Pourquoi l'idée des machines au service d’une humanité qui ne sera pas dépendante de ces machines... est un leurre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi l'idée des machines au service d’une humanité qui ne sera pas dépendante de ces machines... est un leurre
©Toru Hanai / Reuters

Bonnes feuilles

Ce livre plein d’humour nous apprend beaucoup sur nous-mêmes, sur les hommes (et femmes) politiques, sur les grands singes… et les robots. Ce livre est aussi un bestiaire à clés, où toute ressemblance avec des personnages existants risque de ne pas être pure coïncidence… Extrait de "Qui va prendre le pouvoir ?" de Pascal Picq, aux Editions Odile Jacob (2/2).

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

Voir la bio »

Deux grands sujets préoccupent les femmes et les hommes partout dans le monde en ce début de XXIe siècle : le travail et le revenu universel. Les débats politiques et de société autour de ces sujets semblent nouveaux. Or il n’en est rien.

L’allocation universelle, le revenu pour tous ou encore l’impôt négatif – il existe d’autres dénominations –, apparaît dans tous les projets de nouvelles sociétés, à commencer par L’Utopie de Thomas Moore (1516) dont le six centième anniversaire a échappé à toutes les commémorations historiques, sans oublier La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon (1624). On retrouve cette idée chez Thomas Paine dans le cadre de la Révolution américaine, puis chez les utopistes socialistes et même chez les ultralibéraux de l’école de Chicago. Cela fait environ un quinquennat qu’on en parle dans tous les pays avancés du monde (États-Unis, Canada, pays scandinaves, Hollande, Suisse…), avec diverses expériences déjà en cours. Cette idée revient tout juste dans les débats de société et de politique en France, notamment avec un rapport du Sénat présenté à la fin de l’année 2016 (voir « Instauration d’un revenu de base » sur www.senat).

L’anthropologie des temps modernes montre avec une récurrence infaillible que chaque changement de socio-économique dans l’histoire de l’Occident depuis la Renaissance s’accompagne de nouvelles utopies dont les promesses sont invariables : vivre plus longtemps, vaincre les maladies et la mort, libérer les femmes et les hommes du travail de production, construire le bonheur. Mais qui produit dans de telles sociétés ? Aujourd’hui, on ne pense plus à des grands singes au service des machines, mais à des machines de plus en plus autonomes, les robots, au service des humains. Personne ne semble conscient que toutes ces promesses fondées sur la fin de la pénibilité préparent l’invasion des machines qui, non seulement, se substituent de plus en plus aux métiers de production et de services, mais sont déjà devenues incontournables dans les professions utilisant la recherche et le traitement de données.

Les robots et l’intelligence artificielle, le numérique, remplacent de plus en plus la main-d’œuvre et, ce que n’avaient pas vu les utopistes, le cerveau d’œuvre. Les projets utopistes souffrent tous de la même tare originelle, il faut des entités de chair ou de métal pour produire et rendre des services. Le mythe des machines au service d’une humanité de plus en plus heureuse sans être dépendante de ces machines est un leurre qui nous précipite justement dans le « syndrome de la planète des singes » qui est au cœur de ce chapitre.

Comment se fera le financement de ces machines et de ce revenu universel ? Sur la base de quelles richesses à redistribuer ? La seule redistribution à partir des revenus salariaux n’est plus viable et déjà notoirement insuffisante. Alors taxons les robots (on en parle) ! Mais qu’importe puisque les machines feront des machines : tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Seulement le démiurge technologique frappe déjà à la porte de notre postmodernité avec la question soulevée par le développement des objets connectés (IdO pour Internet des objets ou IoT pour Internet of Things) et la mise en place de groupes éthiques sur les dangers de ne plus contrôler cette évolution comme le craignent des personnalités comme Stephen Hawkins, Elon Munsk et d’autres.

Reste une question, pourquoi les robots auraient des droits que des êtres animés, humains ou pas, n’ont jamais eus ? Les robots présentent l’avantage d’être aussi efficaces que dociles, tant qu’ils respectent les trois lois d’Isaac Asimov :

1. Un robot ne peut attenter à un humain, ni rester passif s’il est en danger.

2. Un robot doit obéir à un être humain, sauf si cela va contre la règle précédente.

3. Un robot doit protéger son existence tant que cela ne contredit pas les règles 1 et 2.

Ces lois fondamentales des robots sont rappelées tout au long du film I, Robot adapté de plusieurs livres de science-fiction d’Isaac Asimov, dont Les Robots et Le Robot qui rêvait. Ces lois restent respectées tant que les ingénieurs et les informaticiens contrôlent les logiciels tout en croyant qu’aucun piratage ne soit possible… Et surtout tant que les robots n’acquièrent pas un début de conscience, comme dans le film I, Robot d’Alex Proyas sorti en 2004 (et inspiré justement de plusieurs récits d’Asimov) dans la série diffusée par Arte Real Humans ou encore dans la toute récente première saison de la série produite par HBO et qui a battu des records d’audience, Westworld (elle-même adaptée du film Mondwest réalisé par Michael Crichton en 1973). Mais une fois de plus, insistons sur ce paradoxe ahurissant : on a exploité des catégories humaines et des animaux en leur niant toute sensibilité et toute conscience alors que l’on discute déjà de droits universels pour des robots qui, pour l’heure, n’ont ni sensibilité ni conscience. Les fondements de ces valeurs éthiques, comme leur négation, s’appuient sur des traditions anthropologiques profondément inscrites dans nos  "inconscients collectifs ".

Extrait de "Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots" de Pascal Picq, aux Editions Odile Jacob

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !