« Pouvoir continuer à dire tout et n’importe quoi, même des énormités ». Entretien avec Angie David<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Angie David publie L'Echapée aux éditions Léo Scheer.
Angie David publie L'Echapée aux éditions Léo Scheer.
©Editions Léo Scheer / DR

Rentrée littéraire

Directrice générale des Editions Léo Scheer, Angie David s’est fait remarquer avec des portraits de femmes, comme Dominique Aury, La vie secrète de l’auteur d’Histoire O (Prix Goncourt de la biographie) ou Sylvia Bataille, sur la muse des surréalistes, épouse tour à tour de Georges Bataille et Jacques Lacan. Elle revient avec un roman brillant et ironique, qui met en scène quatre amies, sur le seuil de leur 40 ans. Celles-ci décident de partir ensemble quelques jours pour se retrouver dans la Drôme. Au fil des conversations, les liens amicaux se dénouent et les plus vifs débats se font jour. A lire sans modération.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

Voir la bio »

Pauline de Préval : Votre livre L'Echapée est étonnamment un roman politique. Vous parlez de la tentation du retrait à la campagne, mais aussi et surtout des débats autour de la culture « woke ». Pourquoi ces questionnements ? Le roman peut-il, doit-il les aborder ? 

Angie David : Ce que j’ai voulu illustrer, c’est combien les questions idéologiques ont tout envahi, jusqu’aux discussions entre amis, où on ne peut plus partager un moment convivial, sans que les grands problèmes liés à la marche du monde viennent tout gâcher. L’idéologie a même imprégné le marketing, et il y a désormais une injonction au bien manger (vegan, no glu, écoresponsable…), au bien se vêtir (coton bio, cuirs végétaux…), au bien lire (censurer les auteurs misogynes ou d’extrême droite…). Pourquoi le roman, à mon sens, doit aborder ces problématiques, c’est parce que ça raconte notre époque, et que rien ne m’intéresse plus que le contemporain. 

PDP : Votre héroïne adhère-t-elle à ce en quoi croient ses amies ? 

AD : La difficulté que j’ai voulu mettre en scène est celle que je vis tous les jours : puisque je n’adhère pas totalement aux grandes convictions progressistes, je suis donc réactionnaire. Le simple fait de chercher à nuancer ce qui est pris comme une vérité indiscutable (le réchauffement climatique, la fin du patriarcat, le transsexualisme…) est douteux, si je ne suis pas d’accord, c’est que je pense le contraire. Cette étiquette est très violente à assumer, puisque je suis fondamentalement une démocrate-libérale, quelqu’un qui évolue dans un milieu underground, et qu’autour de moi, tout le monde est de gauche. Je ne me reconnais pas du tout dans la pensée d’extrême-droite, mais le dire est quasiment impossible. Si j’essaie d’expliquer que je cherche seulement à penser autre chose que ce qu’il convient, on me rétorque que je parle comme Zemmour, Finkielkraut et les autres, et leur « On ne peut plus rien dire », alors je suis coincée. C’est aussi ça le roman, dire ici ce que je n’arrive pas à exprimer dans la vie.

À Lire Aussi

Marina Tsvetaeva, la sœur d’Orphée

PDP : On sent l'héroïne toujours sur le fil : partagée entre l'affection pour ses amies et ce qui les distingue d'elles. L'histoire de ces amies de toujours qui se retrouvent, mais s'éloignent en même temps, est-elle aussi une métaphore de notre société ?

AD : Oui, je pense qu’au bout du compte, ces questions politiques, même si elles sont omniprésentes, sont plus secondaires qu’on veut bien l’admettre. Ce qui réunit la narratrice et ses amies, c’est 30 ans d’amitié, un vécu commun, et pas seulement au passé, puisque que leurs enfants sont aussi amis, et qu’ils représentent l’avenir de la relation. On a beau s’écharper sur des sujets aussi vastes que lointains, au final, ce qui nous lie, c’est une profonde intimité, qui échappe à tout jugement extérieur.  La société, le fameux « vivre ensemble » fonctionne sur le même principe. 

PDP : L'amitié est-elle une réponse dans un monde qui isole chacun davantage ? Autrement dit, devant une menace totalitaire, y a-t-il des réponses valables ?

AD : La réponse, selon moi, c’est la littérature. Le dernier espace de liberté absolue, où on doit à la fois cultiver sa singularité, et même sa subjectivité, et aussi pouvoir continuer à dire tout et n’importe quoi, même des énormités. Je suis contre toute forme de censure à l’égard de la littérature, et des arts en général, car c’est ça, le fascisme, et la fin de la civilisation. L’art est un exécutoire, pas un exemple, tout ce qui s’y exprime ne rejaillit pas dans le réel, c’est même le contraire. Plus on censure, plus on créé du refoulé, et plus le retour de bâton, dans la vie, sera violent. 

À Lire Aussi

Relire Orwell permet de se rendre compte que "la main invisible" d’Adam Smith ressemble de plus en plus à celle de Big Brother

PDP : Vous avez écrit des portraits de femmes fortes (Dominique Aury, Sylvia Bataille). Aujourd'hui, de quelle force doit être capable une femme pour s'affirmer ?

AD : Il me semble que l’heure des femmes est venue, et que cela a à voir avec l’évolution du monde, ce n’est pas le résultat de combats militants somme toute très récents. Les femmes ont toujours joué un rôle de premier plan, et elles n’ont pas attendu #metoo pour exister, mais la bourgeoisie les reléguait dans l’ombre, pour assurer la pérennité de la famille, base du capitalisme où le pater familias doit régner en maître (même en apparence). Je suis évidemment pour l’émancipation des femmes, et c’est mon intérêt, mais je récuse ce féminisme radical, qui par souci de compensation se comporte avec les hommes, comme ils ont pu le faire avec nous auparavant. J’aime le féminisme de Dominique Aury ou Sylvia Bataille : des femmes fortes, des femmes de tête, qui ont joué un rôle de premier plan dans la société et la vie intellectuelle de leur époque, mais sans revendication, juste en faisant, ou en étant. La puissance s’impose d’elle-même, et qu’elle soit le fruit de nombreux efforts n’est pas un problème, c’est plutôt un bienfait, puisque c’est grâce à eux qu’on peut s’élever. Je n’ai pas besoin de discours pour que ce soit une réalité, ni que la collectivité me prenne en charge. Je suis éditrice, écrivaine, mère de famille, cela est épuisant, mais c’est le prix à payer pour tout avoir, et on veut tout.

Propos recueillis par Pauline de Préval

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !