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Pourquoi les riches sont-ils devenus (vraiment beaucoup) plus riches ?
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La crise a creusé les inégalités partout dans le monde. Selon Paul Krugman, prix Nobel d'économie, ce sont les personnes les plus instruites qui s'en sont le mieux tirées ces 30 dernières années. Extraits de "Sortez-nous de cette crise... maintenant !" (1/2).

Paul Krugman

Paul Krugman

Professeur émérite de l'université de Princeton, Paul Krugman est un économiste américain qui a obtenu le prix Nobel d'économie.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont "Sortez-nous de la crise... maintenant !" chez Flammarion.

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Jusqu’à présent, bon nombre de débats autour de la montée des inégalités semblent donner à penser qu’elle répondrait à un accroissement de la prime à la compétence. La technologie moderne, nous dit-on, développe la demande de travailleurs hautement qualifiés tout en diminuant la nécessité du travail routinier et/ou physique. La minorité très instruite creuserait donc l’écart avec la majorité moins instruite.

En 2006 par exemple, dans un discours sur la montée des inégalités, Ben Bernanke, président de la Fed, a laissé entendre qu’elle était liée au fait que les 20 % de travailleurs hautement qualifiés distançaient les 80 % de travailleurs moins qualifiés.

Pour être franc, ce scénario n’est pas totalement inexact : en règle générale, plus on est instruit, mieux on s’en est sorti dans les trente dernières années. Le salaire des Américains diplômés a augmenté par rapport à celui des Américains n’ayant pas fait d’études supérieures, de même que celui des Américains qui ont atteint le troisième cycle par rapport à celui des Américains qui n’ont qu’une licence.

Mais si l’on se contente de considérer l’écart des salaires attribuable au niveau d’éducation, on n’ignore pas seulement une partie de l’explication, on passe à côté de l’essentiel. Parce que les augmentations vraiment importantes n’ont pas concerné les travailleurs ayant fait des études secondaires en général, mais une poignée d’individus très bien lotis. Les professeurs de lycée possèdent généralement des diplômes de second et de troisième cycle, mais ils n’ont pas connu, c’est un euphémisme, le type d’augmentation du revenu dont ont profité les gestionnaires de hedge funds. Souvenons-nous que vingt-cinq gestionnaires de ces fonds ont gagné trois fois plus d’argent que les quatre-vingt mille enseignants de la ville de New-York réunis.

Le slogan autour duquel s’est rallié le mouvement Occupy Wall Street, « Nous sommes les 99 % », est bien plus proche de la réalité que le discours habituel de l’establishment au sujet de l’éducation et de l’écart des compétences. Et il n’est pas l’apanage des radicaux. A l’automne dernier, le Bureau du budget du Congrès (Congressional Budget Office – CBO), résolument non partisan et archi-respectable, a émis un rapport détaillant la montée des inégalités survenue entre 1979 et 2007 ; on peut y lire qu’à cette période, les Américains situés dans la fourchette allant des 80 aux 99 % supérieurs – c’est-à-dire les 20 % qu’évoque Bernank moins les 1 % dont on parle Occupy Wall Street- ont vu leur revenu augmenter de 65. C’est une performance honorable, surtout si on le compare à celle des familles situées plus bas dans l’échelle : les familles gravitant autour de la moyenne ont fait moitié moins bien, et, on l’a vu, les 0,1 % et les 0,01 % du dessus ont fait encore mieux que cela.

Et si l’on se demande où sont passés les bénéfices de la croissance économique, l’augmentation du revenu des très riches n’a rien d’un évènement de second plan. Selon le CBO, la part du revenu après l’imposition ayant atterri dans les mains des 1 % supérieurs est passée de 7,7 %  à 17,1 % du revenu total ; cela correspond, toutes choses égales par ailleurs, à une baisse d’environ 10 % du total des revenus laissés à tous les autres. On peut aussi se demander à quelle part de l’accroissement total des inégalités correspond cette distanciation des 1 % supérieurs par rapport à tous les autres ; selon une mesure des inégalités très communément employée (le coefficient de Gini), il apparaît que l’augmentation des revenus des 1 % supérieurs rend compte d’environ la moitié du creusement de l’écart. Qu’est-ce qui explique alors que les 1 % supérieurs, et plus encore les 0,1 % supérieurs s’en soient à ce point mieux sortis que tous les autres ?

La question est loin de faire l’unanimité parmi les économistes, et les raisons de cette incertitude sont elles-mêmes révélatrices. Tout d’abord, de nombreux économistes considéraient jusqu’à très récemment que les revenus des très riches ne constituaient pas un sujet d’étude en soi, que cela relevait davantage de la presse sensationnaliste obsédée par les people que les pages des publications économiques sérieuses. On n’a pris conscience que très tard du fait que la question des revenus des riches n’avait rien de banal, et qu’elle se logeait bien au cœur de l’évolution actuelle de l’économie et de la société américaines.

Et même lorsque les économistes se sont mis à prendre au sérieux les 1 % et les 0,1 %, ils ont trouvé le sujet rugueux à deux égards. Le simple fait de poser la question les projetait dans un champ de bataille politique : la répartition des revenus au sommet est l’une de ces zones où quiconque lève la tête au-dessus du parapet subit les attaques féroces de ce qu’il faut bien considérer comme des tireurs d’élite protégeant les intérêts des riches. Il y a quelques années de cela, par exemple, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, dont les travaux ont joué un rôle crucial dans la détermination des évolutions à long terme des inégalités, se sont trouvés dans la mire d’Alan Reynolds, du Caro Institute, qui affirme depuis des décennies que les inégalités n’ont pas vraiment augmenté ; à chaque fois que l’un de ses arguments est minutieusement démenti, il en sort un autre de sa manche.

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Extrait de "Sortez-nous de cette crise... maintenant !" chez Flammarion (5 septembre)

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