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Nous ne reviendrons jamais à l'économie d'avant le Covid et les salariés peu qualifiés des services en seront les premières victimes. Que faire pour amortir le choc ?
©DENIS CHARLET / AFP

Monde d'après

C'est le lourd avertissement lancé par Jérôme Powell, le président de la Fed, la banque centrale américaine.

Natacha Valla

Natacha Valla

Economiste, directrice adjointe du CEPII, think tank en économie internationale. 

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Atlantico.fr : Lors du forum Central Banking organisé par la BCE, Jérôme Powell, le patron de la banque centrale américaine a prévenu que les Etats Unis ne renoueraient jamais exactement avec l’économie d’avant la crise du coronavirus et que notamment les travailleurs peu qualifiés de l’industrie des services en seraient les premières victimes, sur quelles données s’appuie le constat américain et est-il extensible à l’Europe ?

Natacha Valla : Cette crise est particulière à bien des égards. Ce à quoi fait référence Mr Powell est d’une part le lien particulier entre le progrès technologique et la productivité, d’autre part la vulnérabilité particulière dont a fait preuve le secteur des services par rapport à l’industrie. De façon générale, les économistes considèrent que sur longue période, le progrès technologique est associé à une élévation de la productivité générale des facteurs, et que cette amélioration est assez partagée. Or, à court terme, l’observation est difficile : malgré l’utilisation subite et absolument colossale des technologies qui nous ont rapidement permis, par exemple, de travailler à distance, d’échanger des informations, de prendre des décisions, de faire avancer les affaires, des difficultés productives se sont fait jour. « The jury is still out », mais il se pourrait que la pandémie nous révèle à la fois le pouvoir extraordinaire de la technologie mais aussi ses limites dans certains secteurs.

Dans tous les cas, il semble désormais acquis que nous nous acheminions, au fur et à mesure que la reprise s’affermira, vers des modes de production et d’organisation qui s’appuient beaucoup plus et de façon définitive sur les nouvelles technologies.

Le deuxième constat concerne les différences sectorielles de vulnérabilité : c’est sans aucun doute le secteur des services qui a été particulièrement affecté par le choc pandémique. Cela est vrai en Europe aussi : jusqu’alors, c’étaient l’industrie et la construction qui pâtissaient le plus des ralentissements cycliques alors que les services étaient plus résilients. Le premier confinement planétaire a illustré l’inverse. Pendant la première moitié de l’année, la contribution du secteur des services à la contraction du PIB a été trois fois plus importante que celle du secteur manufacturier en zone euro.

La charge la plus lourde est aujourd’hui portée par les emplois les moins bien rémunérés dans le secteur des services. Cela est vrai aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, ce sont les minorités et les femmes, sur-représentés dans ce segment d’emploi, qui paieront donc le plus lourd tribut. En Europe aussi, les destructions d’emploi ont affecté inégalement les différents groupes socio-économiques. Ainsi, sur la première moitié de l’année 2020, la population active s’y est réduite de 7% pour les basses qualifications, alors qu’elle augmentait de plus de 3% pour les qualifications les plus élevées.

Il faudra, la crise passée, retrouver le chemin de l’emploi, et cela sera difficile car le monde du travail post-pandémie aura profondément changé, du fait des mutations technologiques mentionnées plus tôt, que la pandémie a aiguillonnées à marche forcée.

Atlantico.fr : La pandémie a-t-elle entraîné le basculement vers cette situation ou n’a-t-elle fait qu'améliorer un mouvement de plus grande ampleur ?

Natacha Valla : Les deux. Beaucoup des évolutions technologiques que la crise a accélérées de façon foudroyante étaient en gestation. Mais nous assistons à deux phénomènes combinés : le premier est le choc lui-même, sanitaire dans son principe originel, suivi de la réponse mondiale des autorités des différents pays, qui ont introduit des mesures drastiques pour lui faire face. Le second est la réaction du tissu économique qui effectivement a catalysé avec une rapidité extraordinaire la transformation numérique de nos systèmes, le télétravail étant la partie émergée de l’iceberg.

La mise à l’arrêt délibérée de l'économie mondiale a produit une récession très inhabituelle : des secteurs normalement moins sensibles aux fluctuations cycliques de l’économie ont été les plus affectées. Cela doit nous faire réfléchir aux outils intellectuels dont les économistes disposent pour comprendre les chocs d’offre et de demande. Vous vous en souvenez peut-être, on s’écharpait dans les premières semaines de la pandémie pour savoir s’il s’agissait-là d’un choc d’offre ou d’un choc de demande :plus qu’une lubie rhétorique de spécialistes, il s’agissait là d’un point fondamental car l’un et l’autre appellent des réaction de politique économique très différentes ! Pour ma part, avec le recul, j’aime beaucoup l’idée avancée par Véronica Guerrieri et ses coauteurs, que les chocs qui ont fait suite à la pandémie sont des « chocs d’offre keynésiens ». Les confinements sont très certainement des chocs de cette nature du fait de l’incomplétude des marchés, car dans leur expression la plus radicale, comme au printemps, ils ont affecté brutalement l’ensemble de l’économie, sans distinction. Les licenciements récents ou à venir, ainsi que la disparition inéluctable de certaines entreprises sera de nature à amplifier les conséquences de ce choc selon une logique keynésienne d’affaissement de la demande.

Atlantico.fr :  Quelles solutions préconisent actuellement la Fed, la BCE ou encore le FMI pour sortir de l’ornière ? Sont-elles suffisantes ? 

Natacha Valla : Fed, BCE et FMI s’expriment à l’unisson : il est urgent d’agir dans un policy mix puissant et le rôle de la politique budgétaire doit être maximal. Partout, l’assouplissement monétaire par les banques centrales s’est exprimé à son maximum. Il s’agit donc à présent, dans l’urgence de la crise, d’armer la politique budgétaire pour éviter une casse irréparable. Mais attention ! Rôle maximal ne veut pas dire que les Etats doivent jeter l’argent par les fenêtres. La dépense publique doit rester intelligente pour éviter les effets boomerang une fois la crise passée.

De façon plus précise, le traitement adapté à l’urgence d’aujourd’hui reponse sur la place centrale du secteur des services. La sortie des récessions qui affectent plus intensément le secteur des services, comme c’est le cas aujourd’hui, est généralement très longue. On n’ira pas deux fois plus chez le coiffeur une fois le confinement levé ! De plus, les services étant plus intensifs en emploi que l’industrie, l’impact sur l’emploi en est d’autant plus intense. D’où la nécessité d’être très attentifs au marché du travail, et de cibler des mesures sur celui-ci.

Comme le rappelait la BCE, 5 millions d’européens ont perdu leur emploi dans la zone euro au premier semestre 2020. La moitié de ces emplois se trouvaient dans des secteurs, dont le commerce de détail ou les transports, qui ne représentaient que 20% du PIB. Ce sont des mesures à la fois conjoncturelles - pour atténuer la contraction de la demande et permettre de tenir pendant les temps difficiles – et structurelles – pour aider certains secteurs à la reconversion – qui sont nécessaires. J’ajouterai qu’il ne faut pas atermoyer les seconds au nom des premières !

Du côté de la politique monétaire, il est important de signaler que les banques centrales sont en phase avec cette analyse et fidèles au poste. Leur rôle reste de soutenir la dynamique d’inflation en soutenant la demande, évitant ainsi que des effets déflationnistes de second tour n’émergent sur les prix et salaires. Il leur revient de maintenir des conditions de financement favorables, ce qu’elles font.

Atlantico.fr :  Y-a-t-il de moyens, notamment au niveau étatique, d’éviter que les travailleurs pauvres du secteur des services subissent de plein fouet les répercussions de la crise, lesquels ?

Natacha Valla : A court terme, il faut bien évidemment faire acte de solidarité et protéger les populations – et pas seulement les travailleurs d’ailleurs - les plus vulnérables. Et nous découvrons jour après jour que les vulnérabilités économiques se doublent de souffrances sociales et psychologiques sérieuses. La dépense publique via les transfers sociaux est la mieux à-même d’agir dans ce cas. La pandémie nous a forcés à suspendre temporairement une partie entière de l’activité économique, ce qui a interrompu la circularité des flux de paiements. C’est alors une intervention ciblée qui sera la plus efficace. Comme l’énonce bien Michael Woodford, la politique budgétaire peut, dans des circonstances similaires, atteindre le meilleur résultat sans qu’une intervention de politique monétaire ne soit d’ailleurs nécessairement utile.

Mais dans le dessin de l’intervention publique, il faut aussi avoir le courage de regarder vers l’avenir. Les mesures les plus efficaces à long-terme sont celles qui auront su accompagner la large palette de changements apportés, ou accélérés par la pandémie, comme l’accélération de la digitalisation des sphères d’activité humaines, et l’attention renouvelée aux problèmes climatiques. De quoi s’agit-il alors ? D’éducation, de formation, de mesures d’accompagnement vers l’emploi de demain.

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