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Pré-accord sur le Brexit : et maintenant, quoi pour l’Europe ?
©Reuters

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L’idée selon laquelle le référendum britannique aurait constitué un événement isolé, pour ne pas dire insulaire, continue de sous-tendre les débats européens, et surtout hexagonaux. Or, le Brexit n’est qu’un chapitre de la crise européenne.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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On entendait encore ces derniers jours un certain nombre de commentaires selon lesquels les Britanniques n’auraient pas réussi à « diviser les Européens » et auraient par conséquent dû accepter d’humiliantes concessions aux exigences européennes. Malgré l’étape qui vient d’être passée, il ne fait aucun doute que les négociations sont aussi longues que chaotiques, puisque les deux parties se sont simplement mises d’accord sur le principe d’une période de transition dont les termes précis vont être l’objet de négociations au cours des prochains mois avant qu’un partenariat de long terme ne soit esquissé encore bien plus tard. Pour autant, on doit écarter l’idée selon laquelle il existerait en Europe un front commun des pays « raisonnables », prétendument épargnés par la crise politique qui secoue nos voisins britanniques, pour les sanctionner et souder l’Europe sur cette base.

A peine l’esquisse d’accord divulguée, Michel Barnier qui est chargé de la coordination des négociations côté européen estimait que le Royaume-Uni ne pouvait espérer qu’un accord commercial comparable au CETA qui lie l’UE et le Canada ; un accord qui n’accorde aucun statut particulier aux lois européennes et qui instaure par ailleurs le recours à des cours arbitrales pour juger les différends entre entreprises et Etats. C’est peu dire que cette formule, qui signifierait que l’UE aurait un partenariat bien moins approfondi avec le Royaume-Uni qu’avec l’Ukraine, n’a guère de sens pour un grand pays qui quitte l’Union européenne avec dans ses bagages l’intégralités des réglementations européennes. Si cette option n’est pas réaliste, son évocation illustre l’idée politique d’une séparation entre un Royaume-Uni isolé et un bloc prétendument uni.

Les exigences irlandaises contre la réinstauration d’une frontière physique avec l’Irlande du Nord ont alimenté cette vision de pays de l’Union européenne qui uniraient leurs forces pour imposer leurs conditions au Royaume-Uni. En réalité, une fois les exigences tout à fait légitimes de la République d’Irlande satisfaites (ou dans tous les cas reconnues) sur la question de la frontière, le même pays va s’avérer être un farouche opposant à l’idée d’une relation distante entre le Royaume-Uni et l’UE, du fait des liens économiques très étroits entre les deux pays, au-delà même de la question de l’Irlande du Nord. Au-delà même du cas irlandais, la plupart des pays d’Europe du Nord, s’ils veulent marquer le coup en portant atteinte par exemple à la City, jugent pour autant inenvisageable de ne pas développer un accord approfondi avec le Royaume-Uni qui permettrait de préserver les chaînes de valeurs.

La situation est, dans son ensemble, évidemment asymétrique, puisque le Royaume-Uni souffrirait plus d’un mauvais accord que l’Union européenne dans son ensemble. Mais pour un certain nombre de pays qui ont de très forts liens commerciaux avec les Britanniques, les conséquences seraient d’un autre ordre. C’est notamment le cas de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Irlande et dans une certaine mesure du Danemark et de la Suède. En Allemagne, les conséquences seraient plus limitées mais on n’y est très loin d’avoir développé une vision punitive qui ne prendrait pas en compte les intérêts de l’industrie allemande. De toute évidence, il existe une volonté de rapatrier sur le continent une partie des activités financières britanniques qui visent le marché européen. Contrairement à ce que l’on entend souvent à Paris, il n’existe cependant aucun consensus en Europe pour nuire aux chaînes de valeur industrielles, encore moins pour faire un exemple politique en nouant un partenariat a minima avec le Royaume-Uni.Il s’agit d’un nouvel exemple de ce que le discours français, dans sa dimension fédéraliste, s’intéresse paradoxalement très peu aux débats en cours ailleurs en Europe et reste figé sur l’idée d’une Europe française qui verrait nos voisins converger vers la vision politique hexagonale, quel que soit ses excès et le sujet concerné.

Les développements politiques de 2017 ont définitivement invalidé l’hypothèse selon laquelle la vague populiste se serait évaporée sur les côte européennes après le Brexit et l’élection de Trump. Les derniers épisodes en date, avec les élections allemande, autrichienne et tchèque contredisent la vision d’un bloc continental qui symboliserait la stabilité politique européenne face aux errances du monde anglophone. Ces développements sont d’autant plus marquants qu’ils touchent des pays qui peuvent être vus comme gagnants de l’UE. Les trois pays cités plus haut jouissent tous de taux de chômage très bas et si la République tchèque est moins riche, elle a connu un développement économique spectaculaire au cours des deux dernières décennies. Si les pays les moins touchés par la crise économique sont en proie à ce type de crise politique c’est bel et bien le signe d’un ébranlement politique de fond et non pas d’une simple réaction temporaire à la crise.

La crise politique britannique a pris la forme du vote du Brexit pour des raisons propres au Royaume-Uni. Au regard de la crise politique généralisée qui touche l’Europe, et évidemment la France, il est peu sensé de poursuivre dans la voie d’une marginalisation à tout prix du Royaume-Uni, qui plus est lorsqu’il n’existe en réalité aucun consensus dans ce sens en Europe.  De plus, l’étape passée ces derniers jours éloigne davantage l’hypothèse de l’instauration de barrières douanières généralisées. La question du type de partenariat a donc surtout trait aux questions réglementaires et administratives. Persévérer dans l’évocation de modèles de partenariat inadaptés comme le CETA est contreproductif. Theresa May ayant affirmé comme ligne rouge la fin de la libre circulation entre l’UE et son pays, la contrepartie est que le Royaume-Uni ne pourra effectivement pas avoir un plein accès au marché unique. Les Britanniques excluent par ailleurs la participation à l’union douanière de façon à pouvoir nouer des accords commerciaux avec des pays tiers dans être contraint par la politique commerciale de l’Union européenne.

Contrairement aux suggestions de M. Barnier, cela ne préfigure de rien quant au type de partenariat entre l’UE et le Royaume-Uni. Un accord approfondi peut tout à fait être développé malgré ces deux contraintes, de façon à préserver les intérêts des entreprises des deux côtés de la Manche. La crise politique que traverse l’Europe nous oblige à abandonner l’idée qui consiste à isoler coûte que coûte la partie britannique ou à imaginer un front commun en Europe sur cette question.

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