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"Piège pour un homme seul" de Robert Thomas : piège … ou guet-apens ?
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De : Robert Thomas Mise en scène : Michel Fau Avec : Denis d’Arcangelo, Alexis Driolet, Sissi Duparc, Michel Fau, Regis Laspalès, Caterina Murino.

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

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THÈME

Daniel Corban semble au désespoir : trois mois après son mariage, sa femme a disparu depuis dix jours, après une dispute dans le chalet alpin où ils séjournaient. 

Corban convoque et harcèle le commissaire, qui commence à avoir de sérieux doutes. Les choses ne s’arrangent pas pour Daniel, quand une femme se prétendant la sienne fait son apparition.

L’époux a beau se récrier, il ne peut rien prouver de tangible, et chaque fois qu’il est en mesure de le faire, la vérité semble se dérober. Alors : névrose paranoïaque ou “piège pour un homme seul“ ?

Effectivement, Daniel Corban est piégé ; mais il y a plus grave : nous aussi…

POINTS FORTS

En peintre du dimanche et pochard patenté, Denis D’Arcangelo égaye un peu l’ensemble, et compose un personnage assez comique, puisant largement dans le répertoire du Michel Simon de L’Atalante.

QUELQUES RÉSERVES

« Un “jeu de masques“ au bord du gouffre » affirme le metteur en scène. On s’en rapproche en effet, car tout ou presque sonne faux dans ce piège-là, et ce du début à la fin :

- le dénouement, à l’heure où les cliffhangers, boostés par des séries inventives rivalisent d’ingéniosité, est à la limite du prévisible et de très médiocre facture

- par surcroît, ledit dénouement - dont la publicité sur la pièce nous interdit de révéler la teneur - est nous est servi dans une scène du style Les cinq dernières minutes totalement surannée.

La pièce, qui entend jouer sur les deux tableaux

- le polar pour l’intrigue et le boulevard dans les dialogues - ne parvient à convaincre ni sur un plan ni sur l’autre, du moins dans la version qui nous est proposée par Michel Fau et ses complices, en effet :

- les dialogues sont quelconques et imprégnés d’un comique du début des années 1960, qui tombe la plupart du temps à plat (l’époque des Saintes chéries est révolue) : « J’arrose un peu l’génie… J’ai un petit côté Saint-Bernard, il ne manque plus que le tonneau » déclare ainsi La Merluche, ce qui ne nous emmène pas bien loin du côté de l’humour.

-  s’il s’agit d’un « polar », l’auteur n’a ni la verve d’un Audiard ni celle d’un Albert Simonin, qui eux savaient insuffler dans les échanges de quoi satisfaire les amateurs de boulevard.

Dans le décor banal d’un chalet, la circulation sur le plateau est difficile, car compliquée par un canapé maousse, ce qui ne constitue pas la seule limite au jeu des comédiens : 

- Michel Fau surjoue le mari piégé, au point que ses cris d’orfraie et les “euh…“ ponctuant la plupart de ses fins de phrases ne nous permettent guère de partager son délire ;

- Laspalès, commissaire statique et congestionné, ne compte plus que sur sa voix singulière pour provoquer l’hilarité d’un public pourtant venu déjà acquis à sa cause ;

- quant au curé de choc bodybuildé, tout droit échappé de Ken et Barbie, il place sa voix métallique constamment sur le même registre pour débiter ses tirades ;

- Sissi Duparc campe une infirmière parfaitement grotesque et les gimmicks de M. Fau (frapper du plat de la main la cheminée et s’étonner de la douleur) laissent indifférent.

Last but not least, Caterina Murino, avec son accent espagnol, se veut la doublure d’une disparue dont les origines et le physique sont aux antipodes des siens… Comment, dans ces conditions, peut-on croire un instant à autre chose qu’à une mystification, alors que ce doute aurait dû nourrir la tension tout au long de la pièce ?

Du coup, tout concourt à ce que l’on passe très rapidement du doute sur l’identité de celle qui se présente comme la femme de Corbanà celui sur les motifs de la mystification, ce qui affaiblit considérablement l’enjeu de l’intrigue.

ENCORE UN MOT...

En dehors de sa fascination enfantine envers une pièce dont  il vit l’adaptation à l’écran en 1979 AuThéâtre ce soir, qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Michel Fau devenu adulte et comédien de premier ordre, pour décider de la mettre en scène et l’interpréter plus d’un demi-siècle  après sa première ? Alfred Hitchcock, dit-on, voulut adapter Piège pour un homme seul, mais ce n’est peut-être pas sans raison que le réalisateur du Crime était presque parfait ou de La Corde (autres pièces de théâtre à l’origine) s’abstint de donner suite…

On en vient aussi à se demander si ce Piège pour un homme seul ne constitue pas plutôt un traquenard pour les spectateurs, drainés par la réputation des têtes d’affiche et des chroniques du spectacle inexplicablement complaisantes… En tout cas, le soir de cette représentation, les rires étaient rares et les applaudissements plutôt mesurés, un peu comme si le public attendait plus et mieux de la pièce.

UNE PHRASE

Le commissaire [à Corban et sa supposée femme] : «  L’un de vous deux est à enfermer. »

[…]

Daniel Corban [au commissaire] : « Je passe en Cour d’assise ou vous m’envoyez chez les fous ?

Le commissaire : Oh ! J’ai pas de préférence…. »

L'AUTEUR

Robert Thomas, acteur puis comédien, connaît un succès foudroyant en 1960, avec la création de son Piège pour un homme seul, mis en scène par Jacques Charon.

Il poursuit sur cette veine mêlant polar (sur le fond) et théâtre de boulevard (sur la forme) avec, l’année suivante, Huit femmes, qui sera adapté au cinéma et avec succès par François Ozon en 2002.

Au cinéma, il réalise La bonne soupe (1963) puis Patate (1964), et en matière de séries télévisées, Un curé de choc (1974).

Robert Thomas dirigea le théâtre Edouard VII de 1970 à sa mort, en 1989.

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