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Nouvelle guerre froide avec la Chine : l’Occident affaibli par les combats progressistes radicaux
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Symptômes d’un nouveau conflit

A la différence de l’époque de la guerre froide avec l’URSS, les sociétés civiles occidentales ont beaucoup perdu en cohésion. Et en sens commun.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Que nous le voulions ou non, une nouvelle Guerre froide, avec la Chine cette fois, a commencé. Récemment, l’ambassade de Chine a publié sur son compte twitter une image représentant la mort vêtue du drapeau des USA et semant le désordre à Hong Kong. D’une manière générale, les ambassades de Chine dans le monde se livrent depuis quelques semaines à une propagande systématique pour exonérer leur pays de toute responsabilité dans la pandémie du COVID 19, affirmer qu’en fait ce sont les Etats-Unis qui ont provoqué une catastrophe planétaire et critiquer systématiquement le système occidental. Jean-Yves Le Drian a même été obligé de convoquer l’ambassadeur de Chine à Paris après que l’ambassade avait publié des messages insultants pour la France, accusant par exemple les personnels de nos maisons de retraites d’avoir fui leurs responsabilités et laissé mourir des personnes âgées atteintes par le virus. 

La nouvelle Guerre froide n’est pas qu’une question de propagande.  A Hong Kong, la répression policière des forces pro-démocratiques devient de plus en plus féroce, tandis que l’Occident  - sauf Donald Trump - détourne les yeux. Il y a quelques jours, les députés des partis opposés à « l’ordre de la Chine continentale » se sont vu interdire l’hémicycle de la Ville, le temps d’une série de votes destinés à renforcer la répression et absorber un peu plus Hong Kong dans la République Populaire - au mépris des accords internationaux signés par Pékin. On peut sans se tromper affirmer qu’une fois Hong Kong soumise, la Chine continentale accentuera la pression qu’elle exerce sur Taïwan, au risque de faire monter la tension avec les USA, défenseurs de facto de ‘l'indépendance de l’île. Enfin, dernière caractéristique d’une Guerre froide, les relations économiques entre la Chine, l’Europe et les Etats-Unis vont se distendre. De nombreux investissements ou des implantations d’usines en Chine vont être remis en cause. Cela conduira le régime communiste chinois, en interne, à durcir encore le contrôle qu’il exerce sur la société; ce qui entraînera plus de critiques de la part de l’Occident. 

Nous entrons dans cette Guerre froide à rebours de la précédente

A vrai dire, nous allons assister à un autre phénomène typique de la Guerre froide, mais cette fois-ci du point de vue occidental. La dénégation, la tentation de nier la réalité des choses et de trouver de bonnes raisons au pouvoir chinois. Le phénomène sera même plus marqué qu’à l’époque du bras de fer permanent avec l’URSS parce que le progressisme, petit cousin chétif du marxisme, domine une partie de nos élites et de nos médias, bien plus que cela fut le cas durant la Guerre froide. La propagande du Parti Communiste Chinois va trouver suffisamment de relais culturels et journalistiques pour affaiblir l’effort de lucidité. Il est évident que la Chine a menti sur son nombre réel de victimes de la pandémie; des informations sur un nécessaire décompte en centaines de milliers commencent à circuler; mais il sera farouchement nié par une partie de nos médias. De même, il y aura de grandes difficultés à rendre réelles les relocalisations de nos usines en Europe ou aux Etats-Unis tant il est vrai que les Chinois ont eux-mêmes beaucoup investi dans nos pays et menaceront de représailles les pays qui désinvestissent de chez eux.  

En fait, nous entrons dans une nouvelle Guerre Froide à rebours de la précédente. Nos dirigeants étaient convaincus jusqu’à récemment, de la convergence entre les deux systèmes, Occident mondialisé et Chine. C’est quelque chose qui est allé même bien au-delà de la théorie (à la différence des années 1970 où il n’y avait pas de réelle convergence, au-delà des mots, entre la social-démocratie européenne et les régimes de type soviétique). En effet, la Chine a réellement fasciné, ces trois dernières décennies, un Occident dont les élites cherchaient à se libérer de la notion de souveraineté nationale. Nos dirigeants ont eu tendance, en voulant échapper au cadre national sans lequel il n’y a pas de démocratie, à multiplier les occasions d’organiser des consultations populaires dont ils n’avaient pas l’intention de tenir compte en fait (pensons au sort des référendums sur l’appartenance à l’UE). Est-ce si éloigné de la notion chinoise de « bolchevisme consultatif » - les consultations ne sont que des simulacres, alors que tout est décidé par le Parti ?  Un Occident qui avait vite oublié les répressions de juin 1989 place Tian An Men, à Pékin, et dans 400 autres villes chinoises, a été finalement heureux de travailler avec le pouvoir chinois au sein des grandes instances de construction du mondialisme que sont devenues les organisations internationales. Et pendant des années nous n’avons pas voulu voir que la Chine, au sein de l’OMC, de l’OMS ou d’autres instances, ne respectait pas plus l’esprit d’une coopération internationale équilibrée que ne le faisait en son temps l’Union Soviétique. 

Un Occident qui ne croirait plus à la démocratie ne pourrait pas gagner une nouvelle « Guerre froide » ? 

Ce qui nous fragilise le plus, c’est notre tendance à la « post-démocratie ». En même temps que nos dirigeants sont devenus « postnationaux », ils ont eu tendance à vider la démocratie de sa substance. Dans les années 1950, c’est un Occident profondément démocratique qui s’est organisé pour contenir l’Union Soviétique et ses satellites. aujourd’hui, nos démocraties sont mal en point. Elles ne sont pas seulement rongées par les inégalités sociales; il y a rupture du pacte de confiance entre dirigeants et dirigés. Les élites traitent de populistes des mouvements qui veulent réinstaller la démocratie dans le cadre national. Nos dirigeants le font avec une arrogance qui rappelle la façon dont les régimes inspirés par le marxisme se moquent de la démocratie formelle ou de l’esprit petit-bourgeois. Nous aurons du mal à mobiliser pour un effort de « Guerre froide » nos sociétés - par comparaison avec les années 1950 ou 1980 - non seulement parce que leur dynamisme démographique est déclinant mais parce que la croyance dans la démocratie, chez nos dirigeants, est très affaiblie. Au fond, tous les soixante-huitards initialement maoïstes ou trotzkistes qui ont ensuite fait carrière en se recyclant dans le néo-libéralisme clintonien ou le néo-conservatisme à la sauce Bush, s'accommodaient fort bien de l’idée d’une gouvernance mondiale partagée avec Pékin dans une pratique commune du « despotisme éclairé ». 

C'est tout cela qui va devoir changer, sous la pression des circonstances dans les mois et les années qui viennent. Non pas qu’il s’agisse d’autre chose qu’une « Guerre froide ».  Il s’agit de défendre nos intérêts ; il sera nécessaire de revenir avec Pékin à une politique de stricts équilibres (ce qu’avait commencé Donald Trump avant la crise du COVID 19). Il s’agira de constituer une alliance solide permettant d’endiguer d’éventuelles poussées agressives de la Chine. Cela commence nécessairement par une réconciliation avec la Russie - bête noire de tous les progressistes. Et il sera nécessaire, enfin, de brandir haut le drapeau de la démocratie - sans tomber dans le piège de l’ingérence. En un mot, il faut renouer avec le subtil composé qui a caractérisé la stratégie gagnante du « monde libre » face à l’URSS. Intraitable sur nos intérêts de puissances mais sans agressivité ; prêchant les droits de l’homme et la démocratie mais sans commettre l’erreur de l’ingérence dans les affaires chinoises. Offrant au monde un élément d’alternative au contrôle total de la société par les data que pratiquent désormais les Chinois. Soucieux de faire repartir l’économie de nos pays pour être moins dépendants de Pékin. 

La tâche est immense. Le démarrage sera douloureux. Mais retrouver la lucidité sur la Chine, réapprendre le combat des démocraties nationales efficaces, pugnaces et fières de leurs valeurs que nous étions encore dans les années 1980, voilà une cause mobilisatrice dans les années à venir. Et qui aidera à revigorer nos sociétés.  

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