"Napoléon III, la modernité inachevée" de Thierry Lentz : une synthèse précise et documentée de la vie de Napoléon III, une réhabilitation bienvenue<!-- --> | Atlantico.fr
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"Napoléon III, la modernité inachevée" de Thierry Lentz.
"Napoléon III, la modernité inachevée" de Thierry Lentz.
©Culture Tops

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Le livre "Napoléon III, la modernité inachevée" de Thierry Lentz est à retrouver aux éditions Perrin / Bibliothèque Nationale de France.

Jean-Luc Demarty pour Culture-Pops

Jean-Luc Demarty pour Culture-Pops

Jean-Luc Demarty est chroniqueur pour Culture-Tops.​ Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).  Culture-Tops a été créé en novembre 2013 par Jacques Paugam , journaliste et écrivain, et son fils, Gabriel Lecarpentier-Paugam, 23 ans, en Master d'école de commerce, et grand amateur de One Man Shows.

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NAPOLÉON III LA MODERNITÉ INACHEVÉE

De Thierry Lentz
Perrin / Bibliothèque Nationale de France
256 pages
25€
Notre recommandation : EXCELLENT 

THÈME

L’auteur cerne à la fois la personnalité de Napoléon III et ses conséquences sur les résultats de sa période d’exercice du pouvoir, la plus longue en France depuis la chute de la royauté. A cet égard, le livre est au moins autant une histoire panoramique du Second Empire qu’une biographie. Les années de formation (1808-1830) et de complots (1830-1848), souvent négligées, sont bien représentées, dans une approche de continuité cohérente avec la prise du pouvoir (1848-1851).

Le livre réserve un équilibre soigné entre les chapitres consacrés respectivement à la politique intérieure, à la politique extérieure et à l’économie. Les personnages décisifs qui ont accompagné l’empereur dans son exercice du pouvoir (1852-1870) sont bien mis en valeur. L’approche conduit à une réhabilitation mesurée de Napoléon III, bien résumée par le sous-titre « la modernité inachevée ».

POINTS FORTS

C’est un vrai livre d’historien, très bien documenté, et pourtant facile à lire. L’iconographie est abondante malgré un prix relativement modique. A cet égard, les portraits individuels des personnages essentiels sont bienvenus : Persigny, Morny, Rouher, Emile Ollivier. La chronologie, la bibliographie et l’index des noms propres sont très professionnels.

S’agissant de la substance, l’auteur montre avec bonheur l’influence des années de formation sur la philosophie politique et le libéralisme économique de l’empereur. Le rôle décisif personnel de l’empereur, souvent contre l’avis de ses soutiens traditionnels dans la césure de 1860 entre l’empire autoritaire (1852-1860) et l’empire libéral (1860-1870) est décrit de manière convaincante. C’est le marqueur classique d’un véritable homme d’Etat. En sens contraire, les conséquences de la maladie de l’empereur sur les désastreuses décisions de politique extérieure de 1870 et des quelques années précédentes sont bien mises en évidence. Les événements et l’entourage de Napoléon III ont alors largement décidé à sa place.

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L’auteur évite un défaut courant de l’historiographie française, la place souvent insuffisante accordée à la dimension économique et sociale. Un chapitre de trente pages intitulé « le modernisateur » lui est consacré. Les faits saillants de la modernisation politique, économique et sociale y sont soulignés : l’accroissement progressif du rôle du parlement, le développement des grandes infrastructures, notamment ferroviaires, et des grandes banques, le droit des sociétés, les accords de libre-échange, le droit de grève.

QUELQUES RÉSERVES

L’auteur a tendance à sous-estimer les succès économiques et sociaux de Napoléon III. Selon lui, les salaires ouvriers auraient progressé de 9% contre une hausse des prix de 8%. Ces chiffres recyclés du « Que sais-je » du même auteur sur Napoléon III publié il y a une vingtaine d’années sont inexacts. Les salaires des ouvriers de l’industrie ont progressé de 35 à 40% sous le Second Empire, soit 15 à 20% en termes réels après déduction de l’inflation (sources : Dictionnaire du Second Empire de Jean Tulard ;  Economie et histoire de Jean Lhomme). Les salaires en zone rurale ont progressé même davantage.

Par contre les chiffres concernant l’agriculture avec une progression de 80% de la production agricole en valeur sont exacts. Toutefois l’auteur ne semble pas voir leur caractère exceptionnel qui a conduit à un doublement du revenu agricole. Les années 1960 et le début des années 1970, avec la mise en place progressive de la politique agricole commune européenne, juste avant le premier choc pétrolier, sont la seule période comparable.

Le tableau du Second Empire par Thierry Lentz n’est pas exempt d’un excès de misérabilisme. En réalité Napoléon III avait une très bonne connaissance des mécanismes économiques à la différence de son illustre oncle qui n’y comprenait pas grand-chose et a sombré sur son absence de maîtrise des effets économiques du blocus continental.

On regrettera également l’absence d’analyse approfondie des effets complexes des accords de libre échange des années 1860.

ENCORE UN MOT...

Le livre de Thierry Lentz est excellent malgré quelques libertés à la marge avec certains faits économiques. Il est désormais un ouvrage de référence sur une période passionnante encore insuffisamment étudiée.

Cette synthèse précise et documentée de la vie de Napoléon III, probablement la meilleure à ce jour, est centrée sur la période d’exercice du pouvoir. Elle aide à la réhabilitation bienvenue du personnage, commencée il y a une trentaine d’années.

UNE PHRASE

« Elevé dans l’exil, la fuite et l’aventure, Louis-Napoléon était et resta toujours un conspirateur dans l’âme et les méthodes »

« La Bourse ne s’y était pas trompée, qui avait salué le coup d’Etat par une forte hausse. »

« Cet empereur qui se voulait magnifique était au fond un homme bon, fidèle en amitié et pardonnant les injures…il était cultivé, parlait plusieurs langues, était doté d’une grande curiosité. »

« La grande majorité du peuple soutenait cette politique qui écartait le péril rouge et créait un climat favorable aux affaires. »

« Avec une sagesse dont peu de détenteurs du pouvoir se sont montrés capables, Napoléon III pensait qu’il valait mieux octroyer progressivement la liberté politique plutôt que d’être contraint de l’accorder de toute façon… »

« Grands travaux, aménagement du territoire, législation bancaire et droits des sociétés, prêts et garanties publiques montrèrent qu’un Etat bien administré pouvait être efficace sans être dirigiste. Lucide aussi, l’empereur libéral en économie comprit que la question sociale devait être traitée autrement que par des actes de charité… "

L'AUTEUR

Thierry Lentz est le chef d’école incontestable de l’historiographie napoléonienne contemporaine, une génération après Jean Tulard. Il a écrit une soixantaine d’ouvrages, essentiellement sur le Premier Empire, seul en majorité, mais aussi en collaboration. Ce sont des livres substantiellement de grande qualité et très bien écrits. Son « Napoléon Dictionnaire Historique » publié il y a deux ans à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon est déjà un livre de référence. Directeur de la Fondation Napoléon, historien rigoureux, il serait appréciable que Thierry Lentz approfondisse désormais autant le Second Empire que le Premier, l’un décisif pour la modernisation économique et sociale de la France, l’autre pour sa modernisation juridique et administrative.

En outre Thierry Lentz, fils d’ouvrier sidérurgique, est un pur produit de la méritocratie républicaine. Passionné par l’histoire napoléonienne depuis l’enfance, il est devenu un grand historien professionnel par des chemins de traverse, après avoir été assistant parlementaire d’un député socialiste et enseignant en droit.

Thierry Lentz est également un chroniqueur passionné, souvent pertinent de l’hebdomadaire respecté « Le Point ». Toutefois il lui arrive de prendre quelques libertés avec les faits, s’agissant par exemple des Institutions et des Traités de l’Union Européenne, de leur fonctionnement et de leur histoire. La préférence occasionnelle pour la polémique par rapport à la rigueur de la méthode historique peut surprendre quand l’historien sort de son domaine de compétence. S’il a l’excuse de n’être ni le premier ni le dernier à s’y adonner, les faits sont néanmoins têtus, même lorsqu’il arrive, rarement il est vrai, à un des plus brillants historiens français de les ignorer.

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