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En guerre contre la politique de la concurrence, Axelle Lemaire est surtout dans un sacré pétrin idéologique
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Le buzz du biz

La ministre en charge du Numérique Axelle Lemaire est certainement sincère dans son engagement contre la politique de la concurrence, mais elle se trompe. Décryptage comme chaque semaine dans la chronique du "Buzz du biz".

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Les ministres changent, mais les préjugés idéologiques restent. Quand elle a été nommée ministre en charge du Numérique, Axelle Lemaire bénéficiait d’un très fort capital sympathie. La mission n’était pourtant pas aisée, puisqu’elle prenait la suite de Fleur Pellerin, charismatique quadragénaire qui avait marqué le poste pendant deux ans. L’ancienne députée des Français de l’étranger a cependant rapidement pris le pli, au point d’épouser les diatribes anti-bruxelloises de son ministre de tutelle, Arnaud Montebourg.

Que le ministre du Redressement productif n’aime pas la concurrence, c’est une chose acquise et connue de tous. Sa prouesse a été de convertir sa nouvelle collègue. Celle-ci, avec la ferveur de la jeune convertie, s’est donc mise à répéter avec frénésie tout le mal qu’elle pense de la régulation des marchés par "Bruxelles".

La politique de concurrence, camarade, voilà l’ennemi ! Et Axelle Lemaire ne cesse de le répéter. Elle le disait en mai au JDD, accusant l’Europe de "laisser faire" Google. Elle le répète en juin à l’Usine Digitale, dénonçant cette fois, avec un faux courage, le "diktat concurrentiel européen" qui "favorise les grandes plates-formes américaines".

Axelle Lemaire est certainement sincère dans son engagement et ses convictions. Mais elle se trompe.

Elle se trompe d’abord parce que la politique de la concurrence "bruxelloise" consiste précisément à défendre des principes que la ministre française revendique. L’homme en charge de tous ces dossiers à la Commission européenne, Alexander Italianer, a d’ailleurs fait un long discours sur ces sujets en mars dernier. Il y explique comment l’application du droit européen conduit justement à veiller au respect de la "neutralité du net" (principe au demeurant contestable) et comment, précisément, il croit qu’une régulation de la concurrence est nécessaire.

La ministre en charge du Numérique se trompe ensuite sur le fondement de ses attaques : la politique de concurrence bruxelloise n’est pas inspirée par l’ultra-libéralisme et le laisse-faire, mais au contraire par une école de pensée favorisant l’interventionnisme étatique.

Les diverses politiques de concurrence reposent en effet sur des fondements différents et divergents. La Commission européenne tire son inspiration d’une école qui encourage la régulation et la structuration des marchés par la main de l’Etat : dans cette vision de la concurrence, le rôle de l’autorité régulatrice est d’organiser l’atomisation du marché, quitte à la forcer, afin de stimuler la concurrence entre les opérateurs. Dans cette hypothèse, le monopole de Google est par lui-même angoissant : c’est le point de vue de la Commission.

A l’inverse, un Hayek ou un Kirzner favorise une libre concurrence sans intervention publique (voyant dans la régulation étatique un obstacle catastrophique) : "l’esprit d’entreprise" ne doit pas être bridé et peut légitimement mener à la constitution de champions industriels. Dans cette seconde vision, en somme, peu importe que Google soit en monopole, pour autant que cette position est justifiée par ses performances…

Comme Arnaud Montebourg, Axelle Lemaire est dans un sacré pétrin idéologique : à force de répéter des slogans ineptes sur la concurrence, elle en vient à dénoncer le "libéralisme" d’une politique qui est en réalité interventionniste, affaiblissant par là même ce qu’elle prétend soutenir par idéologie. De façon plus ironique, si elle allait au bout de sa pensée, la poursuite de ses objectifs devrait la conduire à rallier les ultra-libéraux qui, eux, acceptent l’émergence des champions nationaux qu’elle appelle de ses vœux (sous condition). Mais de là à voir une ministre socialiste soutenir une solution libérale.

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