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"Paris étant l'une des dernières capitales occidentales où les hommes sont encore capables de s'engager dans un débat savant", estime l'auteur.
"Paris étant l'une des dernières capitales occidentales où les hommes sont encore capables de s'engager dans un débat savant", estime l'auteur.
©BERTRAND GUAY / AFP

Sauver les meubles

Même au plus bas, la capitale française reste un phare de la liberté et, paradoxalement, un motif d'espoir pour la renaissance de l'Occident.

Rafael Pinto Borges

Rafael Pinto Borges

Rafael Pinto Borges est le fondateur et le président de Nova Portugalidade, un groupe de réflexion conservateur et patriotique basé à Lisbonne. Politologue et historien, il a collaboré à de nombreuses publications nationales et internationales. Vous pouvez le trouver sur Twitter sous le nom de @rpintoborges.

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"Ici Londres". Dans la nuit noire de la Seconde Guerre mondiale, alors que la France était prisonnière du joug allemand et que la civilisation européenne se trouvait au bord du précipice, les mots de Franck Bauer ont apporté du réconfort à un peuple en deuil. Pendant ces années d'épreuves, de sang et de doute, l'âme de la France s'est exprimée depuis son exil anglais, alors dernier rempart obstiné d'une Europe libre.

Malgré la morosité générale de notre époque, Paris peut également s'enorgueillir d'être restée une forteresse d'espoir, du moins pour les autres Européens. Peu d'hommes sains d'esprit, bien sûr, nieraient à quel point la capitale française a souffert au cours des dernières décennies. Comme partout ailleurs dans le monde occidental, la triste marque de la décadence est presque omniprésente. La capitale est de plus en plus marquée par la frénésie de construction inspirée par son maire de gauche inefficace, Anne Hidalgo : la ville apparaît désormais toujours comme un grand chantier, des milliards d'euros étant méthodiquement dépensés pour rendre les choses pires qu'elles ne l'étaient auparavant. Les prochains Jeux olympiques ont donné à la haine de Paris l'occasion idéale de la tyranniser, la place de la Concorde étant ignominieusement recouverte d'une collection d'escarboucles difformes qui insultent les yeux des habitants et des visiteurs.

Ce sont là les conséquences visibles d'un malaise plus profond. La fierté légitimement produite par la grandeur de l'architecture parisienne semble entachée et dépréciée par les réalités de la France contemporaine : ce n'est plus la nation farouchement indépendante qu'elle était sous le Général - legrand Charles de Gaulle - mais un pays capturé par les caprices changeants de son président actuel, le mercurien Emmanuel Macron. La déchéance croissante de Paris - démographique et, dans un sens plus profond, spirituelle - complète le panorama déprimant. La ville est un microcosme de l'Occident, rendu encore plus douloureux par sa splendeur durable, bien que mourante.

La lumière dans les endroits sombres

Aussi désolant que soit son état actuel, Paris se bat. La France a peut-être été la mère de la révolution, mais elle est aussi la fille aînée de l'Église. Comme Janus, c'est une nation à deux visages, un peuple divisé par un sentiment d'identité contradictoire. La France de 1789 est aussi celle de 508, lorsque Clovis, le roi franc, fut le premier à être baptisé dans le christianisme de Nicée. La France de Voltaire est aussi celle de l'évêque Bossuet, défenseur acharné des droits des monarques ; de même que les gauchistes et les mondialistes du monde entier trouvent une inspiration permanente dans les œuvres de Camus, Sartre et Foucault, les conservateurs doivent une gratitude sans bornes aux efforts de Maistre, Maurras et Alain de Benoist.

La dualité de l'âme française et, pour le meilleur et pour le pire, son immense créativité, restent vraies aujourd'hui, Paris étant l'une des dernières capitales occidentales où les hommes sont encore capables de s'engager dans un débat savant.

L'un de ces sièges de la liberté et de l'intelligence est La Nouvelle Librairie, une librairie conservatrice "dissidente" située non loin du Palais du Luxembourg, où se réunit le Sénat français. Au cœur du Quartier latin, qu'elle entend "reconquérir" pour la droite, elle se trouve dans un centre culturel de premier plan, proche de la Sorbonne et de l'endroit où Pierre Abélard, l'un des esprits les plus brillants du Moyen-Âge européen, a enseigné son interprétation pugnace du christianisme. C'est peut-être cet exemple - celui de l'intellectuel militant - qui a incité François Bousquet, le propriétaire, à lancer sa nouvelle bibliothèque.

La Nouvelle Librairie n'est pas grande. Sa taille et son intérieur en bois lui confèrent la discrétion et la familiarité d'un repaire de conspirateurs. Elle propose de nouvelles éditions dans un large éventail de domaines et d'auteurs, souvent maudits. On y trouve volontiers les incontournables de la pensée conservatrice les plus récents, comme Renaud Camus ou Benoist, ainsi que des classiques de la droite comme Maurras, Bernanos, Mishima, Jünger ou Schmitt. Les livres d'occasion n'offrent pas moins d'opportunités au lecteur indépendant, avec une sélection abondante disponible au premier étage. L'auteur de ces lignes a eu le plaisir de trouver Les Conséquences politiques de la paix de Bainville, ouvrage sinistrement prophétique dont la difficulté d'accès contraste avec l'urgence et l'assourdissante pertinence.

Cette richesse de choix n'est pas tout ce que Bousquet a à offrir dans sa librairie. Auteur et penseur accompli, il a travaillé pour Le Figaro Magazine, supplément du quotidien le plus important du pays, ainsi que pour le journal conservateur Valeurs Actuelles. En 2017, il devient rédacteur en chef d'Éléments, la revue fondée par Alain de Benoist en 1973. Lorsque, l'année suivante, Bousquet ouvre La Nouvelle Librairie, il en fait un lieu de débat sans entrave entre les nombreuses factions de la droite française. C'est un rôle qu'il est singulièrement bien placé pour jouer, tout comme son ami et proche collaborateur, le regretté Patrick Buisson. Comme Buisson, qui a côtoyé des personnalités aussi diverses que Jean Marie Le Pen, Philippe de Villiers et Nicolas Sarkozy (dont il a été l'un des principaux conseillers présidentiels), Bousquet et La Nouvelle Librairie n'ont eu d'autre parti et d'autre allégeance que la France et la civilisation européenne. Il a accueilli Éric Zemmour pour la présentation de son dernier ouvrage, La France n'a pas dit son dernier mot. Il est intervenu aussi bien dans les manifestations de Marion Maréchal, qui a rejoint le parti Reconquête de Zemmour, que dans celles du Rassemblement national de Marine Le Pen. Dans le paysage fracturé de la droite française, il a eu le grand mérite de voir au-delà des clivages et de comprendre ce qui se joue réellement.

La clarté en français

Le grand comte de Rivarol a dit un jour : "Ce qui n'est pas clair n'est pas français". Aujourd'hui encore, les Français font preuve d'une lucidité rafraîchissante sur l'état de leur pays, de l'Europe et du monde. Si l'auteur n'a pas rencontré M. Bousquet lors de sa récente visite à La Nouvelle Librairie, il a néanmoins été heureux de participer à une séance de dédicaces de Dénis Cieslik, jeune romancier talentueux qui vient de lancer son premier ouvrage, Inclure. Ce livre est une mise en garde. Il offre au lecteur la réalité dystopique d'une France réveillée dans les années 2060 : un État capturé par le totalitarisme dada après avoir complètement sombré dans l'idéologie progressiste. Bien qu'humoristique et léger, le scénario de Cieslik d'une dissolution totale de la nation et de la communauté - en fait, d'un Jahr Null woke - identifie avec précision non seulement l'absurdité, mais aussi le danger du libéralisme moderne, et la raison pour laquelle l'arrêter est un combat pour la survie de la civilisation, de la beauté et de la vérité.

Cieslik représente une nouvelle génération de gens de droite pleins d'esprit qui ont beaucoup fait pour le mouvement conservateur et antimondialiste français. Heureusement, ils ne manquent pas. Stanislas Rigault, qui, à 24 ans, est déjà le porte-parole le plus éloquent d'Éric Zemmour, est un autre exemple de cette tendance montante. La Cocarde étudiante, le syndicat étudiant conservateur actuellement dirigé par Vianney Vonderscher, a produit des cadres de qualité pour de multiples institutions de droite. En outre, malgré les obstacles et le scepticisme de beaucoup (voire de la plupart), le nouveau chef du Rassemblement national, Jordan Bardella, s'est montré digne de la confiance que lui avait accordée Marine Le Pen. Bardella jouit d'une énorme popularité, son style jovial désarmant la peur traditionnellement ressentie par des pans entiers du public français à l'égard du parti, tout en parvenant à unir l'électorat fragmenté en un front commun d'opposition anti-macroniste. En effet, le RN n'est plus seulement le premier choix des jeunes, mais aussi et simultanément celui des travailleurs et des chefs d'entreprise - un exploit qui supplante les anciennes divisions de classe et illustre à quel point, pour les Français, les idées de souveraineté et une croyance renouvelée dans l'identité nationale sont devenues courantes.

Ce sentiment de clarté et de changement n'en est que plus évident en dehors des contours de la métropole cosmopolite et dénationalisée. À Paris, le patriotisme est un mouvement des catacombes, même s'il est vibrant et en pleine ascension. C'est une hérésie vécue en secret, avec l'ardeur de la conviction qui suit toujours une persécution hostile. Elle est plus silencieuse en province, même en Île-de-France, mais c'est parce qu'elle y est déjà hégémonique. On est impressionné de voir comment, dans les petits villages souvent déserts de la campagne, la politique semble avoir été entièrement accaparée par le RN. C'est ce que, dès 1947, Jean-François Gravier appelait "le désert français", et que Christophe Guilluy a observé plus récemment dans son ouvrage de 2014 La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires : des communes délaissées où le dispensaire, l'école, la poste, l'intendance, voire le café typiquement français ont disparu, dévorés par l'hypercentralisation parisienne ; des étendues où la présence de l'État s'est souvent réduite au mât symbolique de la mairie ; des régions habituées, mais non conformées, à la prépotence de la classe politique urbaine. Pauvres, ancrés dans leurs habitudes et conservateurs par instinct, ils sont naturellement hostiles à l'expérimentalisme des élites. Leur colère s'est fait entendre au fil des élections et est physiquement palpable pour tout visiteur un tant soit peu attentif.

Écouter la France

L'innovation politique coule à flots dans les veines de la France. Elle a été le pays du centralisme monarchique, et la mode s'est répandue. Elle fut ensuite, et malheureusement, le berceau des Lumières, de la Révolution, du Républicanisme et du Code civil. L'Europe n'a cessé de suivre le mouvement, se modelant sur le génie français avec le même enthousiasme que ses rois avaient manifesté pour Versailles et que sa bourgeoisie prodiguerait plus tard à des personnalités telles qu'Yves Saint-Laurent. Pour le meilleur et pour le pire, les Français ont longtemps eu l'habitude d'être les plus grands influenceurs de l'Occident.

Cette vérité est une bonne raison pour les autres Européens de s'intéresser aux malheurs de la France et aux solutions qu'elle propose. La révolution culturelle qui embrase actuellement les esprits et les rues de France, les écoles et les librairies françaises, ses hommes de pensée, ses hommes politiques et sa jeunesse, aura probablement une importance démesurée pour l'avenir de tous les autres. Pour ceux qui aiment l'Europe et veulent la voir prospérer, c'est une bonne nouvelle.

Cet article a été initialement publié sur The European Conservative.

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