement celle de François Hollande. Pour que ce dernier puisse être candidat avec une petite chance de l'emporter, trois conditions sont nécessaires, dont la réalisation aujourd'hui paraît très difficile : une amélioration de la situation économique, ce qui n'est pas le cas ; que le candidat de la droite soit en mauvaise position du fait de divisions en interne, ce qu'on n'observe pas encore ; et le fait que François Hollande puisse apparaître comme l'homme capable de réunir la gauche. Or, avec la motion de censure et cette émergence de candidatures, cette dernière condition est rendue obsolète.

Pour que Montebourg et Macron puissent obtenir les nécessaires signatures d'élus, il faudrait qu'ils soient soutenus par une partie du PS et de l'opinion publique. Compte tenu de la profonde fracture au sein du PS, la gauche de la gauche évoque très clairement l'idée d'un candidat. Montebourg pourrait être le mieux placé pour cela car, comme le dit Ségolène Royal, il a la tête d'un acteur américain et de président, mais également un savoir-faire et un certain charisme qui manquent à la gauche de la gauche. Quant à la situation d'Emmanuel Macron depuis quelques mois, sa candidature paraît de plus en plus crédible. Je ne me fais donc pas trop de soucis en ce qui les concerne quant à la récupération de ces signaturesQuant à l'aspect financier, Emmanuel Macron s'en occupe déjà. Aussi bien pour l'un que pour l'autre, compte tenu notamment du plafonnement du financement des campagnes, ils y parviendront. Ce ne sont pas des candidatures absurdes à l'heure actuelle. Aujourd'hui, la candidature de François Hollande n'apparaît plus comme naturelle pour deux raisons : sa côte de popularité est dans un état catastrophique, et le PS est ouvertement divisé. Dans la mesure où la candidature du président sortant ne s'impose plus, cela ouvre toutes les perspectives que vous pouvez imaginer. 

Ce type de "vraies fausses candidatures" ne contribuent-elles pas à une dispersion du capital électoral de leur famille politique ? A quel point mettent-elles à mal la mécanique mise en place par François Hollande pour faire de lui le seul grand candidat de la gauche en 2017 ?

Dominique Reynié : Une dispersion de candidatures non-contrôlées produit effectivement un affaiblissement du candidat principal. Ces candidatures puisent dans la même réserve, ici la France de gauche. Plus il y a de personnes affairées à tirer l'eau du même puit, moins il y a d'eau. Ces candidatures pourraient donc être absolument fatales pour le candidat Hollande. Dans le cas d'une dispersion contrôlée, la stratégie pourrait consister à organiser diverses candidatures visant à faciliter la tâche du candidat principal. C'est un exercice compliqué car on peut être mis en danger par ses propres stratagèmes. Ce n'est pas souvent rappelé, mais en 2002, la candidature de Christiane Taubira a été largement incitée par Lionel Jospin qui espérait ainsi rallier une plus grande partie du vote ultra-marin. On affirme souvent qu'il s'agit là d'une des causes de la défaite, tout comme la candidature de Jean-Pierre Chevènement ou celle de l'extrême-gauche. Concernant plus particulièrement Emmanuel Macron, il ne faut pas exclure que sa candidature puisse être portée par François Hollande, qui chercherait à affaiblir une candidature de droite au 1er tour en prenant une partie de son électorat modéré.

En revanche, si la dispersion n'est pas contrôlée, ce peut être parce que Macron ou Montebourg tentent d’imposer leurs candidatures pour transformer la défaite annoncée de la gauche en débâcle personnelle de François Hollande afin d’être les opérateurs de la reconstruction. La reconstruction pourrait alors revêtir deux visages différents suivant qu'il s'agirait de Macron ou Montebourg : dans le cas de Macron, on assisterait à la naissance d'une gauche high-tech, sociale-libérale, globalisée et entrepreneuriale ; dans le cas de Montebourg, d'une nouvelle version de la gauche plurielle, recomposée autour d'un axe souverainiste qui s'efforcerait de remobiliser quelques grands thèmes de la gauche : l'Etat, la mise au pas des marchés, l'interventionnisme, mais également les éléments d'un nationalisme supposé concurrencer le FN et lui reprendre ses électeurs populaires. 

Gérard Leclerc : A la gauche de la gauche, il faut prendre la mesure de la fracture qui existe. C’est quand même la première fois sous la Vème République qu’une partie importante du parti majoritaire souhaite voter une motion de censure pour renverser le gouvernement ! On n’a jamais vu cela ! Il faut prendre conscience de la gravité de la situation.

Emmanuel Macron voit très bien que la candidature Hollande a très peu de chances d’aboutir. Deux options s’offrent à lui : soit Hollande n’y va pas et dans ce cas il y va, porté par les sondages – un récent sondage d’ailleurs montre qu’il serait le seul à pouvoir l’emporter au 2ème tour face à Nicolas Sarkozy dans le cas où il serait candidat au 1er tour – soit Hollande y va et dans ce cas, Macron n’ira pas contre lui. Mais tout son intérêt, c’est qu’Hollande n’y aille pas : dans ce cas, il s’agit pour lui d’avancer le plus possible et le mieux possible ses pions pour qu’Hollande se rende compte que la bataille est perdue d’avance alors que cela semble gagnable pour Macron. Dans ce cas, on pourrait assister à un mouvement d’opinion qui ferait passer Hollande pour le diviseur. 

Ces candidatures qui n'en sont pas vraiment donnent l'impression d'assister à une sorte de primaire sauvage, qui se joue à l'extérieur des partis puisque rien ne va plus à l'intérieur des appareils. Dans quelle mesure cela est-il révélateur de la crise de notre démocratie représentative ? 

Gérard Leclerc : Il faut modérer quelque peu le propos. A droite, pour ceux qui en tout cas se sont officiellement déclarés candidats, il semblerait que tout le monde joue le jeu de la primaire. Nous verrons la situation dans quelque mois, d’autant plus qu’on assiste déjà à des crispations, notamment autour des Français de l’étranger. Théoriquement, si les choses se passent comme prévu, un candidat sera désigné et tous se mettront derrière lui pour la présidentielle. Nous verrons bien…Il y aura, comme toujours, des candidatures hors du parti à droite, mais sans grande chance de l’emporter.

A gauche, la contestation du candidat naturel est telle que la gauche du PS laisse entendre clairement à présenter un candidat hors primaire. 

Dominique Reynié : Je verrai plutôt dans ces éléments des manifestations révélant à quel point le système des partis est en crise, contestés dans leur prétention à cartelliser l'expression démocratique, à la contrôler. La Constitution rappelle pourtant qu'ils n'ont pas le monopole politique ; ils "concourent à l'expression du suffrage". Au fil du temps, ils sont devenus les instigateurs de notre politique. C'est ceci qui est fortement contesté par ce type de candidatures.

Si l'on ajoute la question de la primaire – à gauche en 2011 et à droite en 2016 – on pourrait dire que c'est un peu l'arroseur arrosé. C'est un système qui présente de nombreux aspects négatifs qui se sont déjà manifestés. On le voit bien ici : si l'on reprend le cas d'Arnaud Montebourg, lui-même a été candidat à la primaire de 2011 au cours de laquelle il a fait un score très honorable, puis il est devenu ministre, avant de quitter le gouvernement sur un désaccord politique, pour finalement entrer en dissidence.

La prochaine étape verra les citoyens eux-mêmes organiser la désignation des candidats. C'est un phénomène mécanique. Parce qu'il faut une organisation, on pourrait voir émerger – ce à quoi on commence à assister d'ailleurs - une forme associative concurrente des partis à l'instar de "la Primaire des Français" ou bien d'autres initiatives de ce type. 

Comment expliquer qu'aujourd'hui, les minorités de chaque camp ne parviennent plus à se ranger derrière une majorité dans une organisation censée, selon notre Constitution, "concourir à l'expression du suffrage"

Gérard Leclerc : Il s’agit là de l’expression de la crise de la démocratie et des partis politiques en général. Ces derniers sont de plus en plus impopulaires. Il y a un sentiment d’impuissance politique, un non-renouvellement terrible. Tous ces facteurs donnent l’idée à certains qu'il est temps de mettre un terme à l'arrangement des partis quant au choix du candidat. Pour ce qui est du phénomène de la primaire à proprement parler, il faut quand même rappeler qu’il s’agit là de quelque chose de récent, qui remonte à il y a presque dix ans. Par son organisation, la primaire constitue déjà une restriction du parti ; avant la primaire, le candidat était désigné par le parti et l’histoire était réglée.

Mais pour beaucoup de gens, déjà, la primaire ne suffit plus, estimant que les partis ne donnent plus satisfaction, y compris dans le choix des candidats. Certaines personnes ont ainsi l’idée de présenter leur candidature hors du parti, avec le souhait d’obtenir par la suite le soutien d’un parti, à l’instar de Macron, ou bien de se présenter totalement en dehors des partis traditionnels. Cette crise du politique s’explique par l’impuissance des dirigeants qui, depuis 40 ans, ont été incapables de régler le chômage en France, mais également par le manque de renouvellement politique.

Dominique Reynié : Il s'agit là d'un phénomène purement français, pour des raisons économiques et sociales, en raison de l'absence de réformes depuis très longtemps. Exercer le pouvoir en France consiste soit en l'incapacité à réaliser de grandes promesses formulées – vous passez alors pour un menteur- soit à être contraint par la situation à mener des politiques qui ne sont pas celles que vous avez annoncées. Dans les deux cas, la déception est telle que les acteurs politiques se considèrent comme déliés de toute obligation de loyauté – au moins pour certains – en faisant porter la responsabilité de la rupture du serment sur les raisons précédemment citées. En France, nous n'élisons pas sur des programmes d'austérité mais nous choisissons des majorités qui ne tiennent pas parole. Ceci induit l'émancipation d'une partie de cette majorité qui fait porter la responsabilité sur ceux qui n'ont pas respecté leurs engagements. Nul n’oubliera une raison supplémentaire, plus prosaïque, qui amène ces "frondeurs" à tenter de sauver leur propre situation électorale face au désastre qui se profile pour leur camp. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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