Pourquoi l'argumentaire anti-Amazon de Paul Krugman ne tient pas<!-- --> | Atlantico.fr
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"Amazon.com, le géant du commerce en ligne, a trop de pouvoir et utilise ce pouvoir d’une manière qui heurte l’Amérique", estime le prix Nobel d'économie 2008.
"Amazon.com, le géant du commerce en ligne, a trop de pouvoir et utilise ce pouvoir d’une manière qui heurte l’Amérique", estime le prix Nobel d'économie 2008.
©Reuters

Le buzz du biz

Le prix Nobel d’économie 2008 Paul Krugman a dénoncé dans le New York Times le pouvoir du géant du commerce en ligne Amazon, qu'il juge excessif. Décryptage comme chaque semaine dans votre chronique du "buzz du biz".

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Paul Krugman n’aime pas les inégalités. On le sait, parce qu’il a soutenu Thomas Piketty lorsque celui-ci est passé du statut d’économiste à celui de rock-star fiscale mondiale, avec son livre monumental et sa proposition de taxer, taxer et taxer. Pour Krugman, comme pour Piketty, l’inégalité est fondamentalement injuste. Ils considèrent l’un et l’autre qu’il y a, grossièrement, un niveau de réussite qui est indécent et doit être sanctionné par la guillotine étatique, dont la lame est soit réglementaire soit fiscale. Krugman vient de le montrer à nouveau en appelant au démantèlement d’Amazon ; la raison : le distributeur serait devenu "trop" important, "trop" grand.

Dans un papier paru récemment dans le New York Times, le prix Nobel d’économie a d’abord accusé Amazon d’être un "monopsone". Les grands mots ! Selon lui, Amazon serait le seul "demandeur" sur son marché (un "monopsone") car tous les producteurs seraient obligés d’y avoir recours pour écouler leur offre. D’autres avancent qu’il serait également un "monopole" (un offreur unique), car tous les consommateurs devraient passer par lui pour y acquérir leurs produits. Amazon profiterait de cette position pour faire baisser les prix, mettant ainsi ses fournisseurs sous pression ; les éditeurs en verraient leurs marges baisser dangereusement. Pour Krugman, ce n’est pas admissible car l’intérêt du consommateur ne saurait être l’alpha et l’omega de la politique de concurrence. Arnaud Montebourg appréciera certainement ce plaidoyer pour la défense des producteurs et le gouvernement se réjouira d’avoir trouvé un allié dans sa lutte pour l’augmentation des prix. Pourtant, l’argument ne tient pas debout.

Amazon n’est pas le seul acteur, comme Matt Yglesias l’a montré. Du côté de la demande en aval, il suffit de taper le nom d’un livre sur Google pour voir qu’il existe plein d’autres moyens de l’acquérir. Du côté de la production en amont, Apple distribue des ebooks en quantité et, pour les autres produits, les concurrents d’Amazon sont loin d’être des nains : ce sont les grands groupes de la distribution de mode, du jouet, de l’électronique… Au demeurant, les éditeurs ne sont pas vraiment des enfants de chœur 

Les auteurs eux-mêmes trouvent un intérêt évident avec Amazon : leurs livres sont en ligne de façon permanente (alors qu’ils ne restent que quelques jours en tête des rayons des librairies, s’ils ont la chance d’y arriver) et chacun sait qu’on peut dénicher sur le site des ouvrages qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui se vendent en petites quantités ; c’est le fameux phénomène de "longue traine" de Chris Anderson. Surtout, grâce à Amazon, l’auto-édition est devenu un jeu d’enfants : Agnès Martin-Lugand par exemple a lancé sa carrière éditoriale de cette façon, éditant sur Kindle son premier roman vendu à plus de 100 000 exemplaires !

Krugman accuse ensuite Amazon d’être le "maître du buzz" - ce qu’appuie en partie Tyler Cowen : selon lui, le site a le pouvoir de dire quel livre fera l’actualité et quel autre finira dans les limbes de l’histoire mondiale. Comme l’explique Ryan Avent pour The Economist (et d’une certaine façon Don Boudreaux), si tel est bien le cas, alors les éditeurs devraient rémunérer Amazon pour ce service qu’il leur rend ! Mais cela reste à prouver…

Les éditeurs traversent certainement une période peu aisée de leur histoire ; ce n’est pas nouveau et cela s’illustre en partie par les mouvements de concentration dans ce secteur ces dernières années. L’urgence est de réinventer leur métier, d’innover, d’apporter une valeur ajoutée nouvelle qui permettra de justifier des tarifs élevés, pas de bloquer les innovateurs, ni de sanctionner la réussite entrepreneuriale (fût-elle immense, comme c’est magnifiquement le cas d’Amazon). Il en va de leur survie !

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