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NKM en guerre contre "les réacs" : mais au fait, que signifie  le mot dans la droite de 2016 ?
©Reuters

Mise à jour

Nouvelle candidate officielle à la primaire de la droite à l'élection présidentielle de 2017, Nathalie Kosciusko-Morizet aime se présenter comme une "anti-réactionnaire". Un positionnement qui interpelle dans la bouche d'une politique de droite, surtout en 2016.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que Nathalie Kosciusko-Morizet a officialisé ce mardi sa candidature à la primaire de la droite, son entourage la décrit comme "anti-réactionnaire". Quelle signification accorder aujourd'hui au terme "réactionnaire" ?

Roland Hureaux :"Réactionnaire" a un sens précis dans la pensée marxiste. Pour que le mot revête une signification, il faut croire que l'histoire a un sens, qu'elle est orientée, qu'il y a un avant , aujourd'hui obsolète, et un après qui adviendra de toutes les façons et pour le meilleur. Les réactionnaires sont ceux qui s'opposent à  cette marche inexorable de l'histoire vers l'avant. Ils sont voués, comme le disaient certains marxistes, aux "poubelles de l'histoire" et ce n'était pas un vain mot puisqu'ils étaient généralement condamnés au camp, voire à la mort. Par exemple les religieux, puisque la religion représentait un vestige du passé.

Cette idée d'un sens de l'histoire est plus large que le marxisme : elle se trouve dans tous le modes de pensée idéologiques. Le marxisme n'était qu'un cas particulier, mais pas le moindre de l'idéologie.

Quelqu'un qui emploie ce mot est dès lors un idéologue, c'est-à-dire quelqu'un qui raisonne faussement  sur les choses de la société.

Les idéologues croient à un certain nombre d'idées généralement fausses ou malfaisantes : par exemple l'existence de méthodes scientifiques en pédagogie ou la théorie du genre. Ils pensent en même temps que ces idées sont des idées d'avenir et que ceux qui ne les admettent pas appartiennent au passé, même quand la fausseté de ces théories, par exemple la théorie du genre, a été établie.

Il y a des domaines où il y a un vrai sens de l'histoire : par exemple le progrès scientifique ou le progrès technique, qui sont irrécusables. Mais dans les autres domaines, on a affaire à une singerie de progrès. Ni en pédagogie, ni en politique, ni même en économie, il n'y a de véritable progrès.

Entre la gauche et la droite, il y a une sorte de basculement sémantique. Jadis, la gauche se caractérisait surtout parce quelle était plus sociale. Aujourd'hui - on le voit avec la loi El Khomri qui veut détricoter le Code du travail - la gauche a renoncé à tout progrès social véritable. Ce qui caractérise la gauche, ce sont les lubies idéologiques : ouverture des frontières, mariage unisexe, croisades aveugles et criminelles pour les droits de l'homme, féminisme exacerbé et généralement contre-productif, négation de la nation, etc.

La droite, en principe, c'est cette partie de l'arc politique qui résiste à l'idéologie pour ne considérer que les réalités. Elle reconnaît un certain nombre de fondamentaux que l'histoire n'est pas susceptible de remettre en cause car ils sont la condition de la survie de la société : l'Etat, la famille, l'intérêt général, la nécessité d'un certain ordre économique, etc.

S'il y a des hommes de droite qui sont idéologues, c'est par contamination de la gauche. C'est sans doute le cas de Nathalie Kosciuszko-Morizet. Dès lors que vous classez  les hommes - ou les idées politiques - en progressistes et réactionnaires, vous vous situez dans un mode de pensée idéologique et donc de gauche.

D'autant qu'en définitive, c'est toujours la gauche qui dit ce qui est progressiste et réactionnaire. Par exemple, au siècle dernier, les langues régionales étaient tenues pour réactionnaires ; aujourd'hui, elles sont devenues une référence progressiste. La promotion de homosexualité, c'était au temps de Proust le propre d'une aristocratie attardée, aujourd'hui c'est devenu progressiste, etc. Un jour, à gauche, on décrétera qu'il faut marcher sur les mains et si vous voulez continuez à marcher sur les pieds, vous serez étiqueté de réactionnaire !

Jean Petaux : Alexandre Lemarié, dans un article publié récemment dans Le Monde et consacré à NKM, décrit la leader de l’opposition à la mairie de Paris, comme appartenant au camp des "visionnaires" opposés à celui des "réactionnaires". D’une certaine façon, cette définition "positive" et non pas par la négative ("anti-réactionnaire") répond à votre question. Une "visionnaire", autrement dit quelqu’un qui aurait une "vision de l’avenir" ou qui se situerait aujourd’hui par rapport à demain, ne saurait être réactionnaire. C’est là une définition qui correspond à une "logique d’acteur" et ne saurait donc être prise et adoptée telle quelle par l’observateur. Tout simplement parce que l’on peut être "réactionnaire" et "visionnaire". On peut très bien avoir une vision du futur en réaction par rapport à aujourd’hui ou par rapport à ce que l’avenir doit représenter. Exemple tout simple : en octobre 1940, s’il s’avère que l’avenir est de vivre sous la "botte allemande" (cas de la France de Vichy après Montoire) on peut très bien, au nom d’une vision de l’indépendance de la France, décider "en réaction" à la politique de collaboration engagée par le maréchal Pétain, entrer en Résistance. Etre "anti-réactionnaire" comme veut l’être NKM, c’est surtout être visionnaire. Autrement dit, porter un projet global qui permet d’anticiper les crises et les mutations et refuser le retour au statu quoante en étant contre la "réaction". En France, le mot "réaction" a souvent été utilisé pour dévaloriser les choix politiques. "Réactionnaire" s’est ainsi forgé comme l’antonyme de "Révolutionnaire". C’est largement abusif et surtout typique d’une Histoire et d’une phraséologie écrite par les vainqueurs… En réalité, étymologiquement, être "réactionnaire", c’est être tout simplement "actif", autrement dit c’est "réagir"… Que l’usage ait confisqué le mot "réactionnaire" au profit d’une droite forte et dure, ce n’est pas autre chose qu’une captation-appropriation plutôt illégitime et, à tout le moins, restrictive.

Mais ce qui est intéressant c’est que NKM récuse le mot lui-même de "réactionnaire", voire "d’anti-réactionnaire" au profit d’un terme bien plus mélioratif : "visionnaire"… En espérant qu’elle fasse preuve de "réaction" face à ses éventuelles visions.

Qu'est-ce que le fait de voir une personnalité politique de droite dénigrer les "réactionnaires" nous apprend sur la droite actuelle ? Alors que l'expression est souvent utilisée à gauche de manière très péjorative, la droite utilise-t-elle désormais le même logiciel ? Ne peut-on y voir une forme d'aliénation idéologique de la droite ?

Roland Hureaux : C'est certainement une forme d'aliénation idéologique ; heureusement, elle n'est pas généralisée. Mais pour Kosciusko-Morizet, c'est patent.

Entendons-nous, du temps où la gauche signifiait le progrès social, on pouvait comprendre que certains hommes de droite, tout en étant plus prudents sur ce chapitre, n'aient pas voulu remettre en cause le progrès social, ne pas "revenir en arrière" (encore une expression idéologique). L'extrême-droite, ce n'était pas alors le populisme mais exactement  le contraire, un refus de tout progrès social, un éloignement très grand du peuple. On pouvait comprendre que même certains hommes de droite aient alors dénoncé les attitudes réactionnaires car le progrès social avait sa raison d'être. Mais aujourd'hui, je vous le répète, la gauche, ce n'est plus que de l'idéologie et cela dans tous les domaines. Or, tout ce qui est idéologie est dangereux. On la reconnaît à ce qu'elle aboutit toujours aux résultats contraires de ceux qui étaient visés. Par exemple, l'égalitarisme en matière d'enseignement qui a produit le tronc commun, aboutit à plus d'inégalités, les méthodes pédagogistes pseudo-scientifiques, à l'illettrisme, le féminisme exacerbé à un recul objectif de la condition de la femme (ce serait facile à démontrer) ; le laxisme prétendu favorable aux délinquants, à prétention humanitaire, aboutit à une jungle dont les premières victimes sont les petits et les faibles, etc. Les gens de droite qui s'associent à ce mode de raisonnement s'associent à des idées fausses et malfaisantes. 

Jean Petaux : Je ne sais ce que cela nous apporte comme information, mais il est clair qu’une partie de la droite récuse désormais ouvertement un vocabulaire dans lequel le mot "réaction" et ses dérivés tiendrait le devant de la scène. NKM, porteuse d’idées novatrices et originales forgées par sa formation adjacente à l’Ecole Polytechnique, celle d’Ingénieur Eaux et Forêts, va d’abord devoir faire la preuve qu’elle est une candidate crédible qui se présente à la primaire non pas pour prendre des voix à tel ou tel de ses petits "compagnons" (Juppé par exemple) mais pour faire avancer les causes qu’elle défendait déjà avant la présidentielle de 2012… et dès qu’elle a été nommée la tête du MEDAM à la succession d’Alain Juppé en juin 2007.

Sur la question de savoir si le fait qu’une responsable politique de droite utiliserait des catégories analytiques comme "droite / gauche" ou "réactionnaire / révolutionnaire" pour s’auto-désigner signifierait qu’elle serait "aliénée" aux catégories de la gauche, vous me permettrez d’être réservé par rapport à ce type de lecture. Nathalie Kosciusko-Morizet entend clairement et délibérément "faire le buzz" pour montrer qu’elle existe et qu’elle a sa propre "partition" à jouer, seule ou en groupe.

Y a-t-il vraiment aujourd'hui chez Les Républicains un espace politique libre pour une "droite anti-réactionnaire", à l'heure où l'électorat français semble se droitiser de plus en plus ?

Roland Hureaux : Vous avez raison de dire que l'électorat français se droitise de plus en plus, spécialement l'électorat républicain, dont la base se distingue de moins en moins de celle du Front national, et dont les dirigeants, au moins quelqu'un comme NKM, se distinguent de moins en moins des socialistes.

L'idéologie exerce toujours un certain prestige. Poser qu'il y a un sens de histoire, c'est faire mode, c'est ringardiser ceux qui ne l'acceptent pas parce qu'ils veulent rester raisonnables. Il y a dans l'idéologie un prestige factice qui peut séduire certains qui en restent au niveau des mots et des apparences. Par ailleurs, comme l'ensemble des médias a adopté le mode de pensée idéologique, s'y rallier, c'est pouvoir espérer ses faveurs. Mais par les temps qui courent où l'on voit les méfaits de l'idéologie partout, dans l'éducation, la justice, l'économie, tout cela ne peut aller très loin.

On peut aussi se demander si ceux qui oseront s'exprimer aux primaires des Républicains seront des gens de la base, ou bien surtout des membres de l'establishment déjà engagés dans les partis et donc pas insensibles pour certains aux sirènes de l'idéologie. NKM, par ses poses progressistes, assimilables à celles de la gauche, pourrait ne pas en laisser insensibles certains, mais pas tous, ni près.

Jean Petaux : Cet espace politique est forcément réduit et limité mais il existe. Il est synonyme d’une droite se voulant résolument hostile au retour en arrière, à "toute réaction (dans le sens contraire… de l’Histoire)". Il désigne une volonté "de faire" très importante face à une capacité à "agir" (mais aussi à "défaire"). La question de la droitisation de l’électorat est réelle mais elle est à prendre avec de nombreuses précautions.

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