Présidentielle 2022 par temps de guerre : ceux des candidats qui pourraient tirer leur épingle du jeu… et les autres<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le président ukrainien Volodymyr Zelensky après une conférence de presse suite à leur rencontre à Kiev, le 8 février 2022.
Emmanuel Macron et le président ukrainien Volodymyr Zelensky après une conférence de presse suite à leur rencontre à Kiev, le 8 février 2022.
©SERGEI SUPINSKY / AFP

Enjeu central

Alors qu'une très large majorité des français se sent concernée par la crise en Ukraine et que plusieurs candidats sont encore dans un mouchoir de poche, cette nouvelle guerre sur le sol européen pourrait peser lourdement sur les élections présidentielles

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : À un mois et demi de l’élection présidentielle, l’actualité est dominée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la campagne semble en sourdine. On dit traditionnellement que l'élection ne se joue pas sur les sujets internationaux. A quel point l’enjeu ukrainien pourrait-il peser pour l’échéance de 2022 alors que les candidats pour la seconde place sont dans un mouchoir de poche ?

Christophe Boutin : Ne pas se passionner pour les enjeux internationaux est une chose, ne pas s’intéresser à une guerre sur le continent européen en est une autre. Un sondage Harris interactive de lundi nous montre que 92% des Français se sentent concernés par la crise ukrainienne, ou que 94% se sentent solidaires de l’Ukraine. Et pour répondre plus précisément à votre question, les deux tiers des Français interrogés considéraient que cette crise allait jouer un rôle dans leur choix à l'élection présidentielle, et pour 27 %, un quart des Français donc, « un rôle important ».

Alors, bien sûr, nous sommes encore sous le coup de l’émotion du déclenchement des hostilités, mais il est certain que la crise ukrainienne va peser sur la campagne présidentielle de plusieurs manières. D’abord, en faisant passer la campagne électorale au second plan. Ensuite, en renforçant l’image du chef de l’État. Ou encore en incapacitant plus ou moins les candidats qui se sont montrés par le passé proches de Vladimir Poutine ou de la Russie.

Sur ce dernier point, on a vu immédiatement comment, parmi ces candidats qui se battent pour une seconde place que vous évoquez, la crise ukrainienne devenait un élément important de la campagne. Lorsque, à droite, Valérie Pécresse et ses conseillers en viennent à évoquer « Marine Poutine » et « Vladimir Zemmour », c’est pour tenter de discréditer des rivaux qui auraient eu les yeux de Chimène pour Vladimir Vladimirovitch avant le déclenchement de l'offensive, et montrer aux électeurs qu'ils pourraient être amenés, s’ils parvenaient au pouvoir, à faire des choix politiques irresponsables. Les critiques faites, à gauche, cette fois à l'encontre de Jean-Luc Mélenchon, et venant soit du PS soit d’EELV, vont rigoureusement dans le même sens. Dans les deux cas, des candidats essayent de rattraper leur retard dans les sondages et d'éliminer des rivaux qui leur bouchent la route du second tour.

Il est enfin un point sur lequel la confrontation militaire actuelle va aussi jouer un rôle, c’est sur la dramatisation des débats et l’exacerbation des clivages. On le voit bien, dans les médias sociaux ou ailleurs, l’émotion immense légitimement causée par la situation prévaut sur tout le reste, et ceux qui voudraient tenter ne serait-ce qu’une remis en perspective du dossier sont quasiment inaudibles.

S’il y a une condamnation unanime de l’offensive russe, certains candidats se voient rattrapés par leurs positions passées sur la Russie. Comment expliquer que tant Marine Le Pen, qu’Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon aient affiché une forme d’indulgence envers Poutine ? Est-ce un argument électoral qui est en train de se retourner contre eux ?

Un argument électoral pas seulement, mais qui serait en train de se retourner contre eux, sans doute, comme nous l’avons déjà dit. Effectivement, les candidats que vous citez, ont, pour des raisons différentes, très en amont et très au-delà bien évidemment de la crise actuelle, montré plusieurs fois, non un soutien direct et inconditionnel à Vladimir Poutine et à la Russie, mais un intérêt aux positionnements du chef d’État russe. Nationalisme identitaire et respect affiché des valeurs traditionnelles pour les uns, affirmation d’une politique éloignée de la sphère d'influence des Etats-Unis pour les autres, verticalité du pouvoir et capacité à restaurer un État failli, livré aux oligarques et ayant quasiment disparu de la sphère internationale, pour en faire à nouveau un acteur de premier plan pour tous, on voit bien ce qui pouvait les séduire lorsqu'ils évoquaient le régime russe - comme cela a aussi pu être le cas pour d'autres régimes, celui de la Hongrie pour les uns, du Venezuela pour un autre.

Jusqu’à l’offensive militaire, certains d’entre eux tentaient de tenir compte dans leur approche de la question ukrainienne de la politique menée depuis la chute du mur de Berlin par l'OTAN, et donc par les États-Unis, pour intégrer petit à petit les anciens pays de l'Est, rapprochant ainsi des bases otaniennes - dont les Serbes ont appris çà leurs dépens qu’elle n’étaient pas  uniquement défensives -, des frontières russes. Il était permis de craindre – ou d’espérer – que l’Ukraine suive cette voie, manifestement casus belli pour Vladimir Poutine.

Mais l’invasion militaire change la donne, et les écrits ou paroles d’hier (qui, grâce à Internet ne s’envolent plus) ont nécessairement une tout autre résonnance. Certes, peu de personnes – et pas même le président ukrainien il y a quinze jours – avaient prévu une action militaire, quand on ne parlait que de bluff, de pressions, de négociations… Mais comme nous l’avons dit, face à une telle situation, et dans un monde où la guerre est aussi une guerre de l’information à destination des opinions publiques, l’émotion, le ressenti, rendent difficiles ne seraient-ce que les contextualisions du conflit. Dès lors et à partir du moment où une immense majorité des Français prend fait et cause pour l’Ukraine agressée, le tribunal de l’opinion ressort toutes les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour ou Marine Le Pen comme autant d’éléments à charge. Et si, en plus, ils font ensuite des déclarations maladroites qui manquent d’empathie, cela n’arrange rien.

Dans la configuration actuelle, Emmanuel Macron est-il le principal bénéficiaire de la situation ? Est-il le seul ? 

Bien sûr, et ce pour plusieurs raisons. La première, résultant d’une sorte de réflexe psychologique, est que dans une période de troubles on a tendance à se rapprocher de celui qui rassure, donc du pouvoir en place. Emmanuel Macron joue ici à peu de frais le rôle de Père de la patrie, insistant sur sa mission de protection – il a plusieurs fois employé le terme – de ces Français devant qui on évoque les risques d’une conflagration mondiale nucléarisée. Il a entendu rappeler en ce sens sa fonction de chef des armées en affirmant la confiance qu'il avait dans nos forces.

58 % des Français considèrent d’ores et déjà, dans le sondage récent que j’évoquais, qu'il a été « à la hauteur » dans la crise, et l'on trouve ici le deuxième point important qui sert Emmanuel Macron - et qui, curieusement aurait pu le desservir en termes d'image -, sa tentative de médiation entre les USA et la Russie jusqu’au au dernier moment, quasiment jusqu'au déclenchement de l'offensive russe en Ukraine. Cette tentative, abondamment médiatisée, avec photos, a été dans un premier temps raillée comme étant un échec, et elle aurait pu alors pénaliser le futur président-candidat, accusé de se voir à un niveau où il n’était pas. Au contraire, à partir du déclenchement de l'offensive russe, les mêmes photos, la même attitude, ne sont plus perçues comme symbolisant un échec, mais comme l’ultime effort d’un pacifiste, et son image en sort nécessairement grandie.

Il ne faut pas oublier enfin le troisième atout d’un Emmanuel Macron actuellement président en titre du conseil de l'Europe, et jouant donc un rôle dans les choix de l'Union européenne de soutenir l'Ukraine : on l'a vu avec cette réunion tenue lundi à l'Élysée avec les principaux représentants des institutions européennes. Là encore, alors qu’une très large majorité des Français soutient l'Ukraine et souhaite que l’Union européenne soutienne ce pays, cela ne peut que profiter au chef d'État français.

Un Emmanuel Macron qui est naturellement le seul à pouvoir capitaliser en la matière, on le comprend bien. Tous les autres candidats à la présidentielle, qui ne sont pas « aux commandes », sont dès lors secondarisés., marginalisés Ils sont venus lundi à la réunion d'information présidée par le Premier ministre Jean Castex, ont obtenu des informations, mais ont dit aussi en sortant qu'ils n'étaient pas au courant des discussions qui avaient lieu quasiment au même moment entre Vladimir Poutine et le président français. Dans le même temps donc, ils assumaient leur rôle secondaire, tout en donnant à leur rival une valeur de plus, celle de son fair-play et de gardien d’une unité nationale qui doit transcender les clivages… Quant à Jean-Luc Mélenchon, qui bouda cette réunion, cela lui sera sans doute reproché, et peut-être même par ses propres électeurs.

On comprend que, dans le sondage évoqué, lorsque l'on demandait aux Français s'ils pensaient que tel ou tel candidat avait été « à la hauteur » face à la crise ukrainienne, c’était une catastrophe : on était entre 21 % d’opinions favorables pour Éric Zemmour et 29 % pour Jean-Luc Mélenchon, soit entre un cinquième et un quart des Français, quand le Président était on l’a dit à 58%. Mais, mieux encore, si les électeurs d’Emmanuel Macron considéraient à 93 % qu’il avait été « à la hauteur », ils n’étaient que 62% des électeurs d'Éric Zemmour à le penser de leur champion, 61 % pour ceux de Marine Le Pen, et… 58 % pour les électeurs d’une Valérie Pécresse dont il n’est pas certain que la création de son Conseil stratégique de défense ait renforcé l’aura.

N’y a-t-il pas un risque que, si la campagne est phagocytée par le sujet ukrainien, l’élection se fasse « par défaut » et dans une forme d’indifférence ?

C'est peut-être effectivement, le principal risque de l'impact de la crise ukrainienne sur la campagne présidentielle que de faire quasiment disparaître cette dernière. Certes, la dite campagne, en l'absence d’un Emmanuel Macron qui avait choisi de retarder au maximum sa déclaration de candidature, était pour l'instant particulièrement atone. On s'était concentré sur des petites phrases, sur un ou deux candidats, et la question des parrainages – une vraie question d’ailleurs, et que tous les candidats importants aient ce soir leurs signatures n’est en rien une victoire et moins encore une preuve que le système fonctionne bien – avait elle-même phagocyté la campagne.

Il n’est donc pas impossible que, face à cette guerre, les querelles intestines paraissent secondaires à certains, qui se désintéresseraient alors de la campagne. Mais l’Ukraine va aussi jouer un rôle direct en interférant avec certaines des problématiques de notre élection présidentielle, en en limitant les axes. En dehors de l’évolution du budget de notre défense (qui s’opposera à son augmentation ?), nul doute en effet que cela sera un argument pour demander « plus et mieux d’Europe » face à ceux qui critiquent les dérives de l’Union européenne. L’Ukraine servira aussi à expliquer à ceux qui se plaignent de la baisse de leur pouvoir d’achat le renchérissement des matières premières et de l’énergie, l’inflation de la rentrée, ou la baisse de nos exportations agricoles. Enfin, en fonction de l’évolution de la crise, elle servira pour ligoter l’opposition dans une nécessaire unité nationale, une « union sacrée » qui interdira les critiques. L’Ukraine n’aura ainsi pas tant fait disparaître la campagne des présidentielles de 2022 qu’elle en aura changé les termes et modifié les comportements des candidats. 

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