Osint : et si X était le lieu le plus utile pour trouver des informations (À CONDITION de savoir chercher les bons comptes)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le problème de X est qu’il a une interface graphique extrêmement simple, mais c’est un des outils les plus difficiles qui existent.
Le problème de X est qu’il a une interface graphique extrêmement simple, mais c’est un des outils les plus difficiles qui existent.
©Chris Delmas / AFP

Utilité publique

X (anciennement Twitter) est l'endroit où l'on trouve une multitude de spécialistes de l'OSINT (renseignement de sources ouvertes).

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : X (anciennement Twitter) est-il un bon réseau social pour trouver de l’information fiable ?

Fabrice Epelboin : Le problème de X est qu’il a une interface utilisateur extrêmement simple, mais c’est un des outils très complexes à utiliser pour en tirer quelque chose d’utile et d’intelligible si tant est qu’on souhaite en faire un outil de veille efficace. Il faut suivre les bons comptes, interagir en anticipant l’impact que cela aura sur l'algorithme - qui est par ailleurs le seul parmis les réseaux sociaux à être public, en les likant et interagissant avec certains comptes à bon escient. Suivre les bonnes personnes, cela ne veut surtout pas dire de se contenter des comptes avec lesquels on est en affinité, bien au contraire, c’est le piège le plus efficace pour se retrouver dans une bulle de filtre et être victime de ce phénomène de polarisation de l’opinion publique qui touche toutes les sociétés occidentales. A la différence de Facebook, sur Twitter, ce sont avant tout les utilisateurs qui s’enferment dans une bulle de filtre, l'algorithme joue un rôle secondaire dans ce processus. Diversifier les comptes suivis, c’est la meilleure façon d’éviter l’effet bulle de filtre et de mettre en place une veille efficace, au prix d’un flux d’information qui reflète une société qui n’est pas agréable à regarder en face et au sein de laquelle prolifère la violence et la désinformation. 

La première chose à faire selon moi c’est de suivre une diversité d’opinions et d’envisager Twitter pour ce qu’il est : un outil de veille. Se cantonner dans un entre-soi militant, c’est s’assurer d'être victime des bulles de filtre et c’est se rendre bien plus vulnérable que les autres aux fake news, vous serez par ailleurs victime de ce que les sociologue nomment le “bandwagon effect”, et finirez par être persuadé d’avoir raison quel que soit votre point de vue, à force de n’être confronté qu’à des point de vue semblable aux vôtre, même si vos opinions sont ultra minoritaires et totalement fausses. Twitter doit être utilisé comme un thermomètre de la société. Si vous voulez utiliser un réseau social pour de l’entertainment, Instagram est infiniment supérieur à Twitter.  

Paramétrer, en quelque sorte, son compte Twitter, ce qui consiste pour l’essentiel à choisir les comptes que l’on va suivre, est un très long travail qui se fait par couches successives, afin d’avoir une panoplie de comptes à suivre intéressant et qui reflètent la diversité des opinions et des points de vues qu’on va trouver sur une thématique précise. Plus on cherche à faire de la veille sur différents sujets, plus ce travail est long et complexe et demande de prendre du recul sur le résultat final, le flux d’informations qui en résulte. Suivre des comptes qui diffusent une idéologie sanguinaire ou des fake news n’est pas nécessairement un problème si vous les avez identifiés comme tels. Sur la guerre en Ukraine, par exemple, certains comptes qui promettent de fournir une veille, et qui en proposent une de qualité par ailleurs, sont tenus par des révisionnistes qui cherchent à réhabiliter Stepan Bandera, l’équivalent local de Hitler. Si vous en êtes averti, leur veille est par ailleurs intéressante, mais il convient de prendre du recul sur le biais qu’ils cherchent à introduire dans la lecture que vous ferez du conflit ukrainien. 

Au bout de combien temps peut-on espérer avoir très souvent de l'information fiable ?

Pour avoir une base d’informations solides sur X, cela prend un certain temps, cela peut se compter en années, et c’est un travail continu, qui doit s’envisager comme itératif. Ce n’est pas un outil qui peut vous fournir de l’information du jour au lendemain, et dans un monde où les médias propagent une multitude de fake news et où les militants mettent en avant n’importe quelle information pour peu qu’elle servent le narratif qu’ils cherchent à imposer, il ne faut pas s’attendre à y trouver une vérité révélé, c’est à l’utilisateur final de faire le travail que faisait naguère les journalistes : trier, croiser les sources, contextualiser l’information. Il n’existe par ailleurs pas de mode d’emploi proprement dit. Il faut comprendre les dynamiques de flux organisées par l’algorithme, qui est, rappelons-le, public et largement commenté par une communauté de développeurs, une situation unique dans le monde des réseaux sociaux, et si on se sert de Twitter pour faire de la veille sur une multitude de thématique, on pourra tirer parti des listes afin de les organiser en silo. Par ailleurs, il faut bien comprendre que l'algorithme, comme pour tous les réseaux sociaux, est pensé pour augmenter votre temps d’usage de la plateforme et vous donnera à voir ce qui vous fera rester sur Twitter. Si vous avez pour habitude de passer des heures à harceler des partisans du camp opposé au vôtre, il vous en fournira et vous vous enfermerez dans un flux qui optimisera la conflictualité. 

Ceci dit, désactiver l'algorithme est très simple sur Twitter, il suffit de passer de l’onglet ‘pour vous’ à l’onglet situé juste à côté d’‘Abonnements’, et c’est réglé. Si les images violentes vous heurtent et que vous voulez rester à l’abri de la violence du monde, ce qui est tout à fait compréhensible, il y a une option pour les cacher dans les paramètres de Twitter qui est relativement efficace et diminue fortement votre exposition à de tels médias. Il faut juste comprendre comment tout cela fonctionne.  

Sur X, les Community notes fournissent un contexte ou débunkent l’information, ce qui marche plutôt bien et qui a surtout l’avantage de pouvoir monter en charge en cas de crise, ce qui n’est pas du tout le cas pour les autres réseaux sociaux qui ont pris le parti d’avoir une modération réalisée par des ressources humaines centralisées qui ne peuvent pas démultiplier leur force de travail du jour au lendemain.  

X est par ailleurs l’endroit où l’on va trouver une multitude de spécialistes de l’OSINT, qui constituent une vaste communauté où se côtoient amateurs et professionnels réunis par une approche scientifique qui rend ses débats et ses analyses dénués de biais partisans. Leurs travaux, souvent réalisés de façon collaborative et en temps réel, qui sont la plupart du temps accompagnés d’explications détaillées et pédagogiques, sont aujourd’hui indispensables pour comprendre des évènements en cours.

Et X fut bien utile dans l’affaire de l’hôpital frappé à Gaza...

Le bombardement de cet hôpital à Gaza a été analysé dans les heures qui ont suivi, ce qui n’a pas empêché les fake news de circuler mais ce qui aurait dû éviter, si le climat était sain, de retrouver ces fake news dans les plus prestigieux titres de presse de la planète, comme la BBC ou Le Monde. Baptiste Robert, hacker français, fait beaucoup d’OSINT. Quand il le fait, comme la plupart des membres de la communauté OSINT, il le fait de manière honnête. Pour n’importe quel citoyen aujourd’hui, il est important d’apprendre les bases de l’OSINT, pas nécessairement pour en faire, mais pour être capable de suivre leurs analyses. C’est une communauté très ouverte et particulièrement avide de partager auprès du plus grand nombre son savoir-faire, il serait dommage de ne pas en profiter.

Les « sources ouvertes » sont très développées en France et Twitter est pour cette communauté la plateforme de référence, cela permet à des professionnels comme des amateurs de travailler ensemble car tous partagent une méthodologie rationnelle et scientifique. Il est aisé, au sein de cette communauté, de porter la contradiction à un collègue dès lors que cela est fait sur des bases rationnelles. C’est également une activité ludique, une sorte de petit challenge intellectuel du quotidien. Elle est pratiquée en large partie par des amateurs, tout comme les échecs.

En temps de crise, cela peut s’avérer indispensable pour distinguer le vrai du faux, car les politiques ou les militants vont pousser n’importe quelle information pour peu qu’elle corresponde à leur narratif.

La BBC, qui a partagé ces fake news, a pourtant une équipe d’OSINT (sources ouvertes) de très bonne facture et ce depuis le Printemps arabe où elle s’est distinguée par son extrême professionnalisme. Cela fait plus de dix ans qu’ils ont cela en interne. Ce n’est pas un manque de ressources, mais une défaite pour le journalisme.

Au siècle dernier, pour trouver l’information, on allait trouver les bons journalistes, et la plupart des gens faisaient confiance aux marques médias. Aujourd’hui, l’honnêteté n’est pas de mise. Ni la BBC ni Le Monde ne sont revenus immédiatement sur leurs fake news, Le Monde a publié deux jours plus tard un demi-démenti derrière un paywall, se gardant bien d’expliquer son erreur dans le titre ou le chapô de l’article qui était accessible à ceux qui n’étaient pas abonnés.

Suite à ces fake news, des synagogues ont été attaquées, en Tunisie et en Allemagne. Cela a des répercussions dans le monde réel et il n’y a pourtant aucune sanction vis-à-vis de ceux qui colportent ces fake news dans les médias, ces derniers se contentant de pointer du doigt les réseaux sociaux et tout particulièrement Twitter, leur bête noire du moment, ce qui est d’autant plus risible que la plupart des informations véhiculées par la presse à propos de Twitter sont des fake news. La dernière en date est celle sur Elon Musk, qui d’après les médias officiels, voudrait interdire Twitter en Europe. Or cette fake news a été diffusée par Business Insider, en guerre avec Elon Musk depuis plusieurs mois. Personne n’a pris en compte cette guerre entre les deux, seulement parce que cela allait dans le sens du narratif des médias. Personne n’a donné la moindre visibilité au démenti publié par Elon Musk. Là encore, on assiste à une défaite du journalisme, ce qui est profondément anxiogène sur ce que cela dit de l’état de notre démocratie.

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