Pour les enfants dont les parents n’ont pas de diplôme, mieux vaut être allemand que français<!-- --> | Atlantico.fr
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Les enfants souffrent beaucoup moins de privation matérielle due à la pauvreté des parents en Allemagne (16%) qu'en France (39%)
Les enfants souffrent beaucoup moins de privation matérielle due à la pauvreté des parents en Allemagne (16%) qu'en France (39%)
©Christophe Archambault / AFP

Comparaison

Selon les données d’Eurostat et de l’INSEE, les enfants souffrent beaucoup moins de privation matérielle due à la pauvreté des parents en Allemagne (16%) qu'en France (39%)

Julie Solard

Julie Solard

Julie Solard est cheffe de la division des conditions de vie des ménages à l’Insee

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Atlantico : Eurostat vient de publier un set de données sur les privations matérielles des enfants. En 2021, 13 % des enfants vivant dans des ménages de l'UE ont connu une privation matérielle spécifique à l'enfant. Ces données sont-elles cohérentes avec ce que vous observez au niveau français en la matière ?

Julie Solard : Les données françaises et européennes, sont totalement cohérentes parce qu'en fait c'est la même source. C'est une enquête sur les ressources et les conditions de vie des ménages qui est coordonnée par Eurostat et qui est déclinée dans les différents pays. Les questionnaires sont à peu près les mêmes, ce qui nous assure une comparaison européenne. Cependant, il y a une petite différence, c'est-à-dire que dans l'étude française, nous n'avons pas retenu exactement les mêmes éléments pour l'indicateur de privation spécifique des enfants. Cet indicateur est construit lorsque 3 privations sont présentes sur une liste de 17 item en Europe. Nous en avons enlevé certains car nous avons jugé qu'ils étaient trop perturbés par le COVID et que nous voulions pouvoir comparer dans le temps. Nous avons donc retiré tout ce qui concernait les activités de loisirs et les voyages scolaires. Ils ne pouvaient pas être facilement comparés entre 2014 et 2021.

Comment expliquer, notamment, la mauvaise place de la France en matière de privation matérielle par rapport au reste de l’Europe et notamment par rapport à l’Allemagne ?

Nous sommes, en gros, dans la moyenne européenne. Cependant, nous n'avons pas encore étudié spécifiquement ce qui se passe en termes de conditions matérielles des enfants dans les différents pays. Pour obtenir des informations globales sur la privation matérielle, je vous recommande de consulter une étude appelée « Qui est pauvre en Europe ? » qui explique les différences de privation matérielle entre les pays en fonction du niveau de vie et de la pauvreté. Cependant, il est important de souligner que tous les enfants ne sont pas touchés de la même manière. C'est un aspect que nous n'avons pas encore abordé. 

En ce qui concerne la moyenne, il est logique de constater une privation matérielle plus faible dans les pays du Nord, tandis qu'elle est très élevée dans les pays d'Europe de l'Est. Cependant, il y a une grande variabilité au sein du groupe principal qui se joue à un ou deux points de privation matérielle. Et cela peut dépendre de la façon dont les gens considèrent certains aspects. Par exemple, la question de savoir si l'on peut se chauffer à une température adéquate peut varier en fonction des cultures. Certaines cultures peuvent ne pas considérer que se chauffer à une température adéquate est une nécessité, ce qui entraînerait des différences de privation en fonction de l'origine géographique et des normes culturelles.

Qu’est-ce qui dans la situation des parents favorise la privation matérielle des enfants ?

L'éducation qui peut être également associée à la catégorie sociale ou au niveau de revenu, car ces facteurs sont étroitement liés. En général, les enfants issus de familles pauvres, ayant des parents peu éduqués ou avec des niveaux de diplômes plus bas, ou exerçant des professions moins favorables, sont plus susceptibles de faire face à des privations matérielles et sociales.

Cette corrélation semble assez logique, cependant, dans notre étude française axée sur le niveau de vie, il est important de noter que derrière ce niveau de vie se cachent des éléments tels que le travail et les diplômes.

Au-delà des questions du niveau de vie, c’est la composition du ménage qui joue beaucoup.  25% des enfants qui vivent en famille monoparentale sont privés, donc beaucoup plus que la moyenne. Les familles nombreuses aussi sont beaucoup plus privées, on a 17%. des enfants qui vivent dans un ménage où il y a au moins trois privations alors que c'est que 7% des enfants dans une famille qui n’en comporte qu’un ou deux.

En France, comment se matérialise le plus fréquemment la privation matérielle ? Quelles sont les manques les plus courants ?

Effectivement, plusieurs éléments se dégagent, notamment ceux qui concernent l'ensemble du ménage. Les éléments les plus fréquemment cités sont le remplacement de meubles hors d'usage, le paiement des factures d'électricité, de loyer, et autres, ainsi que le maintien du logement à une température adéquate. Ce sont les aspects les plus courants de la privation. 

En revanche, en ce qui concerne spécifiquement les enfants, les privations sont moins fréquentes. L'élément le plus fréquemment cité et qui constitue la privation la plus importante pour les enfants est le fait de ne pas partir en vacances pendant au moins une semaine par an, avec 1 enfant sur 10 qui en est privé pour des raisons financières. Les autres thèmes sont moins fréquents, avec au plus 1 enfant sur 20 concerné. Il s'agit notamment de l'accès à des vêtements neufs ou à des paires de chaussures. Les besoins fondamentaux tels que les fruits, légumes, viande, poisson ou équivalents végétariens, ainsi que l'accès à des jeux et des livres adaptés, concernent moins de 2% des enfants et sont associés à des privations financières.

Ce que nous observons également, c'est que dans les ménages où adultes et enfants vivent ensemble, les adultes sont bien plus fréquemment privés que les enfants. Il y a une attention particulière portée aux besoins des enfants, ce qui se reflète dans les privations liées aux chaussures, aux vacances en famille, et même à l'alimentation, bien que les questions posées diffèrent. Globalement, les privations sont plus fréquentes chez les parents et les adultes au sein des ménages que chez les enfants. C'est l'une des principales conclusions de cette étude : une priorité est accordée aux besoins des enfants. Typiquement sur les vêtements, quand les parents sont privés de vêtements neufs, il n’y a qu’un tiers des cas des cas où les enfants le sont aussi. 

La part des enfants en situation de privation a diminué en dix ans. S’agit-il d’une totale bonne nouvelle ?

Effectivement, nous avons constaté une belle baisse de la privation des enfants. Sur cet indicateur comparable, le taux était de 17% en 2009, puis il est passé à 14% en 2014 et à 11% en 2021. Cette baisse est significative. Bien qu'il puisse y avoir un léger effet lié à la COVID-19, de manière générale, les enfants sont beaucoup moins touchés par la privation.

En revanche, la pauvreté monétaire chez les enfants n'a pas diminué, elle a légèrement augmenté. C'est là que nous constatons une limite. Il se peut que les priorités des enfants soient mieux prises en compte et que des besoins fondamentaux soient davantage diffusés, mais cela n'a pas conduit à une amélioration nette de la situation des enfants. Lorsque nous examinons d'autres indicateurs, nous constatons que la pauvreté monétaire des enfants n'a pas diminué. Et malgré tout, à peu près 1/3 des enfants expérimente une privation pour raison financière.

Est-ce qu'on a une ébauche d'explication de pourquoi la privation matérielle spécifique aux enfants reflue mais pas la pauvreté monétaire ?

L’étude détaillée item par item donne des pistes d’explications. La baisse n'est pas uniforme, certains items sont liés aux ménages dans leur ensemble, tels que le maintien du logement à une température adéquate ou la possibilité d'acheter une voiture pour des raisons financières, et n'ont pas connu de baisse significative. En revanche, les items spécifiques aux enfants ont montré une diminution de la privation, ce qui suggère un équilibre différent dans la situation globale des ménages, avec une priorité donnée aux besoins des enfants.

Les enfants ont par ailleurs pu bénéficier de mécanismes de solidarité plus ciblés sur eux ou sur ces privations, que ce soit à travers des mécanismes familiaux, associatifs ou autres. Par exemple, le taux d'enfants privés de vacances a quasiment diminué de moitié, ce qui soulève l’idée d’actions spécifiques pour eux.

De plus, concernant l'alimentation, la privation de fruits, légumes ou de viande, il se peut que la diffusion des standards d'une alimentation équilibrée au cours des 12 dernières années ait eu un impact. Les personnes sont mieux informées sur la nécessité de prioriser ces dépenses pour les enfants. Nous n’avons pas d’éléments pour confirmer ces hypothèses - ce que nous observons, c'est que dans l'ensemble, il y a une diminution de la privation pour tous les items d’alimentation étudiés. 

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