Petit bilan de l’apport du bayrouisme à la macronie (et à la France) depuis 2017<!-- --> | Atlantico.fr
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François Bayrou et Emmanuel Macron à Pau, le 6 juillet 2023.
François Bayrou et Emmanuel Macron à Pau, le 6 juillet 2023.
©GAIZKA IROZ / AFP

Cela a changé la donne ?

L’alliance de François Bayrou a fait partie des facteurs déterminants dans l’élection d’Emmanuel Macron. En quoi et dans quelles proportions le Modem aura-t-il changé la politique menée depuis ?

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : En 2017, l’alliance avec François Bayrou et le MoDem fait partie des facteurs essentiels qui permettent l’élection d’Emmanuel Macron. Que peut-on dire, désormais, du poids que la ligne bayrouiste a pu avoir sur l’action du président de la République ?

Raul Magni-Berton : Commençons par rappeler que le caractère décisif du soutien de François Bayrou dans l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, est discutable. Il est indéniable que cela a aidé et qu’il a été son premier allié, ce qui n’est pas sans impact symbolique. Très vite, cependant, les lignes respectives de François Bayrou et du président de la République se sont différenciées. 

François Bayrou représente un parti, le MoDem, qui est traditionnellement implanté localement avec des notables et élus locaux. Il se situe sur une ligne décentralisatrice, souhaitant donner la main aux élus locaux… tandis qu’Emmanuel Macron, malgré ses efforts de décentralisation, a accru le pouvoir central par rapport aux collectivités. Il a été très centralisateur. On a pu le voir dès le premier mandat.

Rappelons également que le MoDem s’est divisé depuis l’élection présidentielle de 2007. Un certain nombre des élus locaux qui composaient le parti à l’époque ont décidé de rejoindre l’UDI. Il s’agissait alors de la partie la plus hétérogène du mouvement, qui réunissait beaucoup de notables locaux, quelles que soient leurs opinions politiques. François Bayrou, de son côté, a tenté de faire du mouvement quelque chose de plus moderne.

Il y a toujours eu une inspiration centriste, que je qualifierais de substantielle, comparable, par exemple, au parti démocrate chrétien allemand, qui est à la fois social et conservateur, tout en étant modéré sur divers sujets. 

A l’inverse, Emmanuel Macron a plutôt pioché du côté républicain et du côté socialiste. Disons qu’il est centriste, non pas substantiellement, mais arithmétiquement. Il fait des choses beaucoup plus de droite que ce qu’un Modem aurait fait ainsi que des choses beaucoup plus de gauche : c’est le « en même-temps ».

On peut rappeler notamment que les conditions du ralliement de François Bayrou en 2017 - parmi lesquelles figurait la moralisation de la vie politique et l'introduction de la proportionnelle, sont restées lettre morte. 

François Bayrou a fait savoir qu’il ne rejoindrait pas le gouvernement de Gabriel Attal, faute « d’accord profond » sur la ligne politique à suivre. Qu’est-ce que cela peut signifier, exactement ? De quels types de désaccord parle-t-on, au juste ?

Philippe d’Iribarne : Je n’ai aucun accès privilégié à la pensée profonde de François Bayrou. Mais on peut faire une hypothèse. Gabriel Attal est très critiqué pour son abandon d’un rejet radical du RN sur un terrain moral. Il est accusé d’accepter les thèmes favoris de celui-ci, comme s’ils relevaient d’un pur bon sens. Il y a sans doute là une question de génération. François Bayrou appartient à une génération pour la quelle regarder Marine Le Pen comme héritière des « heures les plus sombres de notre histoire » a du sens, car le souvenir de ces heures reste encore vivace. Pour une génération plus jeune, déjà pour Emmanuel Macron, ces heures appartiennent à l’histoire ancienne et s’y référer n’a plus trop de sens, pas plus que regarder Fabien Roussel comme héritier de Staline et du Goulag. Cette forme de neutralité idéologique est sans doute très choquante pour François Bayrou.

En outre la génération de François Bayrou a beaucoup cru à l’édification d’une société meilleure grâce à la mise en place d’institutions et de politiques rationnelles, à l’échelle nationale comme à celle de l’Europe. Il revenait à une armée de technocrates de concevoir et de faire appliquer ces politiques. Il me semble que Gabriel Attal appartient à une génération qui ne croît plus à ce projet. Du coup l’action politique lui apparaît plus comme la gestion pragmatique d’une série de questions pratiques, en fonction de l’état des forces sociales et politiques. Je ne serais pas étonné que François Bayrou, au contraire, ait la nostalgie d’un grand idéal technocratique et soit choqué par l’abandon de cet idéal.
L’idée d’un potentiel retour de François Bayrou au gouvernement a été très discutée par la presse, qui évoquait le possible remaniement à venir. Jusqu’au refus affiché par l’ancien président du MoDem, cette hypothèse avait-elle quelque chose de cohérent, politiquement ?

Raul Magni-Berton : Je dirais que malgré certaines divergences, il était resté fidèle à la majorité d’Emmanuel Macron, toutes ces années. Et ce, contrairement à certains membres de son parti. Il aurait alors pu mériter une récompense pour cela. Aussi, il faut prendre en compte que François Bayrou représente une certaine aile modérée, centriste, qui est aujourd’hui relativement absente dans le gouvernement. S’il n’avait pas opposé une fin de non recevoir, il aurait pu être nommé en tant que choix d’image, pour rappeler que cette mouvance est toujours présente dans ce gouvernement. Cela ne signifie pas qu’il n’aurait rien eu à y gagner à titre personnel : puisque son mouvement politique n’a plus le même poids qu’auparavant, cette alliance lui permet d’exister politiquement depuis des années. Rejoindre le gouvernement, c’était aussi s’assurer de la continuité du partenariat.

Rappelons, par ailleurs, que la cohérence idéologique de la majorité d’Emmanuel Macron n’est pas très claire. En revanche, ce calcul politique aurait été pertinent d’un point de vue stratégique, dans l’optique d’obtenir un gouvernement dans lequel tout le monde peut se retrouver, avec des profils qui attirent différents types d’électeurs. C’est le principe qui avait été suivi jusqu’ici. Ce calcul aurait été plutôt électoraliste étant donné qu’il n’y a pas de ligne idéologique claire dans le macronisme. 

Soulignons également que l’idéologie d’un parti, n’est pas seulement dans l’air des idées, elle est aussi faite de ses membres. Lorsqu’un parti possède des membres forts, implantés localement, soutenus dans l’opinion publique, pouvant opposer une résistance face à la tête du parti, alors se crée un besoin de faire des négociations. Ces négociations pourront ainsi aller dans le sens de ce en quoi croient les individus appartenant à la même mouvance. En revanche, dans un parti très personnaliste comme celui d’Emmanuel Macron, les membres qui sont élus doivent leur élection au fait même d’appartenir à ce parti. Dans ce cas, la marge de manœuvre pour changer d’opinion, d’un jour à l’autre, est beaucoup plus grande. Il suffit, en effet, que le chef change d’avis. La marge de manœuvre pourrait ainsi être stratégique. Il est alors possible de proposer n’importe quoi pour gagner des élections, sans se soucier que quelqu’un ne vienne s’y opposer.

Dans quelle mesure ce qui se joue entre Attal et Bayrou dépasse le seul clash d’égo ? A quel point peut-on parler de conflit idéologique, d’idée ou de méthodologie ?

Raul Magni-Berton : Gabriel Attal et François Bayrou, me semble-t-il, sont fondamentalement différents. Rappelons-nous la campagne de François Bayrou pour l’élection présidentielle : il avait décidé de donner beaucoup de place à l’image de son parti, de la culture de sa formation, au dialogue avec la société civile. Emmanuel Macron et Gabriel Attal sont sur une toute autre ligne, beaucoup plus dirigiste. Je ne suis pas convaincu que c’est quelque chose dont l’ancien président du MoDem était tout à fait conscient en rejoignant le futur chef de l’Etat. Peut-être a-t-il surestimé sa capacité à influencer la ligne d’Emmanuel Macron, du fait notamment de l’expérience politique accumulée.

A bien des égards, François Bayrou s’est enfermé dans une forme de dépendance politique à Emmanuel Macron et à la majorité présidentielle. Il ne reste rien ou presque, désormais, de sa culture politique.

Gabriel Attal est dans la continuité du message d’Emmanuel Macron, en proposant un gouvernement qui est plus dans la souplesse qu’avant. Mais, je ne suis pas sûr que cela contribue à ce que Bayrou s’y sente très bien. Il n’est pas étonnant qu’il refuse d’y participer.

Qu’est-ce que Gabriel Attal apporte à Emmanuel Macron que Bayrou n’apporte pas ? Et inversement ?

Raul Magni-Berton : Ce que Gabriel Attal apporte à Emmanuel Macron : la fidélité. Le Premier ministre doit tout au chef de l’Etat. Dès lors, le président peut davantage établir une relation hiérarchique avec lui. Ce qu’il n’aurait pas pu faire avec François Bayrou, qui a une longue expérience en politique. Il était chef de parti et donc a des réflexes qui le rendent moins contrôlable. 

Notons également que François Bayrou a une réputation plus importante que celle d’Attal, qui lui permet de parler aux générations plus âgées et qui lui apporte de la crédibilité. Tout cela signifie qu’il vaut mieux donner à Attal des rôles importants, et à Bayrou des rôles moins importants, mais visibles, pour qu’il ait un poids symbolique.

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