Pourquoi je continuerai en 2013 de conseiller à mes étudiants de quitter la France<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il serait malhonnête pour moi de ne pas signaler à mes étudiants qu'ils ont tout à gagner à commencer leur carrière ailleurs qu'en France."
"Il serait malhonnête pour moi de ne pas signaler à mes étudiants qu'ils ont tout à gagner à commencer leur carrière ailleurs qu'en France."
©Reuters

Sauve qui peut

Miser sur un redressement économique de la France en prônant la solidarité et l'abnégation, c'est bien beau, mais pas très concret. Olivier Babeau nous explique pourquoi il serait malhonnête de ne pas conseiller aux jeunes entrepreneurs une expatriation salvatrice.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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2013 sera-t-elle l’année du retour de la croissance en France ? Aucun n’exercice n’est plus périlleux que celui de la prévision. Si les organismes et les spécialistes sont dans leur rôle quand ils nous livrent des chiffres sur l’état futur de l’économie, il faut dire que la prévision macro-économique s’apparente surtout à un rite social frisant la pensée magique, au même titre que les consultations d’augures dans l’antiquité : la divination est là pour rassurer, donner une impression de contrôle sur les événements, produire une impression d’ordre dans le chaos du monde. L’économie, dans son approche macro (agrégée si on préfère) est très pauvre en savoirs actionnables ; il existe très peu de lois générales de l’économie permettant de formuler une prévision efficace sur la marche des événements, en particulier parce que l’interdépendance des différents facteurs est trop forte. La micro-économie, en revanche, accède à des connaissances plus robustes, quoique limitées dans leur portée, dans la mesure où les comportements individuels et les motivations qui les sous-tendent sont plus aisément appréhendables. Enrichie des apports de la psycho-sociologie ou des sciences cognitives, l’économie peut ainsi mieux comprendre de quelle façon les consommateurs et les entreprises réalisent des arbitrages dans leurs décisions, respectivement de consommation et de production, en fonction des incitations et contraintes de leur environnement. S’il est possible donc d’effectuer une prévision qui ne soit pas hasardeuse, c’est à partir de l’état actuel de ces incitations et contraintes qu’il faut raisonner pour oser un pronostic.

Les acteurs économiques effectuent leurs choix en fonction des perspectives attendues, autrement dit d’anticipations que chacun essaye de formuler aussi rationnellement que possible. Or en France, à l’heure actuelle, les raisons de formuler des anticipations négatives sont légions. La prise de risque qui est indispensable à l’action entrepreneuriale, elle-même créatrice de valeur durable, d’innovation et d’emplois, est découragée par la fiscalité : personne ne veut travailler dur des années durant pour que le fruit (ô combien incertain) de ce labeur soit confisqué au nom d’une frénésie redistributive qui cache derrière la référence obsessionnelle à la « justice » son absence profonde de justification et de légitimité. N’en déplaise à ceux qui évoquent la beauté et la nécessité du sacrifice (toujours pour les autres), aucun gouvernement ne pourra jamais faire que l’agent économique, c’est-à-dire nous tous, ne pense pas en priorité à son intérêt propre et arbitre en conséquence. Aucune rhétorique bien-pensante au monde ne pourra faire oublier l’expérience concrète que tous les observateurs du monde de l’entreprise font quotidiennement depuis quelques mois : celle de tous ces créateurs d’entreprise, de ces jeunes pleins de projets et de talents, pour qui l’évidence est qu’il ne faut pas entreprendre en France. Une évidence qui va coûter très cher à la France car elle isolera notre pays quand le reste du monde renouera avec la croissance.

Quand certains de mes étudiants me demandent ce que je ferais à leur place, c’est la mort dans l’âme que je leur confirme qu’ils ont intérêt à partir. Il serait malhonnête pour moi de ne pas leur signaler qu’ils ont tout à gagner à commencer leur carrière ailleurs qu’en France. Parce qu’ils y développeront leurs capacités en langues et gagneront à l’ouverture culturelle de l’expatriation une agilité d’esprit précieuse bien sûr. Mais si je leur conseille de partir, c’est surtout parce que je sens bien comme eux qu’en France, aujourd’hui plus encore qu’hier, les opportunités de se développer professionnellement sont incroyablement plus rares qu’ailleurs. Parce que notre pays, paradoxalement, préfère les rentes sous toutes leurs formes à la rétribution du mérite et du travail ; parce que plutôt que d’accepter une plus grande flexibilité du travail nous préservons un équilibre figé opposant les heureux insiders à une masse sans cesse croissante d’outsiders du marché du travail ; parce que les jeunes issus de milieux modestes et de l’immigration qui constituent la grande majorité de mes étudiants ne se verront que difficilement donner leur chance dans un pays plus conservateur que jamais derrière le rideau de fumée des rhétoriques égalitaires et « solidaristes ».

Alors que, pour permettre la libération des énergies d’entreprise et la mobilité sociale, nos dirigeants devraient s’employer à faire sans cesse bouger les lignes, à remettre en cause les acquis, à supprimer tous les monopoles quels que soient leur nature, à bousculer les équilibres dont profitent les groupes en place, ils semblent mettre au contraire tous leurs efforts à préserver le statu quo. Pour ces raisons, et à moins d’une soudaine et improbable prise de conscience de nos gouvernants, 2013 ne sera pas une bonne année pour la France et les Français.

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