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Pourquoi Facebook peut se permettre de noyer ses utilisateurs sous la pub
©Reuters

Modèle économique

Grâce à toujours plus de pulicité, le réseau social américain Facebook a vu ses profits bondir drastiquement par rapport au deuxième semestre 2016. Ce modèle économique agressif peut-il tenir encore longtemps?

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico.fr : Le réseau social américain Facebook a vu ses profits bondir de 71% par rapport au deuxième semestre 2016. Une hausse dû à la hausse du prix moyen de 24% des publicités payés par les annonceurs. L'année dernière, Facebook avait augmenté le nombre de publicité de 49% et cette année seulement de 19% au point où il semble difficilement possible d'encore en rajouter. Pour palier au problème, l'entreprise prévoit notamment l'arrivée de coupures publicitaires pour les vidéos. Mais à force de continuer cette politique, Facebook ne risque-t-il pas de s'aliéner ses utilisateurs ?

Jean-Gabriel Ganascia : Les grands acteurs de l’Internet sont tous un peu comme des funambules en équilibre instable au-dessus du vide, sur une corde raide : d’un côté, il doivent séduire pour conserver leurs utilisateurs et en acquérir de nouveau, d’un autre côté, il ont besoin de construire un modèle économique viable sur un service généralement gratuit, par exemple répondre à des requêtes pour un moteur de recherche ou mettre des gens en relation pour un réseau social. Le modèle économique repose généralement sur des ressources publicitaires ou, parfois, sur des micro-financements. L’adhésion des utilisateurs tient en partie à la confiance qu’ils accordent, en partie à la commodité d’usage, en partie à la réputation et en partie à l’habitude. Or, si la violation de l’intimité de la vie privée devient trop évidente, la confiance diminue et la réputation aussi ; de même, si la publicité devient trop intrusive, la commodité d’utilisation décroît. Bref, pour ces géants du web, il faut en permanence ausculter les retours d’usages et les forums pour analyser les indices de satisfaction et détecter les rumeurs afin de rétablir l’équilibre si besoin. C’est ce qui est à l’origine du besoin d’acquisition et de traitement de grandes masses de données.

Google a su merveilleusement jouer de cet équilibre entre un service gratuit de qualité et un modèle économique fondé sur une publicité presque invisible. Facebook en revanche a adopté une attitude un peu plus téméraire avec des chartes de confidentialité et d’utilisation des données personnelles fluctuantes, en fonction de l’insatisfaction manifestée par les utilisateurs. Aujourd’hui, chez Facebook, la publicité s’immisce d’une façon plus voyante, au risque d’indisposer des utilisateurs. Si c’est le cas, certains se décourageront et pourraient manifester leur désapprobation, voire quitter le réseau social.

Mais avec deux milliards d'inscrits et une position presque hégémonique dans le secteur, est-il vraiment pensable qu'il y ait un boycott de la part des utilisateurs ?

En effet, la quantité d’inscrits sur Facebook lui donne une avance très confortable vis-à-vis de ses concurrents. Cela tient à ce que la puissance d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses nœuds. On compte aujourd’hui 2 milliards d’abonnés pour Facebook, 700 millions pour Instagram, 328 millions pour Twitter et 106 millions pour LinkedIn ; cela donne donc à Facebook un poids environ 8 fois plus important que celui de son principal concurrent, Instagram, 32 fois plus important que Twitter et 400 fois plus important que LinkedIn... De la sorte, même si quelques utilisateurs se désabonnent, cela restera marginal, à condition toutefois de rester vigilant, d’ausculter en permanence les évolutions et d’en tirer les leçons. Comme on a pu s’en rendre compte au cours de ces dernières années, Facebook a montré une capacité d’adaptation très forte.

Ceci étant, en matière de technologies de l’information, rien n’est jamais certain, d’autant plus que les enquêtes d’opinion montrent que si les jeunes générations d’adolescents s’inscrivent toutes sur Facebook, elles l’utilisent de moins en moins pour différentes raisons et préfèrent Instagram ou Snapchat, plus fugitif. De plus, des articles de presse mentionnent l’ensemble des informations que Facebook stocke au sujet de ses abonnés : il y a au moins 98 items qui vont de l’âge, de l’éducation et du secteur socio-professionnel, aux produits de beauté préférés, aux allergies présentées, aux films aimés et aux lieux de villégiature pendant les vacances… Cela risque très certainement d’inquiéter nombre d’usagers, en particulier de jeunes, plus mobiles, et de plus en plus sensibles à la protection de leur intimité.

Ainsi, il se pourrait qu’à terme, la tendance évolue très défavorablement pour Facebook à la fois parce que les plus jeunes auront pris d’autres habitudes et parce que sa réputation risque, à force d’avidité, de rester durablement entachée.

Quelles options s'offrent encore à Facebook pour diversifier son modèle économique ? Est-ce qu'une telle croissance est envisageable sur le long terme?

Il est très certainement difficile de dire aujourd’hui quelles options s’offrent à Facebook pour diversifier son modèle économique. Rappelons que cette société a vu une progression à la fois fulgurante et surprenante, car au début personne n’imaginait qu’une simple mise en relation d’individus sur un réseau virtuelle était susceptible de créer un tel engouement. Depuis, les choses ont bien évolué et de multiples réseaux sociaux existent, avec des spécificités très différentes : certains apparaissent plus professionnels comme LinkedIn ou Viadeo, d’autres plus adaptés aux universitaires comme Academia, d’autres encore sont destinés aux jeunes et ne laissent pas de traces, comme Snapchat etc. Si Facebook demeure, ce sera certainement comme un réseau généraliste. Mais, pour qu’il n’y ait pas de boycott, il faudrait qu’il modère sa politique d’acquisition de données. Enfin, pour que ses utilisateurs restent actifs et qu’il n’y ait pas de désaffection massive, il faudra certainement qu’il propose de nouveaux services vraiment attractifs.

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