Pourquoi les pays du Sud refusent de prendre partie dans la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Débats à l'ONU sur la guerre en Ukraine, le 2 mars 2022
Débats à l'ONU sur la guerre en Ukraine, le 2 mars 2022
©MICHAEL M. SANTIAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP

Non alignement

Lors de plusieurs résolutions à l'Assemblée générale des Nations unies, de nombreux pays du Sud n'ont pas souhaité condamner la Russie. Comment expliquer ces non-prises de position ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Le 2 mars 2022, lors d'une résolution à l'Assemblée générale des Nations unies, la majorité des 193 pays se sont prononcés contre la Russie. 141 l’ont condamnée, 35 se sont abstenus et seulement cinq ont soutenu Moscou. Comment expliquer que l’immense majorité des pays qui n’ont pas condamné la Russie sont des pays du Sud ? 

Emmanuel Dupuy : Une autre résolution, le 24 mars, a donné des résultats quasiment identiques. Le 7 avril, un vote suspendant les droits d’appartenance de la Fédération de Russie au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a vu 93 « Oui », 24 « Non », alors que 58 pays se sont abstenus. Encore une fois, la majorité des pays qui n’ont pas condamné la Russie sont des pays du Sud. 

Ce « non-alignement » s’inscrit en réalité dans une certaine continuité historique, qui s’est exprimée dès la conférence de Bandung en Indonésie en 1955, puis au moment de la création du mouvement des non-alignés à Belgrade, alors en Yougoslavie, en 1961. Cette notion de non-alignement est profondément marquée pour de nombreux pays du Sud. Ils ne veulent pas rentrer dans une logique binaire, celle de la nouvelle guerre froide. Bien souvent, ces pays ne souhaitent pas participer à des blocs ou des alliances militaires et gardent une forme d’indépendance. Cette situation conforte un nouvel agenda diplomatique et certains pays pourraient tirer des avantages, comme le Maroc ou le Sénégal. 

Les pays du Sud peuvent-ils avoir une sorte d’appréhension à condamner la Russie ? Moscou dispose-t-il de moyens de pression envers ces pays ? 

Les pays du Sud n’ont aucun intérêt à se mettre la Russie à dos. 32 pays africains dépendent, à des pourcentages différents, de l’importation de grains russes ou ukrainiens et Moscou est le premier fournisseur de grain pour de nombreux pays africains.

À titre d’exemple, le Bénin dépend à 100% des exportations de céréales russes, le Soudan 75%, le Sénégal à 65% … Il y a donc une certaine rationalité économique dans ces non-prises de position des pays du Sud, puisqu’ils ne veulent pas rentrer dans une logique d’affrontement avec les États-Unis ou la Russie. Cet argument économique est absolument déterminant. 

Enfin, d’un point de vue politique ou géopolitique, des pays comme la Russie, la Turquie, la Chine ou l’Inde sont des acteurs majeurs sur le continent africain. De facto, les pays du Sud ayant eu des positions de tolérance, de soutien ou d’abstention plus ou moins tacites vis-à-vis de Moscou obligent les partenaires stratégiques de la Russie à ne pas prendre de positions trop critiques. 

Pour les 35 pays qui se sont abstenus, les aspects idéologiques, historiques et culturels comptent-ils autant que le calcul économique et géopolitique ?

Les pays qui se sont abstenus n’ont pas tous une ligne historique convergente envers la Russie. De nombreux pays, comme le Maroc, le Bénin, le Rwanda … sont plutôt dans le camp Occidental. Je pense que le calcul économique et géopolitique prend donc largement l’avantage. 

On peut également noter que la Russie a demandé expressément et a fait une campagne de lobbying pour que des pays la soutiennent. Le pays du A3, c’est à dire le Ghana, le Kenya et le Gabon ont subi une pression assez forte. Cela explique que le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, qui préside également la CEDEAO, se soit abstenu lors du premier vote le 2 mars dernier. La Russie a eu la volonté de créer une filiation, un partenariat, avec de nombreux pays du monde émergent. 

Les contours de ce jeu d’alliance vont se jouer lors du prochain sommet du G20 à Bali en novembre prochain. Joko Widodo, le président indonésien, a invité la Russie ainsi que le président ukrainien Volodymyr Zelensky. De plus, une remise en cause des organisations intergouvernementales périphériques à l’ONU est à anticiper. Ainsi, la Russie ne fera pas son retour au sein du G7. Le président Bolsonaro et son prédécesseur le président Lula évoquent fréquemment l’idée que les responsabilités de la guerre en Ukraine sont partagées. La Russie va jouer sur ces pays émergents, permettant à des pays comme la Turquie de confirmer son rôle de médiateur ou de facilitateur, en jouant sur les deux tableaux. 

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