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Pourquoi il faut relire Candide aujourd’hui dans la version du manuscrit original
©Reuters

Voltaire toujours d'actualité

Les éditions des Saints Pères publient la reproduction du manuscrit de Voltaire, oeuvre emblématique du siècles des Lumières et pourtant toujours d'actualité.

Sandra Freeman

Sandra Freeman

Journaliste et productrice, Sandra Freeman a animé des émissions sur France Inter, LCI, TF1, Europe 1, LCP et Public Sénat. Coautrice de L'École vide son sac (Éditions du Moment, 2009), elle est la fondatrice du média internet MatriochK.

 

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Atlantico. Jessica Nelson, vous êtes cofondatrice des éditions des Saints Pères qui publient en ce moment la reproduction du manuscrit de Candide de Voltaire. Pourquoi donner à lire ce conte philosophique aujourd’hui particulièrement ?

Jessica Nelson. Mais parce que Voltaire, c’est une star ! Ses écrits, et surtout Candide, sont totalement d’actualité. On n’a jamais autant parlé de liberté d’expression, et le philosophe en était un farouche défenseur même si on lui a attribué à tort la petite phrase « Je ne suis pas d’accord avec vos idées mais je me battrai pour que vous ayez le droit de les exprimer » (voir l’excellent ouvrage d’Emmanuel Pierrat « La liberté sans expression », Flammarion).

Candide n’a pas vieilli, les exhortations de Voltaire à plus de tolérance, d’ouverture sur le monde et sur les autres cultures, ses avertissements contre le fanatisme religieux et tout type d’obscurantisme, résonnent plus que jamais… Comment ne pas dresser un parallèle entre les problématiques du 18e et notre nouveau millénaire chahuté ? Voltaire est un grand écrivain, aussi lucide que visionnaire, que l’on doit continuer à lire, et à faire lire aux jeunes générations.

L’optimisme, tel qu’il est décrit chez Voltaire, peut-il nous aider à sortir de nos temps de crise ou la société a-t-elle trop changé ?

Candide est une réponse ironique et décomplexée de Voltaire au positivisme en vogue à son époque. Au départ, Voltaire est un intellectuel qui est plutôt optimiste, audacieux, jusqu’à l’irrévérence, ce qui lui a valu un certain nombre d’exils ! Mais après la mort d’Emilie du Châtelet (une ancienne maîtresse qui a beaucoup compté pour lui), le déclenchement de la guerre de 7 ans, le tremblement de terre de Lisbonne… C’est un homme de 65 ans qui a vécu, réfléchi, et qui veut mettre en garde contre l’optimisme béat et confiant (religieux ?) prôné par un certain nombre de ses contemporains. Ainsi, son héros naïf, Candide, va traverser mille (més)aventures initiatiques, à travers le monde, pour se faire une raison : non la vie n’est ni simple, ni merveilleuse. Cultiver son jardin n’est pas si facile, alors autant s’y atteler tout de suite. L’optimisme tel qu’il est décrit chez Voltaire est un encouragement à la lucidité, et la lucidité est un instrument utile quel que soit le contexte…

Voltaire publie ce livre de façon anonyme : il fait croire que c’est la traduction d’un auteur allemand, M. le Dr. Ralph, imprimé à Genève. En quoi cette œuvre était-elle si scandaleuse et pourquoi le philosophe a-t-il ainsi tenté d’échapper à la censure ?

Voltaire a déjà vu ses œuvres condamnées et même brûlées, comme ses Lettres philosophiques parues une vingtaine d’années avant Candide, à son retour d’Angleterre – il a été surpris et enthousiasmé par l’esprit libre de nos voisins. Publier de façon anonyme, c’est à la fois contourner la censure, se protéger même s’il sait que ses contemporains le reconnaissent, se dissocier du texte, jouer à cache-cache : n’a-t-il pas envoyé des courriers pleins d’humour, faussement indignés qu’on lui attribue la paternité de cette « plaisanterie d’écolier », de cette « coïonnade » ?

Candide va à rebours de thèses admises alors, et Voltaire le sait. Il pourfend le pouvoir, l’esclavagisme, le manque de libre-arbitre, la religion. Le conte est décrié à Paris par l’avocat général au Parlement et condamné à Genève par le doyen du Consistoire. Mais c’est aussi un succès. A la fin de la première année sont parues vingt éditions françaises, quatre traductions anglaises, une italienne. Lord Chesterfield, écrivain et homme politique anglais, dit à son fils : « Achetez l’Encyclopédie et vous vous assiérez dessus pour lire Candide ».

Cette œuvre est-elle emblématique du « Siècle des lumières » ?

Totalement. Candide est un concentré de toutes les questions que se posaient les intellectuels éclairés du Siècle des Lumières. Religion, libertés, tolérance… C’est sans doute la raison pour laquelle ce conte philosophique est le plus connu de l’histoire de la littérature.

Que donne à voir le manuscrit de nouveau par rapport au texte imprimé habituellement ?

Bien sûr, il y a les ratures et les ajouts, le fameux chapitre XXII remanié car Voltaire y réglait sans doute avec trop de virulence ses comptes avec la vie mondaine parisienne. Et puis il y a cette écriture élégante, très emblématique d’un siècle, en contraste avec ce que l’on découvre en se penchant sur le texte : d’apparentes fautes d’orthographe ! Ce qui devrait réconcilier les lycéens… du moins dans un premier temps. Car au 18e siècle, les règles de l’orthographe n’étaient pas fixées. Il faudra attendre les années 1835-1850 (soit près de deux cents ans après la création de l’Académie française) pour qu’elles le soient. Et Voltaire y a eu son rôle à jouer, lui qui est entré chez les Immortels en 1746… Nous avons enfin agrémenté ce manuscrit de gravures de Moreau le Jeune, magnifiques et presque burlesques, qui proviennent d’une édition des œuvres complètes de Voltaire établie par Beaumarchais.

Propos reccueillis par Sandra Freeman

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