Patrick Buisson, l’homme d’une droite (celle qui ne gagne ou ne gagnera jamais seule)<!-- --> | Atlantico.fr
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Patrick Buisson, ici à Paris le 15 octobre 2012
Patrick Buisson, ici à Paris le 15 octobre 2012
©MIGUEL MEDINA / AFP

Héritage

Patrick Buisson, essayiste, journaliste et conseiller politique, notamment de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, est décédé mardi 26 décembre à l’âge de 74 ans

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Guillaume Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).

Il enseigne ou a enseigné dans divers autres établissements comme Sciences-Po Paris. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d'ouvrages scientifiques parmi lesquels Dictionnaire de la politique et de l'administration (PUF, 2011) et Introduction à l'histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2éd., 2011), ou destinés au grand public, dont L'instruction civique pour les nuls (First, 2e éd., 2015). Il est également l'auteur de La guerre à droite aura bien lieu, (Desclée de Brouwer, 2016).

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Atlantico : Patrick Buisson était l'un des stratèges de la campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007. On dit qu'il était partisan de l'Union des droites alors qu'il tirait à boulet rouge sur le FN, notamment sur Marine Le Pen. C'était l'homme d'une droite et pas des droites ?

Guillaume Bernard : Les idées personnelles de Buisson sont un peu secrètes. Il a lui-même évolué au cours de sa vie. Le Patrick Buisson n’était pas le même dans les années 80 à Minutes ou dans les années 90 à Valeurs actuelles ou même dans les années 2000. 

Là où il a été utile à Nicolas Sarkozy, c'est qu'il a transposé à la droite ce que François Mitterrand avait fait dans les années 70 avec la gauche. Au début des années 70, le Parti communiste est plus puissant que le Parti socialiste mais il est à l'extrême du logiciel politique et n'a aucune chance d'arriver au pouvoir. Mitterrand a fait le programme commun de la gauche et a créé des conditions pour que l'électorat du parti communiste se dise qu’une partie de ses idées arriveront au pouvoir avec le vote Mitterand. Buisson a fait la même chose à droite. C’est ce qu’on a appelé « la ligne Buisson ». Il a fait s’adresser Sarkozy aux électeurs du Front national à l'époque en leur disant que certaines de leurs idées arriveraient au pouvoir en votant pour lui. C'est comme cela qu’en 2007, Jean-Marie Le Pen a été siphonné et que Nicolas Sarkozy a réussi à faire un gros score dès le premier tour. Une avance suffisamment importante au premier tour pour pouvoir l'emporter au second. 

Le Buissonisme est moins une question d'idéologie qu'une question de stratégie. La personnalité de Buisson est un peu introuvable. Il a, par contre, excellé dans les questions doctrinales et dans les questions stratégiques. Sans aucun doute, il a vu que les circonstances étaient réunies pour qu'un candidat puisse se revendiquer véritablement d'être de droite et gagner l'élection présidentielle. Mine de rien, la victoire de Sarkozy en 2007, c'est une nouveauté. C'est la première fois qu'on a un candidat qui se revendique explicitement d'être de droite et qui gagne l'élection présidentielle. Auparavant, ceux qui se revendiquaient de la droite n'avaient pas gagné la présidentielle ou ceux de droite qui avaient gagné la présidentielle se présentaient comme étant autre chose. Ils se présentaient comme étant gaullistes ou comme étant libéraux, mais ils ne se présentaient pas comme étant "de droite". Buisson a eu cette intuition. Il a fait l'analyse que les circonstances étaient réunies pour qu'un candidat se présentant comme étant de droite puisse coaguler des électorats divers de la droite et qui pourraient se réunir sur son nom. 

Christophe Boutin : Patrick Buisson était un remarquable historien des mentalités. C’était un analyste des sondages assez remarquable. Il ne flottait pas au gré des évolutions de l’opinion du moment, mais savait, et l’expliquer, et lui trouver une réponse politique cohérente. 

Patrick Buisson était politiquement nationaliste et socialement conservateur. Même s’il a pu se montrer critique envers certaines parties de « la droite », il était effectivement favorable à une politique d’union réunissant les trois droites classiques françaises telles que les définissait René Rémond, la légitimiste, l’orléaniste et la bonapartiste – on dirait sans doute plus de nos jours la conservatrice, la libérale et la populiste. Il n’a jamais pensé que le conservatisme, qui avait certainement ses faveurs idéologiquement, devait être la seule solution dans cette union, mais bien que les trois droites devaient se fédérer, notamment autour de l’idée nationale, impliquant celle de la souveraineté.

Buisson ne tirait tellement pas « à boulets rouges » sur le Front national qu’il prônait son alliance avec le RPR dans le milieu des années quatre-vingt, et a été approché pour être candidat sur cette étiquette. Ce n’est qu’ensuite qu’il s’est posé la question des chances réelles de cette formation d’arriver au pouvoir et, notamment, de faire l’union des droites derrière elle. Il a préféré un autre choix : faire l’union derrière un candidat issu de la droite classique – le RPR puis l’alliance RPR/UDF – qui reprendrait un certain nombre de thématiques – luttes contre l’immigration ou l’insécurité – au RN, et, surtout, répondrait au sentiment d’insécurité identitaire ou culturelle des Français. Ce choix a conduit à la victoire en 2007 d’un Sarkozy, qui, siphonnant les voix des électeurs partis au RN, réussissait partiellement au moins l’union… des électeurs de droite.

Patrick Buisson a par la suite été critique de certains choix faits par le RN sous la présidence de Marine Le Pen, notamment sous l’influence de Florian Philippot, estimant qu’il y avait trop de concessions, non sociales – car Buisson, comme tout nationaliste, savait qu’une politique doit être aussi sociale –, mais sociétales. Il avait aussi exprimé ses doutes sur les chances de la présidente du RN d’arriver au pouvoir, en partie à cause de son patronyme, qui écartait d’elle certains électeurs âgés. Des doutes plus tactiques qu’autre chose. 

Patrick Buisson n’a pas été le seul pilier sur lequel Nicolas Sarkozy s’est appuyé pour réunir les différents électorats de la droite. Henri Guaino et Emmanuelle Mignon ont aussi participé à la victoire de 2007 et permis aux électorats de droite de coaguler.

Guillaume Bernard : Bien sûr. Au second tour, il faut aller au-delà de son camp pour pouvoir gagner une élection présidentielle, en particulier tenter de séduire l'électorat flottant. Mais les circonstances étaient telles que le fait de se présenter comme étant un candidat de droite n'a pas été rédhibitoire pour pouvoir quand même gagner la présidentielle, alors qu'auparavant, tout le monde pensait qu'il fallait se positionner au centre pour pouvoir avoir le plus de chances de l'emporter. De ce point de vue, Patrick Buisson a joué incontestablement un rôle. Il a eu cet instinct et cette intuition après analyse des sondages et des enquêtes d’opinion. Le camp politique de la droite n’est pas composé que de la droite réactionnaire. Mais c’est désormais par la droite réactionnaire que les initiatives nouvelles arrivent. Buisson fait partie de ceux qui ont joué cette partition-là. 

Même s’il n’était pas tout seul à avoir contribué à la recomposition de la droite, Patrick Buisson a réussi à apparaître comme étant une figure tutélaire de ce mouvement. Peut-être à tort. Mais il va certainement le rester pendant un certain temps. 

Patrick Buisson était pour que la droite soit une vraie droite. Est-ce qu'il faisait le bon calcul ? On voit bien qu'à la fin, ce n'est pas la droite identitaire qui gagne une élection.

Christophe Boutin : La « vraie droite » ce n’est pas uniquement la « droite identitaire » au sens où on l’entend de nos jours, soit qu’il s’agisse de groupuscules maintenant classés dans « l’ultra droite », soit qu’il s’agisse de partis qui, comme au moins partiellement Reconquête, feraient, selon certains, de la notion identitaire, notamment dans son aspect de défense contre l’immigration, l’alpha et l’oméga de toute la politique. La « vraie droite », c’est une droite qui a une dimension sociale et nationale, qui est conservatrice, pour laquelle les notions d’autorité et de transmission sont essentielles. Encore une fois, s’il a été impossible de faire l’union des droites, ce n’est pas à cause de cette « vraie droite », qui était sans doute tout à fait prête à le faire, mais c’est bien à cause d’une « fausse droite », incapable elle de remettre en cause les diktats progressistes. 

Quant à la place de l’identité, nul ne peut nier qu’elle est de nos jours, en France et dans toute l’Europe, au cœur de tous les débats, comme le prouve la progression des partis nationalistes, et comme le prouveront si besoin en était les débats qui auront lieu lors des prochaines élections européennes. Et si une droite uniquement identitaire – encore qu’il faille s’entendre sur ce terme – aurait certainement des difficultés à l’emporter, aucune droite – et, moins encore, aucune union des droites – ne saurait passer cette question par pertes et profits.  

Conseiller politique de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012, il a défendu une droite décomplexée et la promotion d'un discours sur l'identité nationale. Eric Ciotti écrit sur X "qu'il vit avant beaucoup, les grands dangers qui menacent notre pays". Qu'en pensez-vous ? 

Guillaume Bernard : Ce n'est pas le seul. La question de l'identité a été mise dans le débat politique dès les années 80 par Jean-Marie Le Pen et le Front National. Buisson fait partie de ceux qui ont légitimé un certain nombre d'enjeux qui étaient déjà présents dans le débat mais qui n'avaient pas de légitimité politique. Dans les années 80, on parle d'immigration mais c'est un sujet qui est illégitime. Dans les années 2000, Il est légitime de parler de ce sujet-là. D'où, par exemple, la création du ministère de l’identité nationale.

Christophe Boutin : Sur la question du discours « décomplexé », Patrick Buisson avait très clairement perçu la manière dont la gauche marxiste d’abord, puis ses différents dérivés gauchisants, puis sa variante « droits de l’hommiste », ses délires « wokes » enfin, avait préempté le pouvoir intellectuel en France. Or il considérait que la lutte politique passait d’abord par le combat idéologique - pour simplifier les choses, d’une manière qui ne lui aurait d’ailleurs peut-être pas plu, on peut dire que Patrick Buisson était un « gramsciste de droite ». 

Les dangers, cet historien des mentalités conservateur les liait à la perte de la notion de transmission dans l’après Seconde Guerre mondiale, moment d’une rupture selon lui fondamentale. C’est alors en effet tout un monde qui disparaît : c’est la France paysanne qui s’en va, au profit d’une France industrielle ; la France communautaire au profit d’une France des individus ; une France « clanique » au profit des famille mononucléaires ; une France des terroirs au profit de celle des métropoles. De ces bouleversements majeurs naissent nécessairement des inquiétudes sous-jacentes – largement culturelles ou identitaires - qui seraient selon cet analyste comme des courants profonds en mer, ayant bien plus d’impact dans les choix des populations que les vaguelettes de surface de la politique du quotidien. 

Oui, Éric Ciotti a raison : Patrick Buisson a vu venir les dangers qui nous menacent, dont le principal est celui de la disparition de la communauté nationale, implosant sous les attaques conjuguées de l’individualisme et de l’internationalisme, qui détruisent pour arriver à leurs fins, un à un, tous les pans du roman national.

Longtemps décrit comme l'éminence grise de Nicolas sarkozy, Patrick Buisson est ensuite devenu un traître. C'est l'épisode des Sarkoleaks révélés par Atlantico et qui ont démontrés que Patrick Buisson a bien enregistré l’ancien président ainsi que ses conseillers à l’Elysée  à leur insu. Quelle trace / emprunte politique laisse-t-il derrière lui ?

Guillaume Bernard : Il n’était pas le seul mais il a participé au décloisonnement du camp politique qui se situe à droite. C'est-à-dire qu’il a participé à décloisonner les différentes familles politiques qui sont à droite : certaines étant véritablement de droite et d'autres étant « simplement à droite ». Il a participé à ce qu'il y ait une convergence entre le vote et les valeurs des personnes, entre le choix partisan et les valeurs des personnes. Et donc, ça a contribué à décloisonner et à favoriser les transfuges entre les différents courants politiques.

Christophe Boutin : Il semble très excessif de faire de Patrick Buisson, quelqu’un qui a trahi Nicolas Sarkozy. Rappelons les faits : Patrick Buisson a aidé en 2007 Nicolas Sarkozy à conquérir les voix des Français, notamment celles parties au Front national lors de l’élection précédente, sur la base d’un programme conservateur et nationaliste. Un programme que le même Sarkozy élu Président a délibérément trahi – trahissant ainsi toute une part de son électorat -, entre adoption du traité de Lisbonne, politique a minima sur la lutte contre l’immigration illégale, ou réflexion sur l’identité de la France confiée… à Brice Hortefeux ! 

Ce que l’on reprocha à Patrick Buisson, y compris devant les tribunaux, est d’avoir enregistré des conversations privées avec Nicolas Sarkozy à l’Élysée, le Président déclarant que cela avait été fait à son insu, ce que Buisson contestait. Il n’est pas aberrant qu’il y ait enregistrement de telles conversations pour pouvoir ensuite retrouver exactement ce qu’a voulu ou demandé le président de la République dans une conversation à bâtons rompus qui ne laissera pas de trace écrite. La solution de Peyrefitte, recopier en sortant de tels entretiens ce que lui avait De Gaulle - il en tirera un livre passionnant –, n’est à bien y regarder guère différente. Quant à l’ouvrage dans lequel Buisson raconte sa vie auprès de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, La cause du peuple, publié en 2018, il est effectivement très critique sur la politique menée par ce Président, mais décrire une réalité sept années ou plus après les évènements n’est en rien une trahison. 

Dans cette confrontation entre Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy, d’autres traîtrises seraient à évoquer, dont celles de membres du parti présidentiel qui, progressistes, ne supportaient pas le tour conservateur donné par « la ligne Buisson », et ont tout fait pour lui savonner la pente. Le score obtenu par ceux – ou celles – d’entre eux, lorsqu’ils ont ensuite pu donner toute la mesure de leur talent sur un programme « anti-ligne Buisson » lors d’élections ultérieures, aura prouvé amplement je crois qui trahissait l’électorat de la « droite républicaine », de Buisson, qui avait fait revenir les électeurs partis plus à droite, ou de « celles-et-ceux » qui se sont ensuite tout simplement ridiculisés. 

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