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Objectif Elysée : le succès et l’ambition de Marie-France Garaud, la conseillère de Georges Pompidou.
Objectif Elysée : le succès et l’ambition de Marie-France Garaud, la conseillère de Georges Pompidou.
©ROBERT DELVAC / AFP

Bonnes feuilles

Olivier Faye publie « La conseillère » aux éditions Fayard. Elle a été la femme la plus puissante de la France contemporaine, mais personne n’a jamais raconté son histoire. Pendant près d’une décennie, Marie-France Garaud a régné depuis la coulisse sur la vie politique de notre pays. Conseillère de Georges Pompidou à l’Élysée, elle faisait et défaisait les carrières dans son bureau. Avec son alter ego, Pierre Juillet, Garaud jette son dévolu sur Jacques Chirac, un jeune ministre ambitieux au caractère incertain, avec l’idée d’en faire un président à son image. Extrait 2/2.

Olivier Faye

Olivier Faye

Olivier Faye est journaliste au service politique du Monde, chargé du suivi de l’Elysée.

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Ce 27  avril 1969, la réplique du séisme de Mai 68 vient de frapper le chef de l’État : il a perdu « son » référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. La question n’était pas tant de savoir si les Français approuvaient cette révision constitutionnelle, mais de lui donner un blanc-seing. Stop ou encore ? La réponse est nette : 52,4 % des Français disent « non » à de Gaulle. Il en tire les conséquences  dès le lendemain en se retirant du pouvoir après onze ans de règne. La Ve République est orpheline. Elle a moins de deux mois pour se trouver un successeur.

Il faut se figurer ce qu’est le paysage de la droite en cette période charnière, un véritable bestiaire d’anciens résistants, qui vous exhibent leurs faits de gloire auprès du Général comme d’autres leurs tatouages. Il y a ceux qui, comme Michel Debré, Pierre Messmer, Jacques Chaban-Delmas ou Roger Frey, cumulent les honneurs de la guerre et de la politique. Et ceux, comme Georges Pompidou, qui sont restés à la vie civile entre 1940 et 1944, mais ont ensuite accompagné de Gaulle dans toutes les étapes de son parcours depuis la Libération. Réfractaire aux partis, ce dernier a laissé ses camarades animer pour son compte un mouvement devenu au lendemain des événements de Mai  68 l’UDR, Union pour la défense de la République. Une formation habituée à occuper le pouvoir depuis 1958 et à soutenir son chef sans états d’âme. C’est elle qui place sur une rampe de lancement la candidature de Georges Pompidou pour l’élection de  1969. L’homme du Cantal a pour lui la légitimité de six années d’exercice du pouvoir à Matignon.

Face à lui, Valéry Giscard d’Estaing, qui a passé quatre ans au ministère des Finances, fait préparer des affiches. Il a des fourmis dans les jambes et ambitionne de porter haut les couleurs de son parti centriste, les Républicains indépendants. Un mouvement allié aux gaullistes, mais qui charrie en son sein de farouches contempteurs du Général, coupable à leurs yeux d’avoir laissé l’Algérie obtenir son indépendance. Certains groupuscules d’extrême droite, comme Ordre nouveau, placent d’ailleurs leurs militants comme petites mains des campagnes giscardiennes. Mais l’Auvergnat, âgé de 43 ans, renonce à la dernière minute à se présenter : trop tôt, trop jeune, trop tendre.

De son côté, le président du Sénat, Alain Poher, qui se plaît dans ses habits de président de la République par intérim, déclare sa candidature à la tête des démocrates-chrétiens du Centre démocrate. Il représente la menace la plus sérieuse pour Pompidou, qui n’a pas grand-chose à craindre, en revanche, du communiste Jacques Duclos ou du socialiste Gaston Defferre, eux aussi lancés dans la course.

Mais l’ancien locataire de Matignon ne parvient pas à faire l’unité de son camp d’un coup de clairon. Le ministre de la Justice, René Capitant, songe à se présenter pour lui barrer la route. De Gaulle lui demande de s’abstenir. Il ne veut pas voir ses héritiers se déchirer.

Retiré en Irlande, le grand homme rumine son divorce avec les Français. Il ne concédera pas le moindre signe de soutien à Pompidou. Pendant la campagne sur le référendum, son ancien bras droit a brillé par son absence, regardant en silence les Français dévisser les boulons de la statue du Commandeur. Les stigmates laissés par Mai 68 dans leur relation restent bien visibles.

Les bureaux de Pompidou, boulevard de La Tour-Maubourg, se sont transformés en siège de campagne. Le candidat reçoit chaque semaine les responsables de l’UDR et des Républicains indépendants, afin d’élargir son socle vers le centre. Chaque réunion d’état-major est prétexte à sortir une bonne bouteille de whisky. Pierre Juillet gère les finances de la campagne, en tandem avec Jacques Chirac. Jacques Foccart, le tout-puissant conseiller Afrique du Général, s’est également mis au service de la candidature Pompidou. Le SAC (Service d’action civique), la police parallèle gaulliste qu’il a fondée, aussi. Marie-France Garaud, elle, entretient les réseaux politiques du candidat parmi les parlementaires. Elle distribue par ailleurs quelques coups.

La conseillère a eu vent d’un sondage, qui circule sous le manteau, donnant Alain Poher en tête. Une catastrophe. Elle veut empêcher sa publication.

Garaud se rend au très chic Polo de Paris, dans le bois de Boulogne, où elle est sûre de trouver le patron de l’IFOP, Roland Sadoun, qui passe ses journées au « cercle », comme disent ses adhérents. Un lieu où la courtoisie est de mise. C’est mal connaître la conseillère, qui fond sur sa proie, affalée dans un canapé. « Vous auriez intérêt à retenir la publication de ce sondage. N’oubliez pas que vous parlez à la conseillère du futur président de la République ! » avertit-elle, le doigt pointé sur Sadoun. Mais le sondeur résiste : son enquête, répond-il, a été payée. Il se doit d’honorer la commande. Garaud s’emporte : « J’espère que vous tomberez, que vous prendrez une balle dans l’œil ! »

Sadoun, estomaqué, la regarde tourner les talons et s’en aller d’un pas décidé. La politique est un milieu violent, et Marie-France sait en manier les codes à merveille.

La conseillère est prête à tous les stratagèmes pour promouvoir la candidature de son champion. Une biographie de Pompidou, signée Gérard Aubray, sort en librairie à quelques semaines du scrutin. L’ouvrage, qui fourmille de détails et de photos, ouvre une fenêtre sur l’intimité de l’ancien Premier ministre, cet « homme du commun », comme il se définit lui-même, qui a « le pied solidement posé dans la terre paysanne ». L’outil de communication est réussi, mais le monde de l’édition comme de la presse s’interroge : qui est donc ce Gérard Aubray, auteur jusque-là inconnu ? Nul ne connaît son visage, ni le son de sa voix. Il ne se déplace pas dans les librairies ou à la radio pour faire la promotion de son livre. Le voile sur ce mystère ne sera levé que des années plus tard : Aubray n’existe pas. Le texte a été écrit par les conseillers de Georges Pompidou, au premier rang desquels Pierre Juillet et Marie-France Garaud.

Leur candidat s’est positionné dans cette campagne comme une version renouvelée du général de Gaulle. Un pari gagnant. Le 15  juin 1969, il l’emporte dans un fauteuil au second tour face à Alain Poher avec 58 % des voix. C’est la liesse à La Tour-Maubourg. Le champagne est débouché. La famille gaulliste se congratule autour de petits fours préparés par Lenôtre.

Quatre jours plus tard, l’équipe se retrouve à l’Élysée pour la cérémonie d’investiture du nouveau chef de l’État. La fête est retransmise en direct à la télévision. Comme le Général avant lui, Georges Pompidou enfile le collier de grand-croix de la Légion d’honneur sur la lourde moquette rouge du palais. Dans l’assistance, les femmes se comptent sur les doigts d’une main. Il est facile de les repérer  : le protocole les oblige à porter un chapeau. Anne-Marie Dupuy se tient debout, fière, non loin d’Édouard Balladur, de Michel Jobert et de Pierre Juillet. Les mamelouks du nouveau président triomphent. Les voilà promus au plus haut niveau de l’État.

Marie-France Garaud, elle, n’apparaît pas à l’image. La conseillère préfère se tenir loin des caméras. La plus grande force du diable, c’est de faire croire qu’il n’existe pas.

A lire aussi : Le coup de pouce de l’histoire pour Pierre Juillet et Marie-France Garaud lors de Mai 1968 

Extrait du livre d’Olivier Faye, « La conseillère », publié aux éditions Fayard

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