Multiplication des attaques au couteau : entre mimétisme et stratégie de contrôle social<!-- --> | Atlantico.fr
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Des ambulanciers déplacent une civière avec du matériel médical à l'extérieur du centre commercial Westfield Bondi Junction après une agression à l'arme blanche à Sydney, le 13 avril 2024.
Des ambulanciers déplacent une civière avec du matériel médical à l'extérieur du centre commercial Westfield Bondi Junction après une agression à l'arme blanche à Sydney, le 13 avril 2024.
©David GRAY / AFP

Violence accrue

Les attaques au couteau se multiplient en Occident. Récemment, c'est Sydney qui a fait l'objet de deux assauts, mais l'Angleterre et la France ont souvent été prises pour cibles également.

Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui est journaliste, écrivain et réalisateur. Il est l'auteur de plusieurs reportages et ouvrages sur les milieux islamistes radicaux.

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Les attaques au couteau se multiplient en Occident. Récemment, c'est Sydney qui a fait l'objet de deux assauts, mais l'Angleterre et la France ont souvent été prises pour cibles également. Dans quelle mesure les différentes attaques se ressemblent-elles ? Peut-on parler, à certains égards, de mimétisme ?

Mohamed Sifaoui : Tout d’abord, il importe de rappeler qu’il faut bien différencier les deux types d’attaques au couteau auxquelles nous sommes confrontés. D’une part, il y a les assauts liés à des personnalités borderline, dont certaines n’ont absolument rien à voir avec du terrorisme islamiste à proprement parler, et ne sont d’ailleurs pas de confession musulmane. D’une manière générale, notons que ce type d’attaque (qui relève souvent, au regard de la criminologie, de l’attaque de masse) est facilitée lorsque l’arme employée est à disposition de n’importe qui comme ce fut le cas à Sydney récemment. A cet égard, il faut bien souligner que la plupart des pays exposés à ce type d’assauts font preuve d’une réglementation sur les armes plus rigoureuses qu’aux Etats-Unis, ce qui explique l’utilisation d’une arme blanche, généralement plus courante et plus simple d’obtention.

S’agissant du terrorisme islamiste, qui constitue le deuxième type d’assaut dont nous parlions en début d’entretien, on sait désormais qu’il faut tenir compte de certaines spécificités. L’utilisation de l'arme blanche, c’est une réalité, est préconisée. Elle l’a été par le porte-parole de Daesh, qui disait clairement aux terroristes en puissance qu’il leur fallait utiliser tous les moyens à leur disposition. Le couteau, l’arme blanche et de façon générale l’arme contondante ainsi que la voiture bélier ou tout autre objet susceptible de blesser gravement ont été recommandés. L’essentiel étant de commettre l’acte plutôt que de s’attarder sur l’outil utilisé. Il faut aussi rappeler que dans l’imaginaire djihadiste, qui puise dans des textes rédigés au Moyen-Âge, le couteau et l’épée ont une place à part. Il est souvent question de décapitation, d’égorgements, par exemple… 

Du reste, oui, on peut ici parler de mimétisme. Il ne faut pas perdre de vue cette réalité : les islamistes, quand ils préparent leurs attentats, vont souvent au plus simple. Ils n’ont pas une obligation de moyens, mais bien une obligation de résultats. L’arme blanche étant à la portée de n’importe quel aspirant djihadiste, elle est choisie très régulièrement. Pour des raisons pratiques et pragmatiques, bien sûr, mais aussi pour des questions stratégiques ou idéologiques.

Pascal Neveu : D'après l'Insee, en France, 44 000 personnes ont été victimes d'agressions à l'arme blanche entre 2015 et 2017, soit 120 personnes par jour en moyenne. Depuis, plus aucune donnée n'a été transmise, et pour cause : les chiffres d'agressions étaient récoltés par l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP), supprimé en 2020 pour être remplacé par un autre observatoire au sein du ministère de l'Intérieur. Nous sommes en attente des chiffres.


En Angleterre, il s’agirait de 50 000 attaques au couteau en 1 an ! Un véritable fléau.

Les criminologues différencient ces types d’attaques :

-       acte de vengeance (familial, scolaire, voisinage...)
-       acte crapuleux
-       acte religieux donc terroriste
-       acte psychotique
-       acte de défense lors d’une agression
-       acte de désespoir amoureux

Plusieurs de ces types peuvent être corrélés.

Force est de constater que la violence est libérée depuis plusieurs années surtout chez les jeunes. La pandémie mondiale n’excuse rien mais a fragilisé des personnes plus vulnérables, équilibrées différemment que la grande majorité de la société face à laquelle elles sont dissociées, mal, voire non adaptées, en souffrance, vulnérables, influençables.

Voyez le nombre de jeunes de 12-15 ans (filles et garçons) condamnés pour avoir tué un camarade en groupe (je ne citerai pas leurs noms face à de trop nombreuses affaires françaises et internationales, par respect du deuil des familles, et ne voulant pas en oublier une) tellement ces meurtres ou tentatives de meurtres deviennent quasi normalisées.

Il est hélas des périodes de passage à l’acte :
-       fin de mois en cas de suivi psychiatrique et non prise de traitement
-       fêtes religieuses
-       événement criminel médiatisé

Et cela rejoint votre question du mimétisme. Bien évidemment que nous avons toujours observé que lors d’un fait divers, un même passage à l’acte aura lieu dans les jours à venir.

Tel est le cas à Sidney, mais face à 2 personnalités différentes dont le profil psychologique va s’éclairer au cours des jours et semaines. La justice et les psy doivent faire leur travail. Acte isolé impulsif ou prémédité ?

Quels sont les éléments récurrents qu'il convient d'identifier dans ces attaques ? Les raisons qui poussent les assaillants à passer à l'acte sont-elles toujours les mêmes ?

Mohamed Sifaoui : Rappelons, pour commencer, que l’élément déclencheur de l’assaut dépend toujours de l’assaillant. C’est quelque chose que l’on identifie au cas par cas. 

Cependant, là encore, il faut bien distinguer deux types d’attaques. Les premières sont celles que l’on appelle des attaques inspirées, c’est-à-dire qu’elles font suite à des appels au passage à l’acte, qui peuvent atteindre des esprits déjà prêts intellectuellement et philosophiquement. Nous avons assisté à plusieurs de ces attaques récemment et les assaillants attendent généralement une légitimation idéologique ou une incitation supplémentaire. Il y a aussi les attaques projetées, qui correspondent aux assauts préparés par des groupes qui se constituent en commandos ou en binôme, quand ils ne sont pas menés par des individus esseulés. Les assaillants, une fois encore, font alors appel aux méthodes les plus faciles à mettre en place pour passer à l’acte ; notamment parce qu’ils cherchent à passer sous le radar des services de renseignements et que le trafic d’armes est susceptible d’alerter les autorités. Le couteau constitue donc un outil adéquat à leurs yeux, parce qu’il passe inaperçu. On fait alors face à un individu dont personne ne peut sonder les intentions réelles, qui décide de passer à l’acte dans son intimité et qui n’appartient pas à un réseau sur le plan opérationnel. L’utilisation de l’arme blanche relève du pragmatisme pure et simple.

Sans rentrer dans l’analyse psychanalytique, je pense qu’il faut aussi rappeler que dans les milieux islamistes la peur inspirée par le couteau aux citoyens occidentaux est bien identifiée. Elle est légitime : c’est une arme spectaculaire, qui provoque des dégâts extrêmes et est associée à l’idée d’une grande brutalité. Ce n’est pas pour rien que nous avons assisté, depuis l’assassinat de Samuel Paty, a plusieurs décapitations et autres égorgements. Il y a un caractère psychologique extrêmement violent dont il faut bien tenir compte. N’oublions pas que l’objectif premier est de susciter la terreur, d’engendrer la réaction et l’horreur dans la société.

Pascal Neveu : Aujourd'hui, le Gouvernement prononce toujours les mêmes mots « rixe », « déséquilibré », « acte isolé »… qui selon moi sont des termes de communication.

Afin d’éviter les termes : mal-être global, psychopathologies, absence de structure familiale et de re « pères », fascination pour la violence, mal-être occidental, détestation du modèle occidental, embrigadement facile au moment de l’adolescence, orientation de l’esprit (pour ne pas dire manipulation face à certaines idéologies).

On reproche aux psy d’expliquer la genèse de ces actes… alors que je ne connais aucun de mes confrères ayant voulu les excuser. Mais il est plus qu’important de comprendre la violence psychique qui mène à de tels passages à l’acte. Nous sommes trop souvent attaqués en prétendant vouloir « excuser de tels actes ». Alors que chaque expertise est archivée et fait l’objet de grand nombre d’écrits en lien avec les services de justice et de police afin de comprendre, voire tenter anticiper de tels passages à l’acte.

Pourquoi un couteau ? Car un couteau est plus accessible en France qu’une arme à feu, face à notre législation bien éloignée de celle des Etats-Unis où de tels crimes ont lieu pour les mêmes raisons évoquées lors de votre première question.

Il était question de portails électroniques à l’entrée des établissement scolaires . Nous nous rappelons hélas l’agression de cette enseignante. Mais quid à l’extérieur ? Non pas seulement de la part d’un élève mais d’adultes, de déséquilibrés, de haineux… qui pour différentes raisons, passeront à l’acte.

Frustration, Isolement, Vengeance, Revanche, Sociopathie, Idéologie religieuse ou politique, Paranoïa, Crise délirante… seules les expertises le définiront.

A quel point peut-on parler d'une volonté de contrôle de l'espace public, dans le cadre d'assauts terroristes ? Ces événements relèvent-ils d'une certaine application de la charia ?

Mohamed Sifaoui : Revenons un instant sur la notion de charia. La charia n’est rien de plus que la législation, quand bien même en occident elle est associée à un imaginaire brutal, faits de coups de fouets. Il s’agit d’un corpus juridique ancien, qui vient de très loin puisqu’il a lui aussi été rédigé au Moyen-Âge, ce qui peut expliquer pourquoi certains des textes sont violents et spectaculaires. Ceci étant dit, ce n’est pas le mot que je choisirai pour désigner cette situation : il vaut mieux, à mon sens, parler de “police des mœurs”. C’est le dispositif préconisé par les milieux islamistes, qui exige de chacun de leurs adeptes qu’ils interviennent pour corriger tout ce qui ne correspond pas, de leur point de vue, à une stricte application de l’islam. 

En d’autres termes, chaque islamiste est à la fois juge et bourreau, C’est une application de la charia au sens de Daesh, qui permet aux islamistes de prendre mesure d’une situation et d’intervenir sans autre forme de procès. Tous ne passent pas nécessairement à l’acte violent : certains se contentent de menacer de le faire. Ils laissent entendre, face à des femmes qui ne s’habillent pas selon les normes islamistes ou des hommes qui consomment de l’alcool, qu’ils pourraient devenir violents. Entre cela et les attaques au couteau, il y a évidemment un contrôle certain de l’espace public et social par la terreur. C’est une situation que nous vivons hélas depuis plusieurs années. Dans certains endroits du pays, que j’estime être devenus des ghettos ethno-religieux, il est devenu impossible de jouir de sa liberté de conscience laquelle relève pourtant d’une règle essentielle de notre République. Chaque citoyen est libre de croire ou non, d’appliquer ou non les principes d’une religion. En théorie, à tout le moins, puisque c’est une réalité beaucoup plus contestée dans nombre de ces ghettos ; à fortiori pour les personnes de confession ou de culture musulmane.

Dans quelle mesure peut-on parler d'un impensé politique, en France ?

Mohamed Sifaoui : Il y a, en France, un vrai problème de prise en charge de ce problème, faute de prise de conscience généralisée à ce sujet. Nous assistons aujourd’hui à un véritable effondrement de la pensée stratégique. On ne sait plus réfléchir que par dogme et l’erreur que font nos élites, c’est de croire qu’il y aurait une solution d’extrême droite ou une solution d’extrême gauche quand la seule voie possible c’est celle de l’Etat de droit et l’application des lois qui permettrait à la France de s’en sortir. Mais encore faut-il, pour en arriver là, faire preuve de courage politique et s’assurer de la bonne application des textes de loi que nous évoquons. 

L’Etat, malheureusement, perd totalement le contrôle dans les territoires concernés. Il est incapable de faire appliquer ou même de rappeler un certain nombre de règles de bon sens comme l’idée que, s’il est parfois interdit de boire de l'alcool sur la voie publique, c’est seulement au nom des lois de la République et non parce qu’un autre individu l’aurait décidé au nom de ses convictions personnelles. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être laxistes sur ce point : personne n’a le droit de faire appliquer sa loi en France. Certainement pas des individus au nom de leur vision, de leur religion, de leur conviction ou de leur philosophie. Il faut que cela soit rappelé avec force. Partout et tout le temps.

Certains assaillants souffrent de troubles mentaux. Que sait-on des psychopathologies qui peuvent pousser certains à passer à l'acte ? Quid de la façon dont ces gens sont soit instrumentalisés soit pris en charge ?

Pascal Neveu : Vous posez la question cruciale !

Comment repérer ?

Le jour de l’attaque des attentas du Bataclan, j’étais à un colloque sur la violence et la dernière question a été posée quant au repérage. Hélas, nous en sommes incapables. Cela va bien au delà du simple fichage S, car ce ne sont pas que les islamistes qui passent à l’acte, comme j’ai tenté de le démontrer.

Une bouffée délirante pour l’un , un « trop plein » pour l’autre, des conflits internes pour un troisième… peuvent amener à prendre le gros couteau de la cuisine, à en acheter un en céramique…

Il y a les instrumentalisés par des idéologies et du fanatisme, des conversions, mais il y a aussi ceux qui passent à l’acte par désespoir, car, et c’est pour moi la question fondamentale : « La vie ne leur appartient plus ! ». Ils ne sont plus rien ! Soit manipulés, soit des zombies, sans espoir de vie et d’un futur et d’advenir. Ils deviennent alors des bombes à retardement et passent à l’acte.

La prise en charge ne vient qu’après, sauf si notre patient nous rapporte vouloir passer à l’acte… Mais alors « fantasme ou réalité ? », et donc effectuer un signalement ?

J’ai déjà reçu des patients susceptibles de passer à l’acte… mais n’évoquant rien. Je suis dans ces cas là impuissant car il nous faut des faits devant la justice et les forces de l’ordre. Ils ne passeront sans doute (et je le souhaite) jamais à l’acte. Ce que je veux dire, c’est que nous sommes impuissants et nous ne sommes pas « Minority Report ».

Quant au suivi psy, hélas post passage à l’acte, tout dépend du « sens » d’un tel crime, de l’état de prise de conscience du criminel, de son état psy lors de l’acte, de sa psychopathologie.

Pour le dire clairement… nous sommes démunis.

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