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Pourquoi mai 68 et son idéologie ont littéralement abîmé nos cerveaux
©AFP

Plaisir coupable

En cherchant le plaisir à tout prix, nous sommes moins capables d’être heureux. C’est la science qui le dit. Car le monde d’aujourd’hui ne supportant pas le manque, celui-ci s’écroule à la première frustration.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Comment fonctionnent les mécanismes de la récompense de notre cerveau? Entre l'effet d'accoutumance que peut provoquer la dopamine et le mécanisme de tolérance qui implique qu'il faudra toujours plus de ce qui procure du plaisir pour obtenir la même satisfaction ?

André Nieoullon : En l’état de nos connaissances, la question du bonheur -et a fortiori de ses mécanismes- dépasse les compétences du neurobiologiste. Plus prosaïquement, les chercheurs en neurosciences s’interrogent depuis toujours plutôt sur les notions de désir et de plaisir, dans un contexte général qui est celui de ce que l’un de nos plus célèbres neurobiologistes, Jean-Didier Vincent, a qualifié, il y a déjà de cela quelques années, « la biologie des passions ». Mais il reste difficile de définir le désir et, pour l’auteur,les « passions » réfèrent à ce que nous subissons plus qu’à ce que nous désirons, sources d’émotions que nous ressentons comme le plaisir, mais aussi souvent comme de la peine. Les passions, assurément, font partie intégrante de l’être et contribuent au déterminisme de ses comportements, en accord avec la théorie des passions selon Spinoza. Dès lors, le désir peut-être défini comme une envie parfois irrépressible d’obtenir quelque chose qui nous donnera satisfaction et, ultimement, nous procurera du plaisir.

Envie et plaisir… Deux notions que le neurobiologiste relie au désir et à la récompense. L’envie est un besoin ; le plaisir est lié à la jouissance. Mais lorsque le besoin n’est plus satisfait par le plaisir, alors l’envie laisse place à la dépendance et devient -oh combien !- destructrice pour l’individu à la recherche de cette idéation tellement trompeuse du bonheur. C’est dans un tel paradigme que le chercheur a décrit les circuits neuronaux de ce que l’on nomme « les circuits de la récompense ».  Envie et plaisir paraissent utiliser des circuits différents mais, dans les deux cas, il existe une forme de dénominateur commun : l’implication d’un neurotransmetteur, parfois abusivement désigné comme « l’hormone du bonheur », la dopamine cérébrale. Cette vision est à la fois exacte et cependant excessivement réductrice. Toutefois, c’est ce que retient dans son ouvrage Robert Lustig, ce neurologue américain qui fonde la quête du plaisir sur la dopamine.

De très nombreux travaux attestent de fait de l’implication de la dopamine sécrétée dans les régions antérieures du cerveau par des neurones situés dans ses profondeurs, ce que l’on nomme le mésencéphale. En fait, l’idée est que la dopamine est sécrétée en rapport avec des stimuli considérés comme agréables, ce qui donne une sensation de plaisir. Dopamine et plaisir : une équation simple. Trop simple, vraisemblablement. De façon intéressante, dans des protocoles expérimentaux où le stimulus est représenté par une excellente nourriture, un certain nombre de travaux récents montrent que lorsque les neurones dopaminergiques ne sont plus là, l’individu se comporte comme s’il aimait toujours cette nourriture, mais qu’il ne la désirerait plus. En d’autres termes, si cette nourriture est disponible, à portée de consommation, elle est ingérée. Par contre, dans le cas où elle doit être recherchée, l’individu ne montre pas de « manque ». A l’inverse, la stimulation dopaminergique parait créer un désir pour cette nourriture sans pour autant en accroître les effets hédoniques… Dès lors ces résultats ont été mis en rapport avec les mécanismes du désir associé aux addictions. Il n’est alors pas surprenant de constater que la plupart des substances addictives, consommées pour le plaisir qu’elles procurent, aient pour cible les neurones dopaminergiques. Tels l’alcool et la nicotine, mais aussi et surtout les substances psychotropes comme les amphétamines, la cocaïne, et plus encore les dérivés des opiacés comme l’héroïne, qui, de fait, prolongent l’action de la dopamine.

Mais la sur-stimulation de ce système à la base de la récompense provoque une adaptation de son activité, et l’exposition chronique a pour conséquence un affaiblissement des fonctions dopaminergiques. Dès lors la recherche du plaisir va passer par la recherche de toujours plus de stimulus pour obtenir un meilleur effet, qui, de toute façon va avoir tendance à s’amenuiser. C’est ce que l’on nomme la dépendance, c’est-à-dire qu’il faut toujours plus de drogue pour obtenir l’effet désiré. Ainsi l’arrêt de la consommation chez le toxicomane s’accompagne-t-il d’une sécrétion très faible de dopamine dans le cerveau antérieur, faisant que ce « sevrage » est concomitant d’un phénomène irrépressible de « manque » pour la substance concernée.

La formation des désirs et des préférences implique l’apprentissage et la mémoire. Et dans ce cas l’anticipation d’une récompense potentielle est susceptible de stimuler l’envie d’agir pour l’obtenir ; telle est la problématique d’autres formes d’addictions, notamment dans le cadre du jeu de hasard. C’est la « représentation » de cette récompense qui est le moteur. Elle implique cette fois d’autres zones cérébrales, notamment au niveau du cortex dans la partie dite pariétale de l’encéphale, mais aussi dans d’autres régions comme l’amygdale, l’hypothalamus ou encore le cortex frontal, autant de régions riches en récepteurs sensibles à la dopamine. « Donner envie » passe alors par la construction de ces associations entre un stimulus et une forme de plaisir qui, lui, est lié à la récompense. Pour rejoindre la thèse de Robert Lustig, spécialiste de l’addiction au sucre, le neuromarketing va viser la construction de ces représentations, jusqu’à faire imaginer à l’individu que ces stimuli lui sont indispensables. La « dictature du like », avez-vous dit ?

Au vu de ces éléments, la recherche permanente de bonheur et de jouissance à tout prix qui  caractérise la génération de Mai 68 ne rend-t-elle pas plus difficile  l’accès au bonheur pour les générations qui suivent ? N’y a-t-il pas en outre  un effet pervers des Trente Glorieuses ?

Bertrand Vergely : Il importe de distinguer les questions de fait des questions de mentalité et de pensée.

Du point de vue des faits,  la génération issue de Mai 68 a d’un côté rendu l’accès au plaisir plus facile et d’un autre côté introduit des obstacles sur sa route. Mai 68 a libéré les comportements en ce qui concerne la sexualité. En ce sens Mai 68 a rendu l’accès au plaisir plus facile. Mais d’un autre côté, Mai 68 a fabriqué un monde qui a du mal à être heureux. Dans son ouvrage Halte à la société dépressive Tony Anatrella  fait remarquer que le monde d’aujourd’hui ne supportant pas le manque, celui-ci s’écroule à la première frustration. D’où la montée d’une société dépressive.   Cette remarque est très juste et fait bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Notre monde qui a l’habitude d’être gavé  ne supporte pas le manque et s’écroule à la première frustration. Surtout, phénomène nouveau, notre monde ne supporte pas d’attendre. Si bien qu’il y a une montée de l’impatience, montée perceptible à travers le phénomène du zapping. Pour être heureux il faut accepter de ne pas l’être toujours ni tout de suite. C’est ainsi que l’on savoure un plaisir quand il apparaît.  Notre monde qui veut être heureux tout le temps et tout de suite est nécessairement un monde malheureux. Par ailleurs, en ce qui concerne les Trente Glorieuses, notre monde a été égoïste et  irresponsable. Il a cru à l’époque qu’il était possible de partir à la retraite à 60 ans. Aujourd’hui on se rend compte que c’est une erreur. Notre monde n’a plus les moyens de payer une masse de retraites. Il n’est pas sûr que demain il sera possible de les payer au prix actuel.  Les Trente Glorieuses ont fait croire que l’on allait vivre dans un monde de progrès constant. Aujourd’hui, on se rend compte que ce n’est ni vrai ni souhaitable.

Au-delà des questions de fait concernant le bonheur, il y a des questions de fond. Le bonheur est une philosophie et réclame une philosophie, le bonheur étant une vertu et cette vertu reposant sur une ascèse. Or, il n’y en a pas. Il n’y en a plus, parce que nous n’avons pas, nous n’avons plus de spiritualité. Nous sommes dans un monde qui confond le fait d’être dopé avec celui d’être heureux. Le fait d’associer le bonheur à la dopamine produite par le cerveau l’illustre. Le fait pour certains programmes politiques de proposer de dépénaliser le cannabis l’illustre aussi. Cela se voit également dans les projets trans-humanistes qui pensent qu’en dopant le cerveau il va être possible rendre celui-ci hyperpuissant et de ce fait hyper heureux. Le bonheur est vu comme un plaisir que l’on consomme et non comme une vertu que l’on cultive. Il est normal qu’avec une telle approche, on ne soit jamais heureux, le bonheur étant un état de conscience et non un produit de consommation.

Qu’est-ce qui explique le fait qu’aujourd’hui des industriels utilisent les phénomènes d’accoutumance afin de rendre les consommateurs dépendants de leurs produits ? Assiste-ton à une généralisation de la pratique consistant à jouer avec les mécanismes de récompense présents dans le cerveau ? Les réseaux sociaux ne reposent-ils pas entièrement sur ces mécanismes à travers la dictature du loke  qu’ils installent en permanence ?

Bertrand Vergely : Le cerveau est un outil qui fait ce qu’on lui dit de faire. Ce n’est donc pas lui mais ce qu’il y a derrière lui,  qui est responsable des conduites addictives qui dévorent la société contemporaine. On parle aujourd’hui du cerveau à tout bout de champ. Soit. Cela fait toutefois longtemps que la culture sait que le plaisir peut devenir une tyrannie, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jean-Claude Guillebaud à ce sujet La tyrannie du plaisir. En ce qui concerne les industriels, quand ceux-ci créent des phénomènes d’addiction afin de rendre leurs clients dépendants de leurs produits et de leurs services, ils le font par cupidité, par soif cynique de profit dépourvue de tout sens de responsabilité citoyenne et d’une façon générale du fait du matérialisme qui règle aujourd’hui la conscience collective dans le monde occidental. S’agissant des mécanismes de récompense, ceux-ci sont bien sûr utilisés par les logiques commerciales qui fonctionnent sur la séduction permanente en proposant  des récompenses et des promotions. Ce qui a donné lieu récemment à des scènes ahurissantes quand une chaîne de supermarchés a proposé des ventes de Nutella  avec 70% de rabais. Avec la culture du gratuit qui est en train de se mettre en place les choses ne vont pas s’arranger. S’agissant des réseaux sociaux, bien évidemment, la culture du j’aime-j’aime-pas à propos de tout utilise les mécanismes de récompense que l’on trouve dans le cerveau mais surtout elle les surexcite. 

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