« Pour un choc de productivité négatif » ? Voilà pourquoi Sandrine Rousseau est dangereuse (mais l’inaction l’est tout autant) <!-- --> | Atlantico.fr
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Sandrine Rousseau sur un plateau de télévision avant un débat politique.
Sandrine Rousseau sur un plateau de télévision avant un débat politique.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Relance économique

Sandrine Rousseau, la candidate lors des primaires écologistes, a annoncé vouloir « produire plus, avec un choc de productivité négatif » c’est à dire « consommer moins, et produire plus en France ». Est-ce réellement possible et quelles pourraient être les conséquences de ce choix ?

Gilles Babinet

Gilles Babinet

Gilles Babinet est entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique et conseiller à l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Son dernier ouvrage est « Refonder les politiques publiques avec le numérique » . 



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Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Atlantico : À la fin du mois de septembre a eu lieu des primaires dans le parti écologistes, Sandrine Rousseau alors candidate à linvestiture des Verts a annoncé vouloir « produire plus, avec un choc de productivité négatif » cest à dire « consommer moins, et produire plus en France ». Est-ce réellement possible ? La question concerne-t-elle plus la réduction de la productivité ou de savoir ce que l'on doit en faire ?   

Gilles Babinet : Sandrine Rousseau souhaite voir un choc négatif de productivité. C'est particulièrement préoccupant, car c'est une remise en cause de la notion même de progrès.

"Le programme que je porte en étant économiste, c'est un choc de compétitivité négatif. C'est un choc de productivité négatif" explique Sandrine Rousseau au micro de Gregory Philipps . "Je suis économiste, et je vous dis qu'il n'y a pas de croissance infinie dans un monde fini." 
En environ 300 ans, la productivité annuelle dans le monde occidental (moins dans les pays en voie de développement mais quand même) a été multipliée par environ 130 (de 70cts à 110$) selon Paul Kennedy. Ceci grâce aux progrès techniques ce qui a permis l'émergence de classes moyennes partout dans le monde.
A noter que dans le même temps, la durée de vie passait de moins de 30 à plus de 65 ans. Beaucoup de pays expérimentent par ailleurs une transition démographique passant de plus de 5 enfants par femme à moins de 3.
Face aux dégâts causés à l'environnement en conséquence de cette hypercroissance de trois siècles, les remises en causes du modèle occidental sont de plus en plus nombreuses. Beaucoup sont portées par une conception millénariste implicite : nous avons pêché il faut nous rédempter.

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La réalité, c'est que le modèle économique en vigueur a de nombreux biais. L'un deux est qu'il ne tient pas compte des externalités environnementales ; l'environnement est gratuit. C'est l'idée que défend par exemple le Prix Nobel d'économie William Nordhaus (mais pas que).
Si le carbone "coûtait" 500 euros la tonne, l'inventivité du marché serait à cet égard phénoménale, si les phosphates dans les rivières avaient un coût systématique et proportionnel aux dégats, ça serait pareil. Pour l'instant, il y a peu d'incitations pour traiter ces enjeux.
D'une façon plus technique, cette notion de coût du carbone et de comment éviter qu'il repose sur les classes les plus paupérisées est décrit dans ce rapport (Europe : agir ensemble pour la décarbonation).
La question ce n'est pas de réduire la productivité, mais de savoir quoi en faire. Si on produit deux fois plus avec le même argent, on peut utiliser le surcroit de valeur créé pour consommer ou investir dans l'environnement, ce que l'on a que marginalement fait jusqu'à présent.
L'expérience montre, en France et ailleurs, que on veut éviter des phénomènes sociaux genre Gilets jaunes, on a vraiment intérêt à avoir des masses de productivité pour répondre à l'enjeu social et environnemental en même temps.
En d'autres termes, la productivité peut servir le consumérisme ou l'environnement ou les deux d'ailleurs.
Mon sentiment c'est que nous sommes en fin de cycle kondratieffien (un économiste qui défendait l'idée de grands cycles économiques). Nous sommes, en raison des contraintes d'environnement, sur le point de "reréguler" une grande partie de l'économie, mais sous une forme différente d'avant.

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Nous allons avoir une redirection massive de la création de valeur vers l'environnement. C'est ça ou la catastrophe. Et si on veut que ça passe socialement, on à intérêt à avoir une productivité qui puisse financer à la fois le train de vie raisonnable des gens et l'environnement.
Le programme politique qui consiste à dire "revenons en arrière" est dangereux, il véhicule l'idée que rien dans le progrès n'est bon et que le modèle actuel n'est aucunement amendable (même s'il a de nombreux défauts). On peut craindre qu'il tende à un conflit civilisationnel.

Christian Gollier : C’est possible si l’on exporte la différence. Le problème c’est que tous les pays font la même chose… Il faudrait améliorer la compétitivité des produits français à l’international ce qui paraît compliqué si l’on veut maintenir le pouvoir d’achat des employés. On peut rêver que la France retrouve son rang dans le concert des nations avec une nouvelle efficacité économique… La réalité ne correspond pas exactement à cela ces dernières années en France notamment pour des raisons de compétitivité avec des salariés compétents loin de la France.

La productivité cest la capacité des entreprises à vendre des produits compétitifs sur les marchés. Si on parvenait à avoir des travailleurs plus compétitifs, on pourrait augmenter le pouvoir d’achat. L’amélioration doit passer par un renforcement des écoles, des universités et surtout de la formation continue. Il faut savoir qu’une amélioration de la productivité est le graal de toute politique économique car cela permet de reconquérir la prospérité d’une nation.

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Comment gérer les externalités négatives de l’économie mondialisée sans générer deffets sociaux calamiteux et eux-mêmes producteurs deffets politiques dangereux ?

Christian Gollier : Il faut tenir compte de tous les éléments de la productivité. L’activité économique d’une entreprise ou d’un salarié ne produit pas que des biens et services, elle produit aussi des externalités négatives comme des micro particules de gaz d’échappement et depuis les cheminées des centrales à charbon ou au gaz naturel.

Ce que l’on sait depuis longtemps c’est que le PIB n’est pas un indice de prospérité. Ce n’est pas le profit de l’entreprise, il faut donc intégrer dans la mesure de création de valeur sociétale d’une entreprise sa capacité à générer du pouvoir d’achat pour les employés, pour les actionnaires mais aussi tenir compte des externalités négatives dont des émissions de CO2. Idéalement cela se fait par un prix du carbone, on mettrait une valeur sur ce qui nous est cher : un environnement de qualité.

Chez Sandrine Rousseau, il y a un discours quelque peu étrange à ce propos. Elle est pour un prix du carbone. Être pour le prix du carbone, c’est être pour un mécanisme économique qui combine croissance et décarbonation. Comment alors comprendre son attitude « décroissantiste ». On ne cherche pas à décroitre des consommations, mais seulement celles qui sont les plus émettrices de CO2. La recommandation de Sandrine Rousseau consistant à mettre un prix du carbone fait cela. Pourquoi surjouer cette affaire en mettant un prix du carbone et en surjouant la déconsommation. L’un de des deux paraît superflue.

Vous avez publié une note pour lInstitut Montaigne sur la décarbonation de lEurope, quelles sont vos principales propositions et recommandation ?

Christian Gollier : Il faudrait tout d’abord intégrer un prix du carbone sur tout secteur émettant du CO2. Aujourd’hui, en Europe on a un prix du carbone seulement pour l’industrie et pour l’électricité, mais on n’en a pas pour le transport, le résidentiel, le maritime… Il faut qu’il y ait une ligne claire de politique de lutte contre le CO2 qui doit se faire par un prix uniforme pour l’ensemble des secteurs. Un deuxième marché des émissions doit donc être créé afin de couvrir les secteurs où la tarification carbone n’est pas appliquée.

Notre deuxième recommandation est de sortir du charbon le plus rapidement possible. C’est une action qui aura des impacts massifs sur le calcul des émissions par tête en Europe et peu coûteuse. En France, nous sortons déjà du charbon l’année prochaine, cette mesure doit être appliquée à la Pologne et l’Allemagne. Il s’agit d’une des actions les moins percutantes pour le pouvoir d’achat européen. Mais c’est un problème pour ces deux pays car la sortie du charbon représente des pertes d’emplois assez massives.

Pour compléter cela, nous devons être capable de stocker l’énergie de façon massive. Pour atteindre ce but nous devons investir sur la recherche et le développement sans cela nous n’arriverons pas à zéro émission nette en 2050.

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