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Nouvelle attaque d'Église en Egypte : bilan d'une année noire pour les Eglises d'Orient
©Reuters

Martyrs

Vendredi, un homme armé a attaqué une église dans la banlieue sud du Caire. Alors que la guerre contre l'Etat islamique semble prendre fin en Irak et en Syrie, la poursuite des persécutions des Chrétiens d'Orient est inquiétante.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé, historien, spécialiste de l’histoire du christianisme. Il est rédacteur dans la revue de géopolitique Conflits. Dernier ouvrage paru Géopolitique du Vatican (PUF), où il analyse l'influence de la diplomatie pontificale et élabore une réflexion sur la notion de puissance.

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Atlantico : Vendredi 29 décembre, dix chrétiens ont été tués dans une Église en Égypte. Alors que la guerre semble prendre fin en Irak et en Syrie, faut-il s'inquiéter de la poursuite des persécutions des Chrétiens d'Orient ? L'année 2017 a-t-elle encore été une année noire pour eux ?

Jean-Baptiste Noé : 2017 se termine sur des perspectives d’espoir, les premières depuis de nombreuses années. La victoire contre l’État islamique, la libération des zones qu’il contrôlait par l’armée irakienne, la stabilisation de la Syrie ouvrent des perspectives de paix dans la région. Les chrétiens, comme les autres habitants de cette zone, peuvent enfin envisager de revenir chez eux et de reconstruire leur pays. La guerre n’est pas encore complètement terminée et de nombreux défis restent à surmonter, notamment la réconciliation des groupes qui se sont opposés. Mais pour la première fois,il est possible d’envisager sereinement l’année à venir. Reste le problème égyptien, qui est à la fois inséré dans les défis du Moyen-Orient, mais aussi spécifique à l’Égypte. L’attentat de ce vendredi est un de plus parmi de nombreux attentats qui ont frappé les chrétiens comme les musulmans. Rappelons qu’une attaque contre une mosquée située dans le Sinaï a fait plus de 300 morts le 25 novembre dernier. Ce ne sont pas spécifiquement les chrétiens qui sont attaqués, mais tous les opposants et toutes les personnes estimées ennemies par les islamistes.

L’Égypte est gangrenée par les Frères musulmans et le gouvernement en place n’arrive pas à éradiquer ces groupes. Le président Al-Sissi a beau faire usage de la force et se montrer très ferme, la police et l’armée n’arrivent pas à éviter les attentats. Le fait que celui-ci ait eu lieu au Caire, donc dans la capitale, montre que l’État est débordé. Ce sont certes des chrétiens qui sont visés, mais également tous les Égyptiens. Le but recherché par les islamistes n’est pas seulement la persécution des chrétiens, mais la déstabilisation du pays.  

Faut-il s'attendre aujourd'hui à une accalmie, les zones de conflits s'étant fortement réduites ?

Les zones de guerre se sont déplacées. La paix commence à émerger en Irak et en Syrie, mais il faut encore la consolider et la confirmer. Mais l’islamisme n’est pas mort et l’État islamique non plus. Les métastases se sont déployées dans le Grand Moyen-Orient, dans une vaste zone appelée Chaosland par les géopolitologues. Le Sahara est infiltré, dont le Mali, et l’islamisme descend vers le sud : Nigéria, Sénégal, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Kenya. L’infection islamiste contamine les conflits ethniques en cours engendrant une déstabilisation de la bande sud du Sahel. Cette région est à surveiller de près pour l’année 2018. L’Algérie et la Libye n’ont pas résolu leur crise djihadiste ni l’Égypte.

À l’Est, c’est l’Asie qui commence à poser de sérieux problème. Le rêve du califat islamique s’étend en Chine, dans la région du Xinjiang ; une région qui entretient de grandes porosités avec le Pakistan et l’Afghanistan. Les armes, les financements et les hommes circulent. Le Bangladesh est lui aussi infiltré. Dacca, la capitale, a connu des attentats. Les Rohingyas, dont on parle beaucoup en ce moment, se laissent séduire par l’islamisme. Certains Rohingyas mènent une lutte armée et tentent de faire un califat islamique dans le golfe du Bengale, assurant la jonction avec le Xinjiang. C’est une des raisons pour lesquelles ils sont persécutés par la junte birmane.

Aux Philippines, l’islamisme est en pleine forme. Les journaux n’ont quasiment pas parlé de la bataille de Marawi, ce qui est bien dommage. Cette ville de 200 000 habitants est située dans l’île de Mindanao. Pendant cinq mois, du 23 mai au 23 octobre, s’est déroulée une guerre urbaine de forte intensité opposant l’armée des Philippines à des islamistes ralliés à l’État islamique. De 500 hommes au début, c’est finalement plus de 1000 islamistes qui ont combattu dans la ville. Il a fallu cinq mois à l’armée des Philippines pour reprendre le contrôle de cette ville grande comme Rennes. Tout occupé que nous sommes à nous focaliser sur la Mésopotamie nous ne voyons pas que le combat contre l’islamisme recoupe une zone beaucoup plus vaste, allant de l’Atlantique au Pacifique. Les réseaux de l’État islamique, qu’ils soient financiers, militaires ou humains, sont très vastes. Les chrétiens d’Orient sont une des composantes de ces combats, mais ils ne sont pas la seule.  

L'année 2017 a aussi été marquée par plusieurs accusations de collusions entre certaines organisations caritatives qui défendent les chrétiens d'Orient notamment l'Oeuvre d'Orient, et le pouvoir politique de Bachar Al-Assad en Syrie, ou certains milieux d'extrême-droite en France ou l'entourage de Donald Trump aux États-Unis. À quel point la question humanitaire que représente la lutte contre les persécutions des chrétiens d'Orient est-elle devenue une question politique en Occident ?

Ces accusations et ces polémiques témoignent de la cécité intellectuelle de l’Occident, et notamment de la France.À Marawi, quelques centaines d’islamistes ont tenu tête à l’armée d’un pays pendant cinq mois. La seule question que l’on devrait se poser est la suivante : si demain 300 islamistes lancent un assaut sur Rennes, l’armée française a-t-elle les moyens, intellectuels et techniques, de les déloger ? J’ai interrogé plusieurs officiers sur ce sujet, leur réponse est négative. D’après Gérard Collomb, près de 300 djihadistes sont rentrés en France. La question n’est donc pas purement rhétorique, elle est réelle.

Depuis 2011, les élites politiques et journalistiques françaises sont aveugles et incompétentes sur le dossier syrien. Combien de fois nous a-t-on répété que Bachar Al-Assad n’en avait plus que pour quelques jours ? Sept ans plus tard, il est toujours au pouvoir en Syrie. Cela montre que les spécialistes du Moyen-Orient, du moins ceux qui sont interrogés, n’ont pas été capables d’analyser la situation de guerre mondiale par morceaux, pour reprendre l’expression du pape François, à laquelle nous sommes confrontés. Que l’on en soit à polémiquer pour savoir si une œuvre caritative a bénéficié d’une aide du gouvernement syrien en place pour intervenir est en dessous de tout. Nous devrions plutôt nous demander comment faire pour traiter les djihadistes présents sur le sol français, comment faire pour éviter que l’Algérie ne sombre dans le chaos ou qu’un État islamique ne se crée en Asie centrale. Hélas, la réflexion intellectuelle sur les grands enjeux du monde a presque disparu. Il est temps d’avoir une vision réelle du monde et de s’interroger sur les rapports de puissance. Au lieu de cela, nous transposons nos querelles politiciennes sur les grilles de lecture du grand jeu islamiste. 

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