Pénuries outre-Manche : La France est-elle aussi dépendante de ses travailleurs immigrés que le Royaume-Uni ?<!-- --> | Atlantico.fr
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File d'attente devant une station-service britannique alors que les livraisons de carburant sont de plus en plus complexes.
File d'attente devant une station-service britannique alors que les livraisons de carburant sont de plus en plus complexes.
©ADRIAN DENNIS / AFP

Forces vives

Au Royaume-Uni, la pénurie des travailleurs immigrés a causé une pénurie d’essence. Beaucoup d’emplois sont à pourvoir, mais les candidats se font rares. Cette situation peut-elle se produire en France...

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, fondateur du cabinet de conseil Asterès. Il a publié en septembre 2015 Le Grand Refoulement : stop à la démission démocratique, chez Plon. Il enseigne à l'Université de Paris II Assas et est le fondateur du Cercle de Bélem qui regroupe des intellectuels progressistes et libéraux européens

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Atlantico : En France, une pénurie de main d’œuvre immigrée amènerait-elle vers ce même type de situation ? La France dépend-elle autant de ses travailleurs immigrés ?

Michel Ruimy : La pénurie de chauffeurs au Royaume-Uni résulte de la décision des entreprises d’embaucher, au rabais, des pilotes non britanniques. Ceci a fait stagner les salaires et rendu le métier peu attractif eu égard à sa pénibilité. Par la suite, la simultanéité de la Covid-19 et du Brexit a troublé gravement l’activité de certains secteurs du fait des difficultés dans les chaînes d’approvisionnement et, au final, le fonctionnement de l’économie tout entière. 

La France ne s’inscrit pas dans ce schéma. Si le marché du travail national - et européen - est confronté à de nombreux défis : société vieillissante, changements technologiques de plus en plus rapides, demande croissante pour une main d’œuvre qualifiée, incertitudes quant à la future croissance de l’économie..., les postes tenus par les travailleurs immigrés sont, de manière générale, des postes de premier niveau de qualification dont les salaires sont peu élevés. Ils sont peu attractifs du fait de leur pénibilité et/ou des contraintes horaires (nuit, week-end, temps partiel tôt le matin ou tard le soir) et/ou parfois de leur dangerosité (cf. construction) voire de leur difficulté d’exercice (cf. transports routiers de marchandises et le fait de devoir découcher). Par ailleurs, ils souffrent d’une mauvaise image de marque et d’un manque de reconnaissance. 

Ces métiers sont essentiels pour la bonne marche de l’économie, qui pourrait être perturbée, dans une certaine mesure, si ces emplois ne sont pas occupés. En effet, avec la sortie de crise et le redémarrage de certains secteurs, il y a une sorte de goulot d’étranglement. D’un côté, il y a des postes vacants, de l’ordre de 300 000, et de l’autre, des demandeurs d’emploi dont les effectifs, au deuxième trimestre, restent supérieurs à ceux du dernier trimestre 2019. Une situation qui pénalise grandement la reprise et qui menace la croissance.

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En fait, à court terme, attirer des talents étrangers permet de répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs alors que la revalorisation de certains métiers nécessite plus de temps. A ce titre, le gouvernement se mobilise pour orienter les réfugiés et demandeurs d’asile vers les secteurs les plus en tension. Il ne s’attaque pas, pour autant, au fléau du travail clandestin dans ces domaines d’activité et ne règle pas le problème à la racine : la formation des Français afin d’être plus mobiles et permettre une plus grande fluidité de l’emploi.

A long terme, avec l’automatisation, un grand nombre d’emplois, tenus par des travailleurs immigrés, seront amenés à disparaître (tâches pénibles, emploi à la chaîne, activités de caissiers, manutentionnaires...). Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur le rôle de l’immigration de travail et sur la nécessité de faire venir des travailleurs pour combler les besoins de main-d’œuvre dans certains secteurs spécifiques où les besoins de main-d’œuvre persistent.

Nicolas Bouzou : C’est certain. En France, d’ailleurs, les pénuries de main-d’oeuvre existent déjà. Lorsque l’on interroge l’INSEE sur les principaux freins à la croissance en France, les pénuries de main-d’oeuvre arrivent en tête. Cela a toujours été un frein important, mais depuis la crise c’est le principal problème pour les entreprises françaises. Dire que l’on doit arrêter l’immigration est une mesure qui pourrait aggraver ce problème économique. 

Aujourd’hui, les entreprises n’arrivent pas à recruter. Si on limite les flux d’immigration et que l’on divise par trois les 250 000 entrées en France chaque année, on renforce le problème des entreprises. Toutes les études dont on dispose sur la France montrent que l’intégration des personnes immigrées sur le marché du travail se passe plutôt bien en règle générale. Les immigrés et les natifs n’occupent pas le même type d’emplois. Les immigrés ont souvent les emplois les moins bien payés et valorisés.

Atlantico : Quels sont les secteurs qui dépendent le plus fortement des travailleurs immigrés dans l’Hexagone ?

Michel Ruimy : Si, parmi les métiers qui connaissent des difficultés de recrutement sur le territoire national, certains embauchent des travailleurs étrangers, il convient toutefois de considérer l’immigration au titre de la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne (UE) et celle hors UE. 

Selon les différentes fédérations professionnelles, le secteur de la propreté et du nettoyage compte près de 30% de salariés de nationalité étrangère dans ses effectifs (20% hors-UE et 10% intra-UE). Dans le secteur de la sécurité privée, ce pourcentage s’élève à 20%, la majorité des travailleurs immigrés venant du continent africain, notamment du Maghreb. Dans le bâtiment, l’indicateur s’élève à environ 15% des salariés, une moitié hors-UE, une autre moitié intra-UE, chiffre comparable à celui du secteur de l’hôtellerie-restauration. La médecine, connue pour être un secteur structurellement en pénurie, compte également un nombre important de travailleurs étrangers (environ 8%). 

En revanche, il n’existe pas de chiffres disponibles concernant le nombre de travailleurs immigrés dans les secteurs de l’agriculture et du transport routier alors qu’ils connaissent de fortes pénuries de main d’œuvre et font, eux aussi, appel à des travailleurs étrangers. 

Nicolas Bouzou : On a des besoins de main-d’oeuvre très importants dans la restauration, le bâtiment, dans l’industrie et même dans tout ce qui est service à la personne. Typiquement on ne trouve pas d’aides soignants. Dans les hôpitaux, on peut tomber sur des médecins immigrés venant de pays d’Europe de l’est. 

Atlantico : On entend souvent sur les plateaux tv que les immigrés viennent en France pour les allocations alors qu'ils viennent au Royaume-Uni pour bénéficier de tous les avantages du libéralisme.Comment s’intègre la main-d’œuvre immigrée en France ?

Michel Ruimy : De 1945 jusqu’au premier choc pétrolier (1973), la France avait besoin de main d’œuvre et a fait appel à l’immigration de travail. Ces travailleurs étaient embauchés dans des activités à haute intensité de main-d’œuvre (sidérurgie, construction, automobile). Le regroupement familial a ensuite pris le relais, les membres de la cellule familiale se retrouvant, par la suite, sur le marché du travail. 

Le taux d’emploi des immigrés, en France, est légèrement inférieur à 60% (contre plus de 65% pour les natifs). Sur une tendance de long terme, l’immigration contribue, en grande partie, aux secteurs dépendant de la croissance économique, délaissés par les résidents, où ils sont sur-représentés (bâtiment, aides à la personne…). Ils sont, par contre, sous-représentés parmi les employés et les catégories supérieures. 

Certains travaux (Dustmann et Frattini, Hansen) ont montré que les immigrés en provenance de l’espace économique européen sont associés à une contribution nette positive aux finances publiques, contrairement à ceux des pays non-européens. Ils expliquent ces différences, à la fois, par la taille des ménages immigrés et par les écarts de taux d’emploi. 

D’une manière générale, en matière de transferts sociaux, selon l’OCDE, les écarts entre immigrés et non-immigrés s’expliquent avant tout par des critères d’éligibilité. Concernant les allocations chômage, ces transferts sont légèrement plus élevés durant la vie active, notamment en raison d’une probabilité de chômage plus forte au sein de cette population. Les allocations logement s’avèrent d’un montant unitaire moyen moins important pour les non-immigrés que pour les immigrés, qui perçoivent de faibles pensions de retraite du fait de moindres revenus d’activité.

En fait, l’accroissement du recours aux prestations peut s’expliquer, à la fois, par une meilleure connaissance des institutions et par la disparition des restrictions à l’éligibilité aux aides qui caractérisent souvent les premiers temps du séjour dans le pays d’accueil.

Nicolas Bouzou : Quand on regarde le taux d’emplois par catégorie de population, il y a des variations importantes selon les pays. Le taux d’emploi des femmes algériennes qui immigrent en France est très bas car elle viennent sans doute pour le regroupement familial. Il faut avoir le courage de faire ses choses là de près. 

À l’heure actuelle, la France connaît quasiment un plein emploi même si le taux de chômage est élevé et il y a plus d’un million d’offres d’emploi chez pôle emploi. La demande de travail est supérieure à l’offre, le taux de chômage est important car certaines personnes ne sont pas qualifiées ou l’emploi est trop loin de chez eux. Les réponses peuvent être multiples. 

L’analyse économique doit seulement rentrer en compte dans les choix d’immigration. Il faut le prendre en compte et les politiques décideront. Les conditions d’entrées doivent seulement encore plus strictes qu’elles soient aujourd’hui et on doit améliorer l’intégration. L’immigration doit être choisie en fonction des compétences dont on a besoin et l’État doit être structuré pour ça. 

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