Pap Ndiaye, ministre à la (coupable) tentation pacifiste<!-- --> | Atlantico.fr
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La question des signes religieux s’est posée du fait de l’irruption soudaine et massive de jeunes musulmanes voilées dans les établissements scolaires.
La question des signes religieux s’est posée du fait de l’irruption soudaine et massive de jeunes musulmanes voilées dans les établissements scolaires.
©Ludovic MARIN / AFP

Nouvelle querelle

La nouvelle querelle de la laïcité qui s’est ouverte à l’école en 1989 à propos du « foulard » islamique vient de connaître un nouveau rebondissement avec la réforme du Conseil des sages de la laïcité voulue par Pap Ndiaye.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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La nouvelle querelle de la laïcité qui s’est ouverte à l’école en 1989 à propos du « foulard » islamique vient de connaître un nouveau rebondissement avec la réforme du Conseil des sages de la laïcité voulue par Pap Ndiaye. En dépit du consensus sur les grands principes, la neutralité de l’État et la liberté de conscience en matière de religion, la France est partagée entre deux interprétations de la laïcité : aux « laïcards », partisans face aux pressions islamistes d’une « laïcité de combat » s’opposent les « tolérants » qui défendent « une laïcité apaisée », accommodante et « inclusive », soucieuse avant tout de ne pas « stigmatiser » les musulmans. Pap Ndiaye appartient au second camp et le fait aujourd’hui savoir. Sa nomination, deux ans après l’assassinat de Samuel Paty, un an après la loi contre le séparatisme religieux, fut pour le « président en même temps » une manière de hisser le drapeau blanc : fini la fermeté, place à la laïcité pacifiste !

Les deux camps ont de bons arguments à faire valoir. Depuis 30 ans, l’histoire intellectuelle et politique de la laïcité a été revisitée, au service d’un débat de qualité.  La politique n’est cependant pas faite exclusivement de débats. On attend aussi de État qu’il sache prendre des décisions et tenir une ligne cohérente. Jean-Michel Blanquer, conscient des divisions internes sur le sujet, avait pris l’heureuse initiative de mettre en place un « Conseil des sages de la laïcité » cohérent, chargé d’éclairer et d’accompagner les acteurs du système éducatif dans la mise en œuvre de la ligne de fermeté qui est officiellement celle du Ministère de l’Éducation Nationale depuis la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école.

La question des signes religieux s’est posée du fait de l’irruption soudaine et massive de jeunes musulmanes voilées dans les établissements scolaires. Entre tolérance et fermeté il fallait d’urgence choisir. Trente ans avant Emmanuel Macron, des gouvernements hésitants ont d’abord tenté d’explorer la voie du « en même temps ». Sans succès. Le début des années 2000 a constitué un tournant. Confrontés au réel, nombre d’intellectuels et de politiques ont alors été conduits à changer de position sur le sujet, ce dont témoignent notamment les travaux de la Commission Stasi, la commission à laquelle Jacques Chirac avait demandé de réfléchir à « l’application du principe de laïcité dans la République ». Pluraliste dans sa composition et d’abord partagée sur la question du voile, la commission s’était ensuite quasi-unanimement ralliée à la position prohibitionniste, à l’exception notable de l’historien Jean Baubérot, devenu depuis le chef de file des partisans de la tolérance.

La commission Stasi fit un constat simple : face à la pression islamiste, l’enjeu du débat sur la mise en œuvre du principe de laïcité avait de toute évidence changé : « La commission, est-il écrit dans le rapport remis fin 2003 au Président de la République, après avoir entendu les positions des uns et des autres, estime qu’aujourd’hui la question n’est plus la liberté de conscience, mais l’ordre public ». Qui ne voudrait d’une laïcité apaisée accordant, sous l’autorité d’un État neutre, une pleine liberté d’expression à des communautés religieuses converties au libéralisme et au rationalisme ? Or, en matière de port des signes religieux à l’école, le constat est qu’il ne peut exister ni liberté réelle, en raison de la pression qui s’exerce sur les filles dans les quartiers islamisés, ni même de possibilité d’une égalité réelle entre les religions, ainsi que le soulignait le rapport  de la commission Stasi : « Lors de l'audition de 220 lycéens par la commission, l'un d'entre eux a déclaré, sans que personne ne le démente, qu'aucun élève juif ne pourrait porter la kippa dans son lycée sous peine d'être immédiatement «lynché». Face à ces violences, des élèves ont dû être « exfiltrés » des écoles publiques dans lesquelles ils étaient inscrits et transférés dans d’autres. »

Le diagnostic sur la réalité des perturbations générées par l’intrusion d’une conception agressivement prosélyte et militante de la religion fut conforté l’année suivante par le rapport d’un inspecteur général de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, rapport consacré aux « signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » qui fit sensation. Le débat sur la laïcité à l’école, de fait, porte moins sur les principes que sur ce diagnostic contesté par les partisans de la tolérance, lesquels pointent le risque d’une stigmatisation des musulmans. Le contre-discours, tenu par Jean Baubérot, puis par l’Observatoire de la laïcité (2013-2021) dirigé par Jean-Louis Bianco, consiste à relativiser le péril islamiste et à entretenir une rhétorique victimaire à propos des musulmans afin de promouvoir l’orthodoxie d’une interprétation libérale de la laïcité, considérée comme l’ultime rempart de la tolérance.

Baubérot, l’opposant de la commission Stasi, est aujourd’hui ministre de l’Éducation nationale. Si du moins l’on en croit le journal Le Monde, selon lequel Pap Ndiaye apparaît comme « proche de la conception de la laïcité étudiée par les universitaires Jean Baubérot ou Valentine Zuber. » Le ministre de la République Pap Ndiaye doit donc assumer la mise en œuvre d’une loi, la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, que l’intellectuel Pap Ndiaye considère être l’expression d’une discrimination stigmatisante à l’égard des musulmans. La position est inconfortable, alors le ministre louvoie, manigance, entreprenant de neutraliser le « Conseil des sages de la laïcité » mis en place par son prédécesseur.

Par-delà les nominations et la restriction des pouvoirs du conseil, le plus significatif est la redéfinition de la mission confiée à celui-ci, qui constitue un véritable évidement. Jean-Michel Blanquer voulait une instance opérationnelle, focalisée sur « la mise en œuvre du principe de laïcité ». Son but étant d’armer les acteurs du système éducatif face à un prosélytisme religieux militant, il chargeait en conséquence le nouveau conseil de « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité et d’enseignement laïque des faits religieux. » Pap Ndiaye fait le choix inverse du désarmement unilatéral, noyant cet objectif opérationnel dans la confusion intellectuelle : d’après l’arrêté du 13 avril, en effet, le conseil est désormais chargé d’étudier « les conditions de respect et de promotion des principes et valeurs de la République à l'école et dans les accueils collectifs de mineurs, notamment la laïcité, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, la promotion de l'égalité des sexes et la lutte contre les discriminations. ». Peace, love and tolerance, la mission du Conseil des sages sera désormais de prêcher dans les nuées une morale républicaine consensuelle.

S’il y a pourtant une leçon à retenir du drame vécu par Samuel Paty, c’est bien le constat que l’éducation nationale n’est toujours pas en ordre de bataille et demeure divisée face à la nébuleuse islamiste. Chacun peut désormais prendre connaissance du récit précis et détaillé de ce tragique événement, grâce notamment à l’excellent livre de Stéphane Simon, documenté et factuel, Les derniers jours de Samuel Paty. L’affaire est le parfait symbole de l’irénisme de la société française, prompte à instruire son propre procès face aux accusations malveillantes de racisme et de discrimination provenant de la mouvance islamiste. La rhétorique victimaire du racisme institutionnel et de la discrimination systémique, rhétorique que Pap Ndiaye, avant de devenir ministre, a lui-même contribué à promouvoir, est l’arme dont se servent les islamistes dans leurs attaques contre les institutions républicaines. Le prétexte peut être mince, voire nul. En l’occurrence, tout a commencé avec les affabulations d’une élève, perturbatrice notoire, alors même que le cours de Samuel Paty sur la liberté d’expression s’était déroulé tout à fait normalement, sans incident, qui plus est en l’absence de cette élève par qui le scandale est venu.

Pendant que l’offensive islamiste se déployait, la salle des profs se divisait, précisément au sujet de la « bonne » conception de la laïcité. Les collègues de Samuel Paty qui se sont désolidarisés n’ont fait que reprendre à leur compte les éléments de langage des propagandistes de la laïcité apaisée, pour lesquels la République est toujours suspecte de n’être pas assez (tolérante et inclusive) et d’être trop (stigmatisante et discriminatoire): « Non seulement, écrivit l’un d’entre eux dans un message envoyé sur la messagerie interne du collège, notre collègue a desservi la cause de la liberté d’expression, il a donné des arguments à des islamistes et il a travaillé contre la laïcité en lui donnant l’aspect de l’intolérance, mais il a aussi commis un acte de discrimination : on ne met pas des élèves dehors, quelle que soit la manière, parce qu’ils pratiquent telle ou telle religion ou parce qu’ils ont telles ou telles origines, réelles ou supposées. Mon éthique m’interdit de me rendre complice de ce genre de choses »

Après l’assassinat de Samuel Paty, on pouvait espérer un sursaut. Il eût fallu à tout le moins persévérer dans la voie choisie par Jean-Michel Blanquer : former les acteurs du système afin de les familiariser avec la ligne de la fermeté décidée en 2004, de sorte que l’institution puisse opposer une plus grande cohésion aux attaques et à l’entrisme, non de l’islam, mais de l’islam militant, prosélyte et agressif. Le sentiment dominant aujourd’hui, malheureusement, est la trouille, qui est une puissante motivation en faveur de la recherche de « l’apaisement » au moyen de « la tolérance ». La tentation du pacifisme est sans doute inéluctable. Son échec également.

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