Pourquoi poursuivre des exonérations de charges qui cassent la croissance française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bercy s'oppose à cette décision et « ne compte pas revenir sur une politique d'allègements de charges qui fonctionne ».
Bercy s'oppose à cette décision et « ne compte pas revenir sur une politique d'allègements de charges qui fonctionne ».
©LOIC VENANCE / AFP

Décision récente

Les députés viennent de donner leur feu vert pour supprimer les exonérations de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC.

Erwann  Tison

Erwann Tison

Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail et aux questions de formation. Il dirige les études de l’Institut Sapiens depuis décembre 2017.

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Atlantico : Vous critiquez sur X une récente décision des députés de la majorité qui ont donné leur feu vert pour supprimer les exonérations de cotisations sur les salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Vous dites que c'est une erreur. Pourquoi ?

Erwan Tison : Pour moi, cette décision est regrettable parce qu'on a déjà des effets de seuil qui sont extrêmement nombreux en France. L'addition des réformes Aubry et Fillon, tout ce qui s'est passé entre 1999 et 2003, est assez délétère. Ces deux réformes ont crée des énormes effets de seuil autour de 1,6 SMIC. Du coup, on a allégé toutes les cotisations qui pouvaient exister jusqu'à ce niveau-là et on les a déportées au-delà. Dans un premier temps, il y a eu une forte accélération des salaires autour du niveau de 1,6 SMIC. Malheureusement, tous les salaires se sont, depuis, concentrés autour de ce niveau-là. Aujourd'hui, c'est devenu le salaire médian. Il stagne. Sa croissance est limitée depuis 20 ans quand vous comparez avec d'autres pays européens. Ce qui participe mécaniquement à l'appauvrissement des Français parce que leur salaire n'a pas une croissance naturelle. Une croissance naturelle qui devrait être réelle s’il n’y avait pas ces effets de seuil. 

Un chiffre pour illustrer l'effet de seuil en question. Quand un salarié est au niveau de 1,6 SMIC, pour l’augmenter de 100 € net d’impôt il faut que l’employeur, lui, verse 300-310 €. Au moment du CICE, on avait fait en sorte que les cotisations soient plus faibles jusqu'à 2,5 SMIC avec comme objectif d'avoir une croissance jusqu'à ce niveau-là. C'était d'ailleurs une proposition liée au rapport Gallois qui disait que la plupart des emplois industriels étant autour de 2,5 SMIC. Si on voulait recréer de l'industrie en France, il nous fallait alléger les charges autour de ce niveau-là et donc, remettre des cotisations en plus. Supprimer certains allègements va tout simplement désinciter les employeurs à augmenter à partir de ce niveau-là. Soit on va reconcentrer les revenus des salaires des Français en dessous du niveau de 2,5 SMIC et continuer à hyper concentrer autour du salaire médian. Soit on va perdre en attractivité par rapport à d'autres profils à l'international qu'on aurait pu attirer ou éviter d'exporter.

Notre système d’exonération de charges est-il trop complexe ? Est-ce qu'il faut le rendre plus clair, plus lisible ? Comment faire pour augmenter vraiment les salaires des Français ? 

Il faudrait relisser l’échelle des cotisations de manière beaucoup plus simple. Il faudrait éviter qu'il y ait des effets d'escalier car il y a des effets de seuil très forts aujourd'hui. Le fait de ne pas avoir de cotisations au niveau du SMIC, c'est très bien pour créer de l'emploi au niveau du SMIC mais c'est très inutile après d'avoir des personnes qui, pourtant, peuvent avoir des progressions de salaires normales. 

Malheureusement, beaucoup de salariés qui sont au SMIC en France le restent toute leur vie. Il n'y a pas vraiment de progression salariale tout au long d'une carrière. C'est extrêmement déprimant, c'est démotivant et surtout, c'est injuste. Il faudrait donc avoir quelque chose de beaucoup plus lisse, peut-être même progressif. 

Ensuite, comment est-ce qu'on augmente le salaire ? Il ne faut pas oublier que le principal moteur de la hausse des salaires, ça reste la productivité. Même si on bouge un petit peu l'échelle des cotisations, on pourra recréer de la croissance naturelle, mais on ne pourra pas augmenter mécaniquement et durablement les salaires en bougeant les cotisations. 

Ces effets de seuils, ça fait partie des vices de notre système d'exonération de charges ? Y en a-t-il d'autres ?

Il y en a plein d'autres en effet. Il y a les exonérations de cotisations, une grande partie des allocations, des aides matérielles en nature qui peuvent faire que, des fois, quand vous avez 150 euros d’augmentation vous allez perdre X euros en parallèle, que ce soit en avantages monétaires ou en avantages non monétaires. Ces effets- là sont extrêmement pervers parce que vous avez vraiment des désincitations, soit à augmenter vos salariés, soit même à refuser d'accepter une augmentation ou une promotion. 

Est-ce qu'il faut revoir tout notre système d'exonération de charges ? 

Il faut le revoir et il faut accepter de lisser tous les différents seuils qui peuvent exister. C'est la seule manière qu'on aura pour remettre un petit peu de croissance naturelle dans les salaires.

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