Pourquoi l’école ne sait toujours que très mal gérer les introvertis<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Les enfants introvertis sont mal pris en charge par l'Education nationale.
Les enfants introvertis sont mal pris en charge par l'Education nationale.
©Reuters

Tableau noir

L'augmentation des cours magistraux en dépit des travaux en petit groupe fait souffrir de plus en plus les enfants introvertis. Pourtant, un enfant qui s'enferme sur lui-même diminue fortement ses chances de réussir.

Brigitte  Prot

Brigitte Prot

Brigitte Prot est psychopédagogue, formatrice d'enseignants et enseignante.

Voir la bio »
Marie-France Le Heuzey

Marie-France Le Heuzey

Marie-France Le Heuzey est psychiatre pour enfants et adolescents au sein de l'hôpital Robert Debré à Paris.

Voir la bio »

Atlantico : Fin septembre, Michael Godsey, un professeur d'anglais aux Etats-Unis soulignait combien le système éducatif oublie de prendre en compte les enfants introvertis. Et ce malgré la mode apparente de "l'apprentissage collaboratif". Et en France, l'école est-elle adaptée à ces enfants ? Les travaux en petits groupe sont encouragés, en quoi sont-ils une réponse ?

Brigitte Prot : Non ! L'école n'est pas forcément adaptée. Je considère que les écoles et les collèges ne prennent pas assez  en compte ces élèves en repli. Ces enfants ont besoin d'être sollicités par l'enseignant ou l'éducateur, qui peut par exemple lui confier la représentation d'un projet en petit groupe. J'ai suivi l'an dernier un enfant qui n'osait pas s'exprimer à l'oral par manque de confiance en lui, et qui, dès que l'enseignant lui a demandé d'intervenir en petit groupe, s'est révélé brillant. Il a osé sortir de sa coquille pour s'exprimer au nom d'un petit groupe de travail car il s'exprimait justement sur un résultat obtenu collectivement. (…) Ce type de travail est conseillé, notamment par le ministère de l'Education nationale, mais sur le terrain cela se fait très peu et c'est regrettable.

Les enseignants ont certes des contraintes en termes d'effectifs et de salles disponibles pour dispatcher les élèves, mais je considère tout de même que dans ce domaine, quand on le veut on le peut ! J'ai des exemples autour de moi qui montrent que c'est possible. Or, beaucoup d'enseignants fonctionnent encore en cours magistraux et ont tendance à laisser les élèves en retrait. Professionnellement, il est inacceptable de ne pas solliciter un élève, si il reste plus d'un mois sans prendre une seule fois la parole ! On n'y attache actuellement pas suffisamment d'importance lors de la formation des enseignants. Concernant les directives, autant elles sont claire pour ce qui est de l'enseignement en primaire, autant elles le sont bien moins pour les collèges. On y observe encore beaucoup de cours magistraux et la pédagogie différenciée n'est pas assez mise en avant.

Marie-France Le Heuzey:Les travaux en petits groupes sont la meilleure des thérapeutiques, pour traiter des enfants trop repliés sur eux-mêmes. C'est une excellente initiative si c'est mis en place dans les écoles, il est alors beaucoup moins paniquant pour l'élève d'oser lever la main que dans une classe traditionnelle. Après dans la vie professionnelle, on est tous obligés de travailler en groupe, et cela prépare tout simplement à la vie en société. Au sein du système éducatif, les enseignants ont la tâche difficile de gérer à la fois des enfants avec de gros troubles du comportement - pour certains violents - et une population qui manque d'assurance. Je n'ai pas de réponse miraculeuse mais il est certain qu'il faut privilégier des classes pas trop chargées en effectif. Et au sein d'un même petit groupe, il faudra mélanger les enfants pour que chacun tire des bénéfices de la personnalités des autres..

Néanmoins, un enfant introverti n'est pas forcément timide, quelle est la différence entre les deux ?

Brigitte Prot : Oui, il y a effectivement une différence de degré. Etre introverti, c'est une tendance à être tourné vers soi, la crainte de s'ouvrir vers l'extérieur est modérée.  Tandis que, le mot "timide" vient du latin timidus qui signifie "qui craint, craintif, timide, peureux". Cela relève de l'hyper-protection. C'est un degré beaucoup plus fort. J'emploi d'ailleurs très peu le mot "timide" et constate à regret que trop d'adultes l'emploient pour décrire le comportement d'un enfant en sa présence. Celui-ci peut adopter un comportement timide, justement en réponse à cette description, pour se mettre en conformité avec ce qu'il a l'impression que les adultes attendent de lui.

Marie-France Le Heuzey: Il existe trois catégories d'enfants en difficulté socialement. Ceux qui souffrent d'anxiété ou de phobie sociale, qui ont d'être ridicules ou que l'on se moque d'eux, ceux totalement mutiques, et ceux très solitaires qui vivent un peu dans leur monde imaginaire, souvent atteints du syndrome d'Asperger. La timidité est, elle, dû à un manque d'estime de soi.

L'introversion a-t-elle un impact sur les résultats scolaire ?

Brigitte Prot : Oui, cela peut avoir un impact quand l'enfant ne s'autorise pas à apprendre, à réussir. Dans ce cas, l'adulte, qu'il soit enseignant ou parent, ne doit pas attendre longtemps et agir au plus tôt car l'enfant risque de s'enfermer dans cette attitude, qui pourrait devenir une habitude.

J'ai accompagné un enfant de CM1 qui ne faisait plus aucun exercice en classe. Au départ, la maîtresse le disait "timide". Lorsqu'on l'a interrogé calmement sur les raisons de ce blocage, il a répondu "la maîtresse elle crie !". Il y avait en fait une inhibition lié à cette façon de communiquer. L'enfant a petit à petit repris confiance en lui à partir du moment où l'enseignante s'est adressée de manière très calme et douce à son encontre. Il faut donc être attentif et écouter l'enfant.

Marie-France Le Heuzey: Oui, ces enfants peuvent être très bons élèves par écrit mais dans l'avancement des études, il arrive un moment où il faut pouvoir s'exprimer à l'oral, interagir. C'est là que cela peut coincer et aller jusqu'à la phobie sociale. Au-delà, ce sont ces enfants qui sont victimes du harcèlement scolaire, ils sont des victimes toute désignées. 

Propos recueillis par Adeline Raynal

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Réforme du collège : enfumage et matraquage, les deux mamelles de l’Éducation nationaleRéforme du collège : ces leçons concrètes de l'Antiquité que l'on ne pourra plus tirer une fois que les options d'enseignement du latin et du grec seront supprimées Réforme de l’école : Najat Vallaud-Belkacem saupoudre à nouveau la question de la notation de changements cosmétiques

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !