Pourquoi les politiques de la jeunesse sont contre-productives pour les jeunes<!-- --> | Atlantico.fr
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La jeunesse est l'âge de "l'entrée dans la vie" - la période de transition, qui tend à s'allonger et à se complexifier
La jeunesse est l'âge de "l'entrée dans la vie" - la période de transition, qui tend à s'allonger et à se complexifier
©Reuters

"Quel monde allons-nous laisser ?"

François Hollande a prononcé mercredi ses vœux à la jeunesse dont il avait fait une priorité pendant sa campagne. Contrats de générations, emplois d'avenir : après huit mois de présidence, la politique de la jeunesse de Hollande répond-elle aux attentes ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : François Hollande a prononcé ses vœux à la jeunesse dont il avait fait une priorité pendant sa campagne. Sur les 60 engagements du candidat François Hollande, 13 visaient à "redonner espoir aux nouvelles générations". Contrats de générations, emplois d'avenir : après huit mois de présidence, la politique de la jeunesse de Hollande répond-elle aux attentes  ? 

Eric Deschavanne : On ne juge pas une politique après huit mois. François Hollande a eu raison de faire de la jeunesse et de l'éducation des priorités. Le destin de leurs enfants constitue pour les Français l'une des principales raisons de s'intéresser à la politique de leur pays. La question "Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?" est peut-être la seule aujourd'hui à pouvoir nous arracher au court-termisme médiatique et à l'empire des intérêts particuliers. Elle constitue également la pierre de touche pour évaluer une politique : la jeunesse incarne l'avenir, de sorte que tout discours à la jeunesse devrait être un discours sur l'avenir, tandis que toute vision à long terme s'adresse nécessairement à la jeunesse. L'objection principale que l'on pourrait peut-être adresser à François Hollande porte à mon sens sur ce point : la politique de la jeunesse ne peut se dissocier de la politique générale; si le Président de la République n'est pas en mesure de délivrer un diagnostic clair sur la situation de la France dans le monde, ainsi que sur les buts à atteindre et les moyens de les atteindre, il lui sera difficile de redonner confiance aux jeunes Français. Or, ceux-ci sont parmi les plus pessimistes au monde quant à l'avenir de leur pays.

Pour s'adresser à la jeunesse en portant une vision optimiste de l'avenir, la gauche est me semble-t-il dotée d'une force et d'une faiblesse. Sa force est qu'elle défend le libéralisme moral et l'idée d'une société ouverte qui domine au sein des nouvelles générations, tandis que la droite tend à se replier sur un discours identitaire et conservateur. Sa faiblesse est qu'elle cultive volontiers le dénigrement de l'entreprise et du libéralisme économique, voire le dénigrement des institutions, notamment à travers la rhétorique de la dénonciation des discriminations.

Un sondage Harris Interactive publié ce mardi indique que 60% des 25-34 ans pensent que la société française ne leur permet pas de vivre mieux que leurs parents. Dans ce contexte le risque de choc des générations est-il à prendre au sérieux ? Comment inverser la tendance ?

Des données objectives permettent de justifier ce pessimisme. Si la situation moyenne des jeunes en termes de pouvoir d'achat, de bien-être et d'ouverture des destins est probablement meilleure que jamais, l'absence de perspective de croissance, l'endettement public et les menaces qui pèsent sur l'avenir de la protection sociale sont des facteurs qui ne sont guère susceptibles de générer confiance et enthousiasme. Les effets des "trente piteuses" sur la situation relative des générations commencent à se voir dans les statistiques : en un paradoxe qui n'est qu'apparent, la situation des "vieux" s'est considérablement améliorée depuis la fin des trente glorieuses. 2,5 millions de personnes recevaient l'allocation vieillesse en 1975, elles ne sont plus que 580 000 aujourd'hui, alors que la population des plus de 60 ans a augmenté. La pauvreté touche désormais davantage les jeunes que les vieux qui, en termes de revenu de patrimoine et de logement, ont une situation plus enviable.

Peut-on dès lors s'inquiéter d'un risque de conflit des générations ? Je ne le crois pas du tout. D'abord parce que le lien entre les générations, à travers la solidarité familiale, s'avère plus solide que jamais. Ensuite parce que le problème majeur de la jeunesse n'est pas tant celui de l'inégalité des générations que celui du clivage intragénérationnel entre jeunes qualifiés et jeunes sans qualification. Enfin, et peut-être surtout, parce que, s'il est vrai qu'un transfert des ressourves des plus âgés vers les plus jeunes est une nécessité, le défi à relever est avant tout celui d'une prise de conscience collective qui concerne aussi bien les jeunes que les vieux. Considérez les mouvements de jeunes de ces dernières années et voyez s'ils annoncent une révolution économique et sociale susceptible d'améliorer leur condition ! On a même vu des lycéens et des collègien manifester pour la préservation d'un système de retraites dont ils n'ont pas la moindre de chance de bénéficier un jour !


A chaque élection présidentielle les candidats promettent désormais une grande politique de la jeunesse. Mais l'idée de mener des politiques spécifiquement destinée aux jeunes n'est-elle pas finalement contre-productive en ne considérant les problèmes que partiellement et à court terme ? 

La jeunesse est l'âge de "l'entrée dans la vie" - la période de transition, qui tend à s'allonger et à se complexifier, conduisant du statut d'élève ou d'étudiant jusqu'à l'installation définitive dans l'âge adulte. Le principal problème des jeunes est la distance qui existe nécessairement entre un monde éducatif et familial où ils sont surprotégés et un monde du travail caractérisé par l'exposition au risque et la contrainte de compétitivité. Certaines caractéristiques françaises contribuent à accroître davantage cette distance : le dénigrement de l'entreprise et du capitalisme au sein du monde éducatif, la dévalorisation de l'enseignement professionnel et le recours insuffisant à l'alternance, ou encore l'emploi protégé (CDI et statut du fonctionnaire), qui accentue la précarité des "outsiders".

La politique de la jeunesse conduite depuis trente ans s'est en gros construite autour de deux axes : pour le plus grand nombre, la protection par le diplôme, au moyen de la démocratisation de l'enseignement supérieur; et une forme de discrimination positive économique pour ceux qui, sans diplôme ni qualification, éprouvent les plus grandes difficultés à accéder à l'emploi. Le résultat n'est guère brillant, c'est le moins que l'on puisse dire : nous avons un taux d'emploi des jeunes particulièrement faible et un taux de chômage particulièrement élevé.

Les "emplois d'avenir" s'inscrivent malheureusement dans la lignée des mesures contreproductives, précisément parce qu'ils n'offrent aucun avenir : subventionner des emplois non marchands est une manière de creuser la distance qui sépare les jeunes du marché du travail. Sur le front éducatif, en revanche, on peut considérer que l'accent mis sur l'enseignement primaire va dans le bon sens; mais ses effets sur le devenir des jeunes, s'ils sont conséquents (ce qui n'est pas garanti) ne pourront s'évaluer à l'échelle du quinquennat.

Les conditions de l'entrée dans la vie déterminent la diversité des destins des générations qui se succèdent. La confiance en l'avenir ne sera pas restaurée si l'économie demeure bridée et la croissance atone. La lutte contre le décrochage scolaire et l'exclusion des jeunes sans qualification est une bonne chose, mais il serait préférable de tarir le mal à la source en rendant l'école plus efficace. Relève en revanche plus spécifiquement d'une politique de la jeunesse à court terme l'accompagnement qui favorise la transition vers l'emploi. La France est très en retard, par exemple, en matière d'accompagnement des jeunes chômeurs non qualifiés : seul un jeune chômeur sur dix a au moins un entretien par mois pour l'accompagner dans sa recherche d'emploi. Les Danois sont parvenus à éradiquer le chômage des jeunes en offrant au jeunes chômeurs une formation d'une année et demi en contrepartie de l'accès aux allocations chômage. Peut-être faudrait-il concentrer les moyens sur la mise en place en France d'un dispositif de ce type.

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